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VOLONTARISME. DANS L’AME HUMAINE


tif catégorique est déjà une grave lacune : ne pourrait-on pas soupçonner la volonté de formuler la loi d’une manière arbitraire ? Comment reconnaître qu’une action est susceptible d'être érigée en loi universelle ? Il faudrait recourir à l’expérience et l’expérience peut être un critérium trompeur : ne fournit-elle pas des lois morales universelles s’inspirant du plaisir, de l’intérêt ou de l'égoïsme ? En bref, aucun fondement solide ne peut être logiquement assigné à l’impératif catégorique. Mais, d’autre part, pour imposer sans discussion possible sa conception formaliste, Kant devrait prouver que tout autre fondement moral est impossible à concevoir. Or, cette preuve est loin d'être faite : la morale de l’eudémonisme, christianisée par saint Thomas, se présente comme un système cohérent et satisfaisant pour l’esprit, à condition toutefois qu’on ne se ferme pas, par une critique destructive, le champ de la métaphysique. Cf. Su/77, theol., I'-II », q. ii, m ; Cont. Cent, t. III, c. xxv-xxxvii.

Cette critique destructive fait le vice radical de la morale volontariste de Kant, puisque l’auteur s’est interdit, par la Critique de la raison pure, de pénétrer dans le domaine des réalités. Ne pouvant plus arriver jusqu'à Dieu, Kant essaie de construire une morale purement rationnelle, et la morale rationnelle ellemême, simple éthique naturelle, ne peut se passer de Dieu comme fondement dernier.

Kant le sent si bien lui-même qu’il est obligé de sortir, par voie d’expédient, de la contradiction dans laquelle son criticisme l’enferme. Il est contraint de promulguer la liberté, la vie future, Dieu lui-même comme des postulats du devoir. C’est au nom de la morale et non de la connaissance spéculative que nous demandons qu’ils soient. Ces postulats sont objets, non de science, mais de croyance ou de foi. « Nous raisonnons comme Kant, dit encore Mgr d’Hulst. Nous remontons comme lui de l’impératif absolu de la conscience à la réalité de l'être absolu qui, seul, peut fonder l’obligation. Mais nous le faisons plus légitimement, parce que nous n’avons pas commencé par infirmer d’avance tous nos raisonnements en confinant notre raison dans le cercle infranchissable des conceptions subjectives et a priori. » Conférences de Notre-Dame, carême 1892, p. 424.

Ces notes philosophiques très sommaires doivent être complétées : on consultera les ouvrages et articles spéciaux sur la morale kantienne. Une bonne mise au point est à prendre dans le Dictionnaire apologétique de la loi catholique, art. Criticisme kantien, t. i : Exposé de la morale, col. 742-747 ; Critique, col. 755, 757. Les nombreuses références qu’on y trouvera suffisent amplement.

b) Au point de vue théologique. — Ici, le volontarisme kantien est condamnable sous plusieurs rapports. Son point de départ, la négation de toute connaissance des réalités en soi, est atteint par la réprobation dont Pie X frappe l’agnosticisme dans l’encyclique Pascendi, Denz.-Bannw., n. 2072. De plus, il est impossible de tenir l’existence de Dieu, la vie future, la liberté humaine comme de simples postulats, objets de croyance et non de connaissance rationnelle. Le concile du Vatican a défini comme un dogme de foi la possibilité de parvenir par les lumières naturelles de la raison à une connaissance certaine de Dieu, et Fie X, dans le serment antimoderniste, a déclaré que cette connaissance certaine était acquise par voie de raisonnement en partant des choses crées. Denz.-Bannw., n. 1785 et 1806, 2145. L’immortalité de l'âme et une vie future sont aussi objet de démonstration rationnelle, ibid., n. 1627, note 2 ; voir ici Bautain, t. ii, col. 482 et Traditionalisme, t. xv, col. 1350. La liberté de l'âme est également une vérité naturelle démontrable, ibid., n. 1650.

Enfin, directement contre la morale strictement rationnelle de Kant, on doit invoquer la condamnation par Pie IX des propositions 3 et 4 du Syllabus, Denz.-Bannw., n. 1703-1704. Voir ici Syllabus, t. xiv, col. 2891. Indirectement, on peut en appeler à la condamnation par Alexandre VIII du péché philosophique. Voir PÉCHÉ PHILOSOPHIQUE, t. XII, COl.

255 sq.

Le volontarisme psychologique.

Transposée

dans le domaine de la psychologie, la thèse volontariste a des répercussions sur le problème de la foi et dans l’appréciation de la moralité des actes.

1. Exposé.

Descartes explique l’assentiment intellectuel du jugement par l’influence de la volonté : « Par l’entendement seul, je n’assure ni ne nie aucune chose, mais je conçois seulement les idées des choses que je puis assurer ou nier. » Quatrième méditation, t. ix, 1, p. 45. C’est la volonté qui juge, qui affirme ou qui nie : « Toutes les façons de penser que nous remarquons en nous peuvent être rapportées à deux générales, dont l’une consiste à apercevoir par l’entendement et l’autre à se déterminer par la volonté. Ainsi, sentir, imaginer et même concevoir des choses purement intelligibles ne sont que différentes façons d’apercevoir ; mais désirer, avoir de l’aversion, assurer, nier, douter sont des façons différentes de vouloir. » Principes de la phil., i, n. 32 ; cf. n. 34, 35, t. ix, 2, p. 39-40. On trouve des assertions similaires dans V. Brochard, De l’erreur, Paris, 1879, c. vi, De la croyance, p. 95 sq.

Poussée à l’extrême, la thèse volontariste rejoint l’agnosticisme. Pour Kant, voir ci-dessus, les choses en soi ne pouvant être objet de connaissance, l’existence de Dieu, la liberté, l’immortalité de l'âme deviennent de simples postulats de la morale et objets, non de science, mais de foi ou de croyance. L'école néocriticiste (Lequien, Renouvier, Secrétan), en suivant la voie tracée par Kant, aboutit à un véritable fidéisme. Pour Renouvier, aucune vérité ne s’impose par elle-même ; erreur et vérité sont également nécessaires ; aucune certitude n’existe en nous que nous n’en soyons l’auteur par une intervention de notre volonté libre. Cf. Essai de critique générale, 2e essai, Psychol. rationnelle, Paris, 1875, t. i, p. 307 ; t. ii, p. 92.

Le pragmatisme contemporain a encore accentué le fidéisme. W. James s’efforce de montrer que « la connaissance et la logique pure ne constituent pas les seules forces qui, en fait, engendrent les croyances », et ainsi, même en droit, « notre nature personnelle possède non seulement la faculté légitime, mais encore le devoir d’exercer un choix entre les propositions qui lui sont soumises, toutes les fois qu’il s’agit d’une véritable alternative dont la solution ne dépend pas uniquement de l’entendement ». La volonté de croire, tr. fr., Paris, 1916, p. 31. Cette position se comprend mieux quand on se souvient que le pragmatisme de James est surtout une orientation religieuse. Mais il est aussi — et c’est ici que le volontarisme sousjacent apparaît — une théorie de la vérité. Cf. Le pragmatisme, tr. fr., 1911, p. 64-65. Selon l’opinion traditionnelle, la vérité est dans l’accord de l’idée avec la réalité. Mais, pour James, cet accord ne doit pas se concevoir comme une « copie du réel », faisant de la vérité « une relation toute statique, inerte ». L’idée devient vraie en s’expérimentant. L’idée est vraie dans la mesure où elle paie : ainsi, parce que « le soleil du matérialisme se couche dans un océan de désillusions », et que la croyance spiritualiste a pour objet un monde plein de promesses, c’est cette dernière qui est vraie. Op. cit., p. 183-195. L’idée vraie est donc avant tout un instrument pour l’action. Et cela est vrai aussi bien dans le domaine