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VOLONTE. DE DIEU, OBJET


Le concile de Soissons, en 1140, proscrivit cette proposition d’Abélard : « Que Dieu ni ne doit ni ne peut empêcher le mal. » (Prop. 8, Denz.-Bannw., n. 375.) Il pourrait l’empêcher, car le mal n’est pas un rival ou un égal de Dieu qui existe nécessairement. « Comment pourrait-il l’empêcher ? Soit en ne créant pas les êtres exposés à pécher ou capables de pécher ; soit en leur accordant des secours tellement abondants qu’ils deviendraient, en fait, impeccables, comme le fut la sainte Vierge Marie ; soit en leur communiquant dès leur premier instant la vision béatifique, qui les riverait pour toujours au souverain Bien. Il n’est pas tenu de l’empêcher. La créature raisonnable, naturellement faillible, portant un libre arbitre qui est de lui-même sujet aux fluctuations, ne peut devenir impeccable qu’en vertu d’un don purement gratuit… Dieu n’est aucunement tenu d’accorder ce qui est gratuit et extraordinaire et de produire des créatures impeccables. .. Si Dieu devait empêcher le mal sous toutes ses formes, il serait obligé de ne pas créer les êtres dont il prévoit d’avance la perversité ; et ainsi la malice de la créature limiterait la puissance du Créateur… » E. Hugon, Les vingt-quatre thèses thomistes, Paris, 1922, p. 274-275.

La raison de la volonté divine permissive du mal moral, c’est le bien qui résulte effectivement du mal permis (voir la doctrine de saint Augustin, art. Mal, loc. cit.) : le bien de la liberté humaine qui peut faillir sans doute, mais qui peut aussi permettre à l’homme, avec le secours de la grâce, de s’élever très haut dans la sainteté. Le péché lui-même a son rôle à jouer dans le développement du plan providentiel dans le sens du bien. La foi catholique montre quel bien supérieur peut résulter du mal moral : le péché de l’homme a été l’occasion de l’incarnation (o felix culpa !), de l’institution de l’Église et des sacrements, de tout cet ensemble de causes susceptibles d’amener l’homme à une haute perfection morale ; sans persécutions, pas de martyrs ; sans infidèles, pas de missionnaires : « c’est dans le secours et le remède apportés aux misères morales de toutes sortes que s’épanouissent dans tout leur charme les plus beaux dévouements des enfants du Christ, et c’est en fonction des luttes d’ici-bas que nous aurons une Église triomphante, une humanité glorieuse des combats qu’elle aura soutenus. .. » E. Hugueny, Critique et catholique, t. ii, p. 102.

d) Notre considération doit encore s’arrêter sur le mal de peine. À la fin de son article sur la volonté de Dieu et le mal (I a, q. ix, a. 9), saint Thomas envisage le « mal de peine », c’est-à-dire la punition infligée par Dieu pour rétablir l’ordre moral violé par le péché ; et il explique le rôle de la volonté divine à l’égard de la peine exactement comme à l’égard du mal physique : Dieu veut directement le bien qui y est attaché. « En voulant la justice, il veut la peine du coupable. »

Cetfft assimilation est très importante pour bien comprendre le dogme de la réprobation et éviter d’une part les excès des prédestinatiens, des calvinistes et des jansénistes, d’autre part les déficiences des pélagiens et semipélagiens. Sans descendre dans le détail des nuances qui séparent les écoles catholiques, on doit dire que la réprobation, selon notre mode de concevoir, comporte pour ainsi dire deux actes de la volonté divine : le vouloir permissif du péché, le vouloir de la restauration de l’ordre moral. La réprobation est donc la volonté qu’a Dieu de permettre le péché et ensuite d’infliger, pour le péché, la peine de la damnation. Dieu ne pre-destine personne au mal, mais, conséquemment au péché permis et prévu, il veut le châtiment du pécheur pour rétablir l’ordre moral violé. Sur le rôle de la volonté divine dans la prédestination, voir Prédestination, col. 3009-3010.

Toutefois, tant que le pécheur vit sur terre, la justice n’oblige pas la volonté divine à lui infliger le mal de peine. Ce qu’on a dit plus haut des raisons qui

justifient la volonté permissive de Dieu relativement au mal moral doit nous éloigner d’une conception étroite et mesquine d’un Dieu tenu à proscrire et à punir le péché. Certes, Dieu proscrit et punit le péché. Mais sa providence admirable et sage sait en tirer le bien et faire resplendir la bonté et la miséricorde à côté de la justice. On ne saurait établir de comparaison entre l’obligation qu’ont les hommes de fuir le péché et de le combattre et la situation de Dieu par rapport à ce même péché.

Il y a encore cette différence entre Dieu et l’homme, que l’homme n’est pas innocent, s’il laisse commettre le péché qu’il peut empêcher, et que Dieu qui, le pouvant empêcher sans qu’il lui en coûtât rien que de le vouloir, le laisse multiplier jusqu’à l’excès que nous voyons est cependant juste et saint ; quoiqu’il fasse, dit saint Augustin (Op. imperL, t. III, 23, 24, 27, P. L., t. xlv, col. 1256, 1257), ce que, si l’homme le faisait, il serait injuste. Pourquoi, dit le même Père, si ce n’est que les règles de la justice de Dieu et celles de la justice de l’homme sont bien différentes ? Dieu, poursuit-il, doit agir en Dieu et l’homme en homme. Dieu agit en Dieu, lorsqu’il agit comme une cause première, toute-puissante et universelle, qui fait servir au bien commun ce que les causes particulières veulent ou opèrent de bien ou de mal ; mais l’homme, dont la faiblesse ne peut faire dominer le bien, doit empêcher tout le mal qu’il peut.

Telle est donc la raison profonde par laquelle Dieu n’est pas obligé d’empêcher le mal du péché… Comme donc il ne peut s’ôter à lui-même ni le pouvoir d’empêcher le mal, ni celui d’en tirer le bien qu’il veut, il use de l’un et de l’autre par des règles qui ne doivent pas nous être connues, et il nous suffit de savoir, comme dit encore saint Augustin (loc. cit., c. xxiv) que, plus sa justice est haute, plus les règles dont elle se sert sont impénétrables. Bossuet, Défense de la Tradition et des saints Pères, t. XI, c. IV.

e) Enfin, le péché comportant un acte positif de la volonté humaine, on doit se demander quelle part la volonté divine a dans l’acte du pécheur. Question traitée à Péché, t. xii, col. 202-205 ; Prémotion, t. xiii, col. 71-76. Voir Ami du clergé, 1928, p. 771779.

Conclusion. — Par rapport à son objet, la volonté divine peut être conçue selon un parallélisme très étroit avec la science divine. Son objet primaire, comme celui de la science, est l’essence divine, Vérité suprême par rapport à la science, Bonté souveraine par rapport à la volonté. C’est donc là l’objet propre, adéquat et qui, pour ainsi dire, spécifie la volonté divine : d’où l’appellation théologique d’objet formel. L’objet secondaire de la volonté, comme celui de la science, ce sont tous les êtres en dehors de Dieu. La connaissance dé ces êtres n’ajoute aucune perfection nouvelle à Dieu qui est indépendant d’eux et les atteint dans l’exemplarisme de son essence ; de même, en appelant à l’existence d’autres êtres, la volonté divine n’en retire aucune perfection nouvelle ; elle leur communique seulement, et librement, une participation de bien souverain. L’objet secondaire de la science et de la volonté est donc purement matériel. Sur un seul point, le parallélisme ne peut être soutenu. Alors que les possibles sont objet de la science divine, ils ne sauraient être atteints par la volonté, dont l’objet secondaire est constitué par les seuls êtres réels.

2° Les êtres existant en dehors de Dieu sont voulus et aimés de Dieu pour lui-même. — Cette vérité générale a été exposée à propos de la création. La création représente, en effet, la totalité des effets extérieurs, objet secondaire de la volonté divine. Voir Création, t. iii, col. 2163-2166. On a noté que Dieu lui-même est la fin principale de la création, col. 2167. Par conséquent, il veut les êtres autres que lui pour lui-même, col. 2167. Les ayant voulus ainsi, il les aime prin-