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VOLTAIRE. VIE, FERNEY

Personne n’avait protesté. Or, peu après, il écrivait dans le Mercure de France : « Ce n’est pas un petit progrès de la raison humaine que l’on ait imprimé à Genève, avec l’approbation publique, que Calvin avait une âme atroce avec un esprit éclairé. » Vainement, il demande à Thiériot de déclarer cette lettre falsifiée et de substituer « trop austère » à « atroce », les Genevois sont blessés. Il achète donc la terre de Ferney, au pays de Gex, à une demi-lieue de Genève, novembre 1758, et il loue à vie au président de Brosses le comté de Tournay. Sa ladrerie et sa mauvaise foi lui créeront avec de Brosses les pires difficultés ; il s’en vengera en l’empêchant d’entrer à l’Académie.

Durant cette période, Voltaire donne à l’Encyclopédie les articles Esprit, 1754, Idole, 1757, et publie le Poème sur le désastre de Lisbonne, 1756 (ix, 470).

A Ferney. Le roi Voltaire (1758-1778).

Indépendant, grâce à une énorme fortune, âprement acquise et gérée, grâce aussi aux asiles proches l’un de l’autre qu’il s’est ménagés en France et en terre genevoise, entouré d’une petite cour où figurent Mme Denis, les secrétaires Collini, puis Wagnières, un jésuite, qui lui a demandé asile après la dispersion de l’ordre, le P. Adam, une petite parente de Corneille, Marie Corneille, Mlle de Varicourt, plus tard Mme de Villette, quelques Genevois assidus, le médecin Tronchin qui le soigne, ayant des vassaux, Voltaire sera pendant vingt ans, à Ferney, une puissance européenne. On s’en rend compte au nombre des étrangers qui viennent le saluer et ce sera, à Ferney, une sorte de scandale, quand le comte de Falkenstein, le futur Joseph II, passera près de là, sans s’arrêter. On s’en rend compte aussi à la correspondance de Voltaire : « 6 250 lettres au moins partiront de Ferney ». Lanson, op. cit., p. 160.

De Ferney, sûr de l’impunité, centre de l’esprit européen, il va prendre la tête du combat que le parti philosophique mène contre l’Église, ses croyances et son autorité, contre les corps qui la soutiennent du dehors : la Sorbonne, le Parlement, la cour. « Sa correspondance avec d’Alembert, écrit J.-B. Carré, rev. cit., 15 mai 1938, p. 208, est le monument le plus étonnant de cette lutte contre « l’Infâme » ; elle montre que l’assaut n’a pas cessé une heure et elle est le commentaire très libre de la grande bataille que Voltaire mène du dehors pour appuyer les combattants du dedans, tenus à plus de prudence. » Le 13 février 1758, il a écrit à M. de Tressan : « Tous les philosophes devront se réunir. Les fanatiques et les fripons forment de gros bataillons et les philosophes dispersés se laissent battre en détail. » (xxxix, 397.) C’est lui qui assume la tâche de les unir dans la lutte.

Ses armes sont :
1° sa correspondance où « éclatent et bouillonnent toutes les passions, haines, rancunes, affections de l’homme », Lanson, op. cit., p. 160 ; <br 2° ses innombrables petits écrits qui remplissent un gros volume de l’édition Moland, et même plus. « Tous les jours, dit J.-R. Carré, loc. cit., partent de Ferney un conte, une facétie, un sermon, un abrégé historique, un commentaire plus que libre des Écritures, et toujours, des textes courts, portatifs, mais qui donnent à réfléchir plus que de gros volumes. » Voici de courts pamphlets de dix à vingt pages, variés par la manière et par le ton : Relation du bannissement des jésuites de la Chine, 1768 (xxvii, 1) ; Entretiens chinois, 1768 (xxvii, 19) ; Conseils raisonnables à M. Bergier pour la défense du christianisme, 1768 (xxvii, 35) ; Profession de foi dis théistes, 1768 (xxvii, 55) ; Discourt aux confédérés catholiques de Kaminiecka, 1768 xxvii, 75) ; Epître aux Romains, 1768 (xxvii, 83) ; Remontrances du corps des pasteurs du Gévaudan à Antoine-Jacques Rustan, pasteur suisse a Londres, 1768 (xxxvii, 106) ; Instructions a Antoine-Jacques Rustan, 1768 (xxvii, 117) ; Les droits des hommes et les usurpations des papes, 1768 (xxvii, 193) ; Les colimaçons du P. Lescarbotier, 1768 (ibid., 21-301) ; Le sermon des Cinquante, 1762 (xxiv, 438) ; les cinq Homélies prononcées à Londres par le pasteur Bourne, 1765-1769 (xxvi, 315, 329, 338, 349, et xxvii, 559) ; Sermon prêché à Bâle… par Josias Rassette, 1768 (xxvi, 581) ; Sermon du rabbin Akib, 1771 (xxiv, 277) ; Instruction du gardien des capucins de Raguse à frère Pediculoso partant pour la Terre Sainte, 1768 (xxvii, 301) ; Canonisation de saint Cucufln, frère de Ascoli, par le pape Clément XIII et son apparition au sieur Aveline, bourgeois de Troyes…, 1767 (xxvii, 419) ; Lettres à M. Foucher de l’Académie des Belles-Lettres, 1749 (xxvii, 431, 434, 436) ; Le cri des nations, 1769 (xxvii, 565).

Voici des traités plus longs de quatre-vingts à cent pages sur des sujets d’histoire, de philosophie, de controverse : les Extraits des sentiments du curé Mestier, 1762 (xxiv, 294) ; les Questions sur les miracles, 1765 (xxv, 358) ; les Questions de Zapata (xxvi, 173) et Le philosophe ignorant, 1766 (xxvi, 47) ; l’Examen important de milord Bolingbrocke, 1767 (xxvi, 195) ; la Profession de foi des théistes (xxvii, 55) et le Discours de l’empereur Julien, 1768 (xxviii, 10) ; Collection d’anciens évangiles ou monuments du premier siècle du christianisme, extraits de Fabricius, Grabius et autres savants par l’abbé B*** (xxvii, 439) ; Dieu et les hommes par le docteur Obern (xxviii, 129) ; les Lettres d’Amabed, 1769 (xxi, 435) ; les Lettres de Memmius à Cicéron, 1771 (xxviii, 438).

Voici des Dialogues et entretiens philosophiques, entre La Raison humaine et la Sagesse divine (xxix, 181) ; Un sénateur et un chrétien, sur les dogmes (xxviii, 711) ; Marc-Aurèle et un récollet sur la Borne ancienne et la Borne des papes (xxiii, 479) ; Lucien, Érasme et Rabelais, sur leurs facéties (xxv, 339) ; Galimatias dramatique ou dialogue entre gens qui professent diverses sectes et veulent tous avoir raison (xxiv, 75) ; Entre Épictète et son fils sur les énergumènes ou Dernières paroles d’Épictète à son fils (xxv, 125) ; Un caloyer et un homme de bien, sur l’Ancien et le Nouveau Testament (xxiv, 528) ; Le douteur et l’adorateur, sur la religion chrétienne, Jésus et les Apôtres (xxv, 129) ; Le dîner du comte, de Roulainvillers, sur la religion chrétienne (xvi, 531) ; Entre l’empereur de la Chine et le frère Rigolet, au sujet de la religion chrétienne et du bannissement des jésuites de la Chine (xxvii, 3) ; Un mandarin et un jésuite, même sujet (ibid., 19) ; Les dix-sept Dialogues entre A. B. C, traduits de l’anglais par M. Huei ou A. B. C. (xxvii, 311).

Voici un conte, Candide ou l’optimisme, 1759 (xxi, 137).

Voici des poèmes : Le précis de l’Ecclésiaste (ix, 485) ; Cantique des cantiques, 1759 (ix, 496).

Voici des épîtres en vers : A Boileau (x, 397) et À l’auteur du livre des Trois imposteurs, 1769 (x, 402), où il fait le bilan de son action religieuse.

Et, dominant le tout, voici le Dictionnaire philosophique, 1764, devenu en 1769 la Raison par alphabet, et qui s’annexera de 1770 à 1772 les Questions sur l’Encyclopédie.

Il excite en même temps le zèle des « philosophes ». principalement des encyclopédistes, il était à Potsdam lorsque l’Encyclopédie commença de paraître. Il applaudit à l’œuvre, le plus grand et le plus beau monument de la nation et de la littérature, lettre a d’Alembert. 9 déc. 1755 xxxviii, 319) ; il s’en proclame « le partisan le plus déclaré ». À d’Argental. 26 février 1758 (xxxix, 109). Sans en être le chef responsable, il la suit de près. Cf. Lettres à d’Alembert (ibid. et passim). Il voudrait faire d’elle une machine « le guerre contre l’Infâme » de première valeur : il déplore « l’ineptie de plusieurs articles » ; on les dirait « du vieux Mercure galant », à d’Argental, lettre citée ; ne ménageant rien ni personne : « les petites orthodoxies