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VOLONTE. DE DIEU, SALVIFIQUE UNIVERSELLE
« La volonté divine étant cause universelle à l’égard de

toutes choses, il est impossible qu’elle n’obtienne pas son effet. Aussi ce qui semble s’écarter de la divine volonté dans un certain ordre y retombe dans un autre. Le pécheur, par exemple, autant qu’il est en lui, s’éloigne de la volonté divine en faisant le mal, mais il rentre dans l’ordre de cette volonté divine par le châtiment que lui inflige la justice. »

La grande objection est la volonté salvifique universelle qui est loin de s’accomplir. Dans l’ad l um, saint Thomas rappelle tout d’abord les interprétations restrictives de saint Augustin, puis s’arrête à la distinction formulée par saint Jean Damascène :

Selon saint Jean Damascène, la parole apostolique s’entend de la volonté antécédente de Dieu, non de sa volonté conséquente. Et certes cette distinction ne concerne point la volonté divine elle-même, en laquelle il n’y a ni avant ni après ; mais elle se prend du côté des choses que Dieu veut. Et, pour la comprendre, il faut se souvenir qu’une chose est voulue de Dieu pour autant qu’elle est bonne. Or, une chose qui à première vue, considérée strictement en elle-même, est jugée bonne ou mauvaise, peut ensuite, si on l’envisage en y ajoutant quelque particularité ou circonstance — et c’est là une considération conséquente — être jugée tout à rebours. Ainsi il est bon qu’un homme vive et, qu’on tue un homme, c’est un mal, à regarder les choses en elles-mêmes ; mais si l’on ajoute, en parlant d’un certain homme, que c’est un homicide, que sa vie est un péril public, alors il est bon que cet homme meure, et c’est qu’il vive qui est un mal. On pourra dire, en conséquence, d’un juge équitable : À priori, d’une volonté antécédente, il veut que tout homme vive ; mais, tout considéré, d’une volonté conséquente, il veut que l’homicide soit pendu. De même Dieu, antécédemment, veut que tout homme soit sauvé ; mais conséquemment, [c’est-à-dire en conséquence de ce qui se passe], il veut que certains soient damnés selon que l’exige sa justice. Trad. Sertillanges, Dieu, t. iii, p. 64-65.

Cette volonté antécédente, quand elle s’oppose à la volonté conséquente, serait mieux nommée « velléité » (magis dici potest velleitas), parce qu’elle n’envisage l’objet voulu que sous un aspect particulier ne répondant pas aux conditions de sa réalité concrète. Toute l’imperfection d’une telle « velléité » doit être placée du côté de l’objet voulu et non du côté de Dieu, car la volonté antécédente n’est pas une velléité stérile ; c’est une volonté efficace en son genre, en ce sens qu’elle prépare à tous les hommes, même aux enfants privés de l’usage de la raison, les moyens indispensables au salut. Mais, en ce qui concerne les adultes qui manquent leur salut, elle demeure conditionnée par le mauvais usage que ces réprouvés auront fait des grâces préparées par Dieu. Cf. In I am Sent., dist. XLVI, q. i, a. 1, ad 2um ; De veritate, q. xxiii, a. 2. « Ainsi la volonté salvifique de Dieu est une volonté antécédente, parce qu’elle concerne l’homme uniquement considéré en sa nature spécifique. Elle est en quelque sorte fondée sur cette considération première de l’homme à qui Dieu a donné une nature ordonnée à la béatitude céleste. Mais la volonté divine, en tant qu’elle a pour objet l’homme revêtu de toutes les circonstances qui conditionnent son salut — et c’est là une deuxième considération de l’homme — est une volonté conséquente qui n’est pas universelle. » Diekamp-Hofîmann, Manuale, t. i, p. 259. Sur la portée métaphysique de la distinction des deux volontés relativement à la prédestination dans la doctrine thomiste, voir Prédestination, t.xii, col. 2942 sq.

3. Les théologiens postérieurs à saint Thomas.

Le thème fondamental — volonté antécédente, volonté conséquente — est retenu. Mais il se développe en variations plus ou moins dissonantes.

Une première dissonance — de peu d’importance, semble-t-il — se fait entendre concernant la nature

de la volonté antécédente. Certains scolastiques, de tendances d’ailleurs assez dissemblables, Hervé, Durand de Saint-Pourçain, Gabriel Biel, conçoivent la volonté salvifique universelle comme une volonté de si’^ne et non de bon plaisir. Cf. De San, De Deo uno, t. ii, p. 3. Et ils prennent l’exemple même apporté par saint Thomas, I a, q. xix, a. 11, ad 2um, du sacrifice d’Isaac commandé mais non voulu par Dieu. On remarquera que cette interprétation ne leur est pas exclusivement propre. On la trouve déjà chez Alexandre de Halès et saint Bonaventure, loc. cit., et chez Duns Scot, In 7um Sent., dist. XLVI, a. 1. On la retrouvera plus tard chez Cajétan, Bariez, Zumel et d’autres thomistes authentiques, dans leurs commentaires sur la Somme. La plupart des thomistes, Lemos, Alvarez, Gonzalez, Jean de Saint-Thomas, les Salmanticenses, Gonct, Billuart enseignent que la volonté antécédente est une volonté de bon plaisir. Cf. Garrigou-Lagrange, De Deo uno, p. 418-419. On a vu plus haut, col. 3358, que le P. Prat n’identifie la volonté salvifique ni avec le propos, ni avec le bon plaisir de Dieu, ni avec son conseil : la volonté salvifique est une volonté réelle, de désir, ne se réalisant que si l’homme répond à l’appel de Dieu. C’est tout à fait la conception moliniste.

Mais une autre dissonance — plus grave — concerne le moyen terme qui, dans la création et la marche de l’humanité, justifie la discrimination faite entre la volonté antécédente et la volonté conséquente. Cf. Franzelin, De Deo uno, p. 505.

a) École thomiste. — Les plus rigides parmi les thomistes placent le moyen terme discriminant volonté antécédente et volonté conséquente dans le bien universel, la beauté de l’ordre providentiel manifestant la gloire de Dieu dans sa miséricorde ou dans sa justice, cet ordre étant choisi antérieurement à toute prévision du péché, même originel. Dans cette opinion

— qu’on pourrait qualifier de « supralapsaire » — la volonté salvifique antécédente concerne anges et hommes considérés dans leur individualité ; mais la volonté conséquente les envisage dans leur relation avec l’ordre et la beauté de l’univers. Cette opinion d’Alvarez, de Jean de Saint-Thomas, des Salmanticenses, de Contenson, etc., cherche un point d’appui, comme on l’a déjà laissé entendre, en saint Thomas, Sum. theol., I a, q. xix, a. 9 ; q. xxii, a. 2 et surtout q. xxiii, a. 5, ad 3um. — D’autres thomistes, moins rigides, et les augustiniens placent le moyen terme dans la perspective du péché originel : opinion « infralapsaire ». La volonté conséquente de Dieu considérerait ici les exigences et convenances de l’ordre providentiel conséquemment à la faute des premiers parents. C’est l’opinion de Gonet, de Gotti, de Massoulié, de Noris, etc. — Enfin, interprétant les textes de la Somme qui viennent d’être cités à la lumière d’autres textes de saint Thomas, De veritate, q. xxviii, a. 3, ad 16um ; In I* m Tim., c. ii, lect. l a ; In 7um Sent, dist. XLVI, q. i, a. 1, une troisième opinion place le moyen terme non seulement dans l’ordre providentiel et dans la prévision du péché originel, mais encore dans la prévision du péché personnel de chaque homme pris en particulier (pour les enfants, le seul fait de l’état de péché originel). C’est l’opinion des anciens thomistes antérieurs au concile de Trente, Capréolus, Cajétan, Sylvestre de Ferrare et, plus tard, de Goudin, Graveson, Billuart, cf. Prédestination, col. 2956, 2986 ; de nos jours, de Janssens.

Tous ces auteurs enseignent que la prédestination des élus relève, elle aussi, de la volonté antécédente de Dieu, d’une volonté toutefois non conditionnée, absolue, décrétant leur salut ante præoisa mérita. Col. 2985. Ils notent également, pour sauvegarder le souverain domaine de Dieu, que, dans la perspective