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    1. TRINITÉ##


TRINITÉ. TENDANCES RATIONALISTES

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trine des appropriations divines, que devait plus tard reprendre Richard de Saint-Victor et que consacreront les grands scolastiques. Voir les textes ici t. xiii, col. 2752.

c) Le réalisme de Gilbert de la Porrée († 1154) et le dogme trinitaire.

Après la condamnation du nominalisme à Soissons, du conceptualisme à Sens, le réalisme est atteint à Paris et à Reims dans la réprobation des doctrines trinitaires de l’évêque de Poitiers. Sur Gilbert de la Porrée, voir ici, t. vi, col. 1350 et cf. A. Hayen, Le concile de Reims et l’erreur théologique de Gilbert de la Porrée, dans Arch. d’hist. doct. et litt. du M. A., t. x, 1935-1936, p. 29 sq.

Le réalisme de Gilbert, distinguant en Dieu « l’être qui est » de « l’essence par laquelle il est » (essens quod est et essentia qua est) l’amenait à concevoir la Trinité comme trois êtres n’ayant qu’une forme d’existence, c’est-à-dire la même essence, id quo est unum esse in Trinitate contendit, c’est-à-dire la forme, la nature déifique, qui est pour ainsi dire la source de la divinité des personnes. Porro quod hac essentia est, non unum in Trinitate contendit, sed tria singularia queedam, très res numerabiles unitatibus tribus. Geoiïroy, abbé de Glairvaux, Libellus contra Gilbertum, n. 26, P. L., t. clxxxv, col. 604. Comment concilier l’unité divine et le nombre trois des divines réalités ? Pour Gilbert, l’unité est dans le même prédicament que la chose qu’elle rend une et, par conséquent, il y a autant d’unités que de prédicaments. Puisqu’en Dieu il n’y a qu’une seule substance, il n’y a aussi qu’une seule unité substantielle, par laquelle les trois personnes sont Dieu. Mais en Dieu il y a trois relations ; les unités de paternité, de filiation, de spiration qui sont non des unités substantielles, mais des unités relatives. Gilbert, Comment, in lib. de prædicatione trium personarum, P. L., t. lxiv, col. 1309 D. Peut-être Gilbert cherche-t-il d’une façon malhabile la formule d’accord entre la substance et les relations divines ; mais sa formule n’échappe pas au reproche d’une quaternité divine. Ce qui justifie les critiques de saint Bernard, De consideratione, t. V, c. vii, P. L., t. clxxxii, col. 797 C ; cf. In Cantica, serm. lxxx, n. 5, t. clxxxiii. col. 1168-1169.

Les erreurs trinitaires et christologiques de Gilbert furent condensées en quatre propositions que présente, avec leur justification d’authenticité par des textes empruntés à Gilbert, l’abbé de Clairvaux, Geoffroy, dans son Libellus contra capitula Gilberli Pictaviensis episcopi, P. L., t. clxxxv, col. 595 sq. A chaque proposition, le concile de Reims, présidé par Eugène III, opposa un article de profession de foi catholique.

1. À l’erreur initiale (cf. Geoffroy, col. 597 CD), le concile oppose l’article suivant :

Credimus et confitemursimplicem

naturam divinitatis esse Deum, nec aliquo sensu catholico posse negari, quin divinitas sit Deus et Deus divinitas. Si vero dicitur : Deum sapientia sapientem, magnitudine magnum, aeternitate aeternum, unitate unum, divinitate Deum esse et alia hujusmodi, credimus nonnisi ea sapientia quæ est ipse Deus, sapientem esse, nonnisi ea magnitudine, quae est ipse Deus, magnum esse, nonnisi ea aeternitate mise est ipse Deus, aeternum esse, nonnisi ea unitate qua ; est ipse Deus unum esse, nonnisi ea divinitate Deum, quæ est ipse, id est seipso sapientem, magnum, aeteriium, unum, Deum.

Denz.-Bannw., n. 389.

Nous croyons et confessons que la simple nature de la divinité est Dieu et qu’on ne peut accorder aucun sens catholique à l’assertion que la divinité n’est pas Dieu lui-même et Dieu, la divinité. Si l’on dit que Dieu est sage par sa sagesse, grand par sa grandeur, éternel par son éternité, un par son unité, Dieu par sa divinité, etc., nous croyons que Dieu est sage uniquement par la sagesse qui est Dieu lui-même, grand uniquement par la grandeur qui est Dieu lui-même, éternel uniquement par l’éternité qui est Dieu lui-même ; un, uniquement par l’unité qui est Dieu lui-même, Dieu, par la divinité qui est lui-même, en sorte qu’il est par luimême sage, grand, étemel, n, Dieu.

Voir le commentaire de cette assertion à l’art. Dieu, t. iv, col. 1165-1167 et surtout 1173-1174. Il est impossible de distinguer en Dieu id quod est et id quo est, car « soutenir qu’il y a en Dieu quelque chose par quoi il est Dieu et qui n’est pas Dieu détruit la simplicité divine ». Loc. cit.

2. À la seconde erreur, proprement trinitaire (voir Geoffroy, col. 604), le concile oppose le deuxième article :

Cum de tribus personis Ioquimur, Pâtre, Filio et Spiritu Sancto, ipsas unum Deum, unam divinam substantiam esse fatemur. Ete converso, cum de uno Deo, una divina substantia loquimur, ipsum unum Deum, unamque divinam substantiam esse très personas confitemur.

Denz.-Bannw., n. 390.

En parlant des trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, nous confessons que ces trois personnes elles-mêmes sont un Dieu unique et une substance divine unique. Et, à l’inverse, en parlant d’un Dieu unique et d’une unique substance divine.nous confessons que ce Dieu unique et cette unique substance divine sont les trois personnes.

Ce canon indique expressément qu’on ne peut concevoir en Dieu une essence ou substance réellement distincte des personnes. Quoique les personnes soient réellement distinctes entre elles, elles s’identifient pleinement avec la réalité de la substance divine, de Dieu lui-même. Le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu ; mais les trois sont l’unique Dieu, l’unique substance divine.

Par là est réprouvée l’application faite par Gilbert à la Trinité de son erreur fondamentale, à savoir que les personnes ne sont pas une essence quæ sunt, mais une essence 711a sunt, qu’elles ne sont donc pas réellement identiques à l’essence divine mais participent simplement à cette essence qui les domine. Ainsi le Père, le Fils, le Saint-Esprit ne seraient pas numériquement un Dieu ; ils participeraient seulement à la même déité, un peu comme trois hommes à la même humanité.

3. La troisième erreur (voir Geoffroy, col. 609) établissait une distinction réelle entre personnes et propriétés divines. C’était là briser la simplicité de Dieu. Le concile émet donc ce troisième article :

Credimus (et conûtemur) solum Deum Patrem et Filium et Spiritum Sanctum aeternum esse, nec aliquas omnino res, sive relationes, sive proprietates, sive singularitates vel unitates dicantur, et hujusmodi alia, adesse Deo, quæ sint ab aeterno, quæ non sint Deus. Denz.-Bannw., n. 391.

Nous croyons (et confessons ) que seul Dieu, Père, Fils et Suint-Esprit, est éternel et que les réalités, quelles qu’elles soient, relations, propriétés, particularités, unités et autres semblables, ne peuvent être dites appartenir à Dieu de toute éternité, si elles ne sont Dieu.

Donc, simple distinction de raison entre Dieu et les attributs et l’essence, entre les relations, les propriétés et la substance. Voir Dieu, t. iv, col. 1170-1171 et Relations divines, t. xiii, col. 2145 sq.

La quatrième erreur de Gilbert concernait l’incarnation (voir Geoffroy, col. 613). Cf. Gilbert de la Porrée, t. vi, col. 1353.

Les Sententiæ divinitatis (éd. Geyer, Die « Sententiæ divinitatis », ein Sentenzenbuch der Gilbertschen Schule, Munster-en-W., 1909) sont à placer vers le milieu du XIIe siècle. Elles sont l’œuvre d’un disciple de Gilbert et reproduisent presque à la lettre les points réprouvés à Reims, notamment la doctrine trinitaire et christologique. Les propriétés par lesquelles les hypostases