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VOLONTE. DE DIEU, L’OPTIMISME
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toutes choses sans les vouloir, sans les aimer, par une sorte de nécessité intérieure. Il ne peut pas ne pas les produire, et il les produit même sans les connaître d’avance. Éthique, III, 6, édit. Gebhardt, t. ii, p. 89. Cette production ne répond pas à une fatalité aveugle qui commanderait du dehors l’activité divine : la nécessité avec laquelle Dieu produit toutes choses est intérieure à sa nature et indépendante de quoi que ce soit : partant, c’est une « nécessité libre ».

Le monde est donc, pour Spinoza, non le produit d’un fatalisme radical — il a toujours protesté contre cette conception trop logique de son système — mais le résultat d’un déterminisme très réel, auquel aucune créature, pas même l’homme, ne peut se soustraire. C’est pourquoi, « au point de vue de la nature, chaque chose, considérée en elle-même, est aussi bonne qu’elle peut l’être, puisque déterminée par les lois nécessaires de l’être ». Voir Spinoza, t. xiv, col. 2499. Mais au point de vue moral, il semble difficile de parler de « bien » ou de « mal » dans une doctrine qui enseigne que « les hommes ainsi que les autres êtres agissent par la nécessité de la nature ». Éth., V, 10, t. ii, p. 288. Spinoza rejette cependant cet amoralisme. Il admet que nous avons « le pouvoir d’ordonner et d’enchaîner les affections du corps…, de concevoir une conduite droite de la vie…, de développer en nous la connaissance de la vérité qui nous permettra de nous unir à Dieu plus étroitement et de nous détacher de notre corps ». Éth., V, 4, 10, ibid., p. 283, 287 ; cf. Court Traité, II, c. xx, t. i, p. 164. Mais, en définitive, quelle sera la nature de l’effort personnel requis pour s’élever au degré supérieur de connaissance et réaliser notre progrès moral ? L’effort, dans le système de Spinoza, n’est que l’essence actuelle de la chose elle-même, et cet effort ne dépend pas de l’homme, il est la conséquence naturelle de l’évolution cosmique. Cf. P. Siwek, Spinoza et le panthéisme religieux, Paris, 1937, p. 146-160 ; 266-274. Le panthéisme de Spinoza est peut-être, comme on l’a dit, « un sommet ». Mais c’est un sommet à double pente, dont l’une s’incline vers un optimisme illusoire, avec l’idéalisme de Fichte, de Schelling ou de Hegel, , et l’autre, vers le pessimisme d’un Schopenhauer.

Les systèmes de ces auteurs impliquent tous, en effet, sous des aspects divers et avec des formules différentes, un panthéisme analogue à celui de Spinoza. Pour Fichte, Dieu ou plutôt le divin fut d’abord conçu comme l’ordre intelligible ou moral qui domine le monde sensible et phénoménal, ordre existant par lui-même, absolument premier, das absolute Erste. Mais ensuite, par une évolution métaphysique qui le rapproche de Plotin, Fichte a présenté cet ordre moral comme simplement absorbé dans le divin. Dieu étant l’un et l’Absolu dont l’esprit humain n’est que la conscience et la révélation.

Comme Fichte, Schelling professe un panthéisme idéaliste. En soi, l’Absolu, Dieu, est tout ; le monde, rien. D’où le nom d’acosmisme, proposé par Fichte lui-même. Le monde qui est le fini tirerait son origine d’une chute ou d’une défection hors de l’Absolu, in einrr Entjernung, einem Abfall von dem Absolute. Ainsi, si le mal est dans le monde, la faute n’en est pas à l’Absolu, mais au monde lui-même qui, au lieu de demeurer dans l’Absolu, a voulu ( ?) s’en séparer. A moins d’établir une contradiction en Dieu — l’Absolu se détachant de lui-même — cette doctrine semble ressusciter le dualisme antique. Voir Bréhicr, Schelling, Paris. 1912, p. 199 sq.

Hegel présente un système peut être plus cohérent, mais aussi difficile a saisir. On en a exposé les grandes lignes religieuses a propos de la Trinité, voir Ce mot, eol. 1 ~HX. Le principe de tout est l’Idée (thèse), laquelle s’extériorise, s’oppose à elle-même et devient la

Nature (antithèse) ; puis, revenant sur elle-même, elle se connaît, prend conscience d’elle-même et devient l’Esprit (synthèse). Quelle que soit la valeur objective à accorder à cette conscience de l’Idée par l’Esprit, il reste vrai que, comme Fichte et Schelling, Hegel propose un système d’où, en soi, le mal devrait être exclu, puisque l’Absolu, l’Idée sont perfection, source de lumière et de vérité.

Si Spinoza devait fatalement aboutir à la négation du bien et du mal, ces trois philosophes, voulant expliquer par l’Absolu et l’Infini l’existence du relatif et du fini, posent à nouveau le problème du mal sans y apporter de solution. Schopenhauer et Hartmann voudront le résoudre, mais en descendant la pente opposée. À l’Idée qui s’extériorise, Schopenhauer substitue une Volonté qui s’objective et pro.duit cette illusion qu’est le monde, un monde qui, l’expérience quotidienne nous l’apprend, est » le plus mauvais des mondes possibles… ». De l’optimisme, nous passons ainsi brusquement au pessimisme, sans pouvoir l’expliquer davantage. Cf. Ruyssen, Schopenhauer, Paris, 1911, c. ix, p. 279 sq. La superposition de l’Inconscient qu’Hartmann a faite à la thèse de Schopenhauer est purement et simplement la négation de toute explication rationnelle. Le canon 5 (2) du c. i de la constitution De fide catholica atteint tous ces systèmes.

En voulant concilier le dogme chrétien de la création avec les tendances de la philosophie moderne, Giinther a penché vers l’optimisme négateur de la liberté divine dans l’œuvre du monde. Cf. Kleutgen, Théologie der Vorzeit, t. i, n. 579, 580. Pie IX a signalé expressément ce point dans sa lettre Eximiam luam, Denz.-Bannw., n. 1655. Rosmini n’est pas indemne de tout reproche. Voir sa prop. 18, ici t. xiii, col. 2937.

2° L’enseignement commun de la théologie catholique. — Dans le précédent exposé des doctrines qui admettent un Dieu personnel et créateur du monde, on est frappé des nombreux traits de ressemblance que ces doctrines présentent avec l’enseignement authentique de l’Église, spécialement en ce qui concerne la bonté divine, en vue de laquelle Dieu agit en créant le monde, et la cause du mal, qu’on peut considérer comme un simple accident dans l’ordre du monde, comme la condition du bien, condition indirectement voulue ou simplement permise par un Dieu très bon et très sage. En quoi donc ces systèmes s’écartent-ils de la vérité ? Uniquement sur un point

— mais un point grave, qui ne tend à rien de moins qu’à nier la liberté divine : la nécessité, tout au moins morale, où Dieu serait, s’il se décide à créer, de choisir l’ordre le meilleur et le plus parfait.

Cette liberté de spécification, les Pères do l’Eglise

— exception faite peut-être d’Origènc qui a soutenu le retour final au bien de tous les êtres raisonnables — l’ont unanimement enseignée. Voir ici t. iii, col. 2141.

Saint Thomas a bien précisé le point où les partisans de l’optimisme ont dévié de la vérité en tirant de la bonté et de la sagesse divine une conclusion qui ne s’imposait pas. Sans doute. Dieu ne peut rien faire qui ne soit conforme à sa sagesse et sa bonté. Ce sont là des motifs qui entrent toujours dans les décisions divines. Cf. ï a, q. xxi, a. 4. Mais de ce que sagesse et bonté divines ne sont jamais absentes des décisions divines, il ne s’ensuit pas que la volonté toute-puissante de Dieu soit orientée par elles en un sens unique. Une telle affirmation Impliquerait que la cause des décrets divins doive être cherchée en dehors de la volonté de Dieu. Or il faut tenir ferme ment qu’on ne peut assigner de cause à la volonté divine, sinon la volonté elle-même qui ne fait qu’un avec la bonté et la sagesse. I’. q. i. a 5, V oir ci-dessus, col. 3327. Mais la bonté, la sagesse divines