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VOLONTE. DES ANGES, ROLE


b) L’obstination dans le mal reçoit des explications assez différentes en raison des divergences d’auteurs par rapport aux principes psychologiques qui dominent le problème. Voir Ange, t. i, col. 1229. Tandis que les théologiens étrangers à la pure pensée thomiste ne trouvent à l’obstination des démons qu’une raison extrinsèque, la soustraction de la grâce divine, saint Thomas, tout en acceptant cette soustraction, De veritate, q. xxiv, a. 10 ; De malo, q. xvi, a. 5, montre qu’elle est, non le principe, mais l’effet de l’obstination de la volonté angélique dans le mal. Id., ibid. La psychologie thomiste des esprits purs fournit à l’obstination une raison intrinsèque, qui dispenserait de tout autre argument. Le choix, que le démon a fait de son « moi » comme fin dernière de préférence à la fin surnaturelle que Dieu lui offrait, oblige désormais sa volonté à rapporter tout à cette fin égoïste. Le choix de la fin dernière est, en effet, la raison suprême et impérative des autres choix. Quand l’ange rebelle s’est choisi lui-même comme sa propre fin dernière, tous ses choix, même libres quant à leur exercice, sont désormais, quant à leur spécification, commandés par cet amour égoïste et coupable. Ainsi le démon pèche en tous ses actes, Cont. Gent., t. IV, c. xcv ; cf. l"-ll x, q. lxxxix, a. 4 ; Jean de SaintThomas, De angelis, disp. XXIV, a. 2, n. 31. Tous les sentiments qu’il pourra éprouver, par manière d'élection et non de passion, seront empreints d’une malice foncière, haine de Dieu et du salut des âmes.

Cette raison intrinsèque de l’obstination ne saurait être admise par les disciples de Scot ou même de Suarez, qui considèrent que la volonté angélique reste libre dans tous ses actes sans exception : un seul acte de révolte ne saurait donc fixer l’ange et lui interdire la possibilité du repentir et de la conversion. Cf. Ange, col. 1236-1237. L’axiome de saint Jean Damascène : « La chute est aux anges ce que la mort est à l’homme », rappelé par saint Thomas, De malo, loc. cit., pour indiquer que d’un seul acte libre l’ange parvient à son terme, ne trouve pas son application dans la doctrine scotiste ou suarézienne. Voir t. iv, col. 403-404, la réponse à une instance de Vasquez. De plus, l'éviternité mesure l’acte même de la volonté pervertie des anges rebelles : le choix de la fin dernière, mesuré par cette éviternité, demeure immuable : pas d' « après » pour rectifier le choix fait « avant ».

La douleur ne saurait corriger l’obstination de la volonté de l’ange damné. En effet, à l'égard

du sentiment de sa propre excellence, de la volonté de la rechercher exclusivement, du rejet de la gloire et des biens surnaturels qu’il aurait pu obtenir par la grâce…, l’ange avait un jugement si arrêté que la peine de l’enfer, loin de le modifier, le rendrait plutôt plus obstiné encore… Quand l’ange pécha et refusa par orgueil la grâce divine, il a vu lui-même très clairement qu’il péchait et se rendait digne de la damnation. Comment aurait-il ignoré ce que L’s hommes eux-mêmes savent ?… Mais ce qu’il a voulu absolument et efficacement, à savoir demeurer dans sa propre excellence sans dépendre en aucune sorte du bienfait spécial de la grâce divine, cela, il l’a toujours et toujours efficacement voulu et il le veut encore ; il le veut, nonobstant la damnation encourue, qu’il n’a pas pu ni voulu rejeter, puisqu’il ne l’ignorait pas en péchant. Jean de Saint-Thomas, op. cit., n. 36.

Ainsi, dit saint Thomas, le criminel, à qui on enlève les moyens de commettre l’homicide qu’il désire, souffre de son impuissance, mais ne change pas pour autant sa volonté criminelle.

Tel est l’aboutissement logique de la psychologie thomiste : l’ange étant d’une nature qui ne procède pas par voie de raisonnement et de volitions changeantes, mais par mode d’intuition et de volonté permanente, doit persévérer immuablement dans l’adhésion au bien surnaturel ou dans son aversion.

2. Psychologie de la volonté angélique dans les peines de l’enfer. — a) Peine du dam. — Voir t. iv, col. 6. Les anges, se connaissant et s’aimant eux-mêmes d’une connaissance et d’un amour spontanés et toujours actuels, connaissent Dieu et l’aiment d’une manière également toujours actuelle. Et, connaissant Dieu comme le bien suprême, ils l’aiment plus qu’ils ne peuvent s’aimer eux-mêmes. Mais cet élan spontané et conforme à la nature demeure un acte indélibéré de la volonté. C’est donc par une nécessité psychologique que l’ange est ainsi porté vers Dieu. Cet amour naturel et nécessaire subsiste chez l’ange déchu ; il est la raison toujours actuelle de son activité naturelle, quant au vouloir et au désir. De là, dans l’esprit réprouvé, résulte comme un double mouvement contradictoire : d’une part, cet esprit est irrésistiblement porté par toutes ses tendances naturelles vers la béatitude et, sous ce rapport, il aime Dieu plus que luimême d’un acte d’amour indélibéré ; d’autre part, son obstination libre et volontaire dans le mal, choisi comme fin dernière, l’oblige à se détourner de ce Dieu qui est l’unique source de béatitude et qui seul pourrait satisfaire son intense désir de bonheur. Se connaissant d’une manière immédiate et parfaite, il saisit d’un seul coup ses besoins, ses aspirations, sa destinée, l’objet vrai de sa béatitude et aussi les obstacles insurmontables qu’il apporte lui-même à l’assouvissement de son désir de bonheur et à l’obtention de la vraie félicité. Tout cela est connu d’une manière aussi intime que l’esprit est intime à lui-même, puisque c’est par sa propre essence qu’il se connaît. Ainsi, par la peine du dam, expliquée selon la psychologie thomiste, une contradiction substantielle, un déchirement intime et touchant à sa vitalité essentielle s'établit dans l’ange réprouvé : il tend vers Dieu et il s'éloigne de Dieu : c’est le déchirement le plus atroce qu’on puisse imaginer, puisque l’esprit s’y oppose à lui-même dans l’acte qui devrait faire son bonheur.

b) Peine du feu. — Ici encore, la volonté joue le rôle principal. Seule la psychologie thomiste paraît donner une explication suffisante de l’action du feu infernal sur les esprits. Voir t. v, col. 2231-2232. D’après saint Thomas, l’esprit damné est enchaîné par le feu, dans ses puissances et tout particulièrement dans sa volonté. En tant qu’instrument de la justice de Dieu, le feu a la puissance de retenir, de renfermer en lui-même l’esprit réprouvé et de l’y maintenir appliqué. C’est ainsi qu’il est afflictif pour cet esprit ; il lui rend impossible le libre exercice de sa volonté, l’empêchant d’agir où il veut et comme il veut. La douleur ne désigne chez le démon qu’un acte de la volonté, un effort de la volonté contre ce qui est ou ce qui n’est pas ; contre ce qui est à rencontre de cette volonté perverse ; contre ce qui n’est pas et que désire cette volonté dépravée. Voir l’explication de l’alligatio thomiste à Feu de l’enfer, loc. cit.

III. Rôle de la volonté des anges dans leurs

    1. RAPPORTS AVEC LES AUTRES ÊTRES##


RAPPORTS AVEC LES AUTRES ÊTRES. 1° Rapports

des anges entre eux. — Les relations des anges entre eux peuvent se résumer en trois points : illumination, locution, influence réciproque.

D’après saint Thomas, seuls les anges supérieurs peuvent éclairer les inférieurs et leur communiquer ainsi des connaissances que les inférieurs n’ont pas ou n’ont que confusément. Aussi, seuls les supérieurs peuvent-ils « illuminer » les inférieurs. Sum. theol., I a, q. cvi. Mais, par contre, tout ange, même un inférieur, peut parler à un autre ange, et même à Dieu, pour lui communiquer ses pensées. Ibid., q. cvn.

Quelles que soient les divergences de détail qui séparent ici les théologiens sur ce sujet, voir t. i,