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leurs actes, la volonté divine ne fait que constater ces liaisons et les rend, à l’extérieur, obligatoires. Dieu, étant le Bien souverain, ne peut pas ne pas vouloir que ses créatures raisonnables et libres échappent à l’obligation du bien moral.

Or, nous pouvons être assurés qu’un tel ordre moral existe dans l’exemplarisme divin, répondant à la nature même des choses, et avant toute intervention de la volonté de Dieu. Kien qu’en considérant la nature raisonnable ordonnée vers le vrai et vers le bien, ou encore la marche normale de la société humaine, on saisit facilement la nécessité et l’existence d’un certain ordre moral, droits et devoirs réciproques, parce que ce sont là des relations essentielles de la nature raisonnable, laquelle, sans ces relations, serait un tissu de contradictions. C’est là ce que les théologiens thomistes appellent la moralité considérée initiative et fundamentaliter. Mais ces relations essentielles, dont notre esprit saisit la nécessité et l’existence, manqueraient de fondement et de caractère obligatoire, s’il n’existait pas un être qui soit le prototype, l’idéal de l’ordre auquel tout homme doit se conformer s’il veut demeurer dans la moralité : prototype idéal, à la fois cause exemplaire — et d’abord cause exemplaire — et cause efficiente, transformant, en le rendant obligatoire, le bien rationnel en bien formellement moral.

En bref, la morale naturelle ne se réduit pas à des commandements divins. Au lieu de rapporter, comme Descartes l’a fait, les essences en général à la volonté divine, « Leibniz a vu la vérité en faisant de l’entendement divin le lieu des essences, et du vouloir divin la source des existences… Si donc on nous pose cette question : le fondement du devoir est-il en Dieu, oui ou non ? nous répondrons : il est en Dieu comme en son dernier support ; mais son support immédiat est l’ordre des relations, l’ordre des fins ». Mgr d’Hulst, Carême 1891, 4e conférence. Cet ordre des relations et des fins trouve lui-même son fondement en Dieu, mais à ne connaître que le support immédiat de la moralité qu’il constitue, on n’est pas encore lié par la conscience de l’obligation, mais on peut en soupçonner l’existence. Toute cette doctrine est résumée par Gonet en cette proposition : Si enim lex œlerna, tubindeque omnes alise leges tollercntur, mendacium iidii essei malum morale nec peccatum FORMALITER et COMPLETIVE (voilà le « moral » ), sed FUNDA-MENTALITER et INITIATIVE, quia effet contrarium naturel rationali (voilà le « rationnel » ) et ex se ac ex sua natura aptum, ut prohiberelw a legibus, si ponerentur. De vit Us et peccatis, n. (56 ; cf. Salmani ii ruses, ibid., disp. VI I, dut), i, n. 11.

Cille position sauvegarde à la fois le caractère rationnel de la morale naturelle et en même temps son fondement divin, tout en éliminant les excès du volontarisme. Sauvegarder le caractère rationnel de la morale naturelle tout en en montrant le fondement divin, ce n’est pas, quoiqu’on en ait dit, ouvrir les voies a la constitution d’une morale laïque, c’est-à-dire dune morale sans Dieu.


II. Le volontarisme dans l’amb humaine.

On peut l’étudier :
1° Dans l’ordre strictement moral ;
2° Dans l’ordre psychologique, avec ses répercussions morales et religieuses,

Le volontarisme éthique de Kant. —

Bien que la conception morale de Kant relevé spécifiquement de la philosophie, il est nécessaire d’en retracer ici brièvement les éléments constitutifs et de montrer comiiiini h volontarisme, transposé sur le plan de l’éthique, est inconciliable avec les principes de la morale catholique. L’article K.wi a renvoyé à ce sujet au livre de ic ira Delbos, L" philosophie pratique de Kant { ! édit., Paris, 1025). L’est le c. IV « le la deuxième partie de cet ouvrage qu’on résumera ici à grands traits.

1. Exposé.

Pour Kant, ce qui est bien, c’est la bonne volonté et la bonne volonté est celle qui agit uniquement par devoir. Elle n’agit pas pour atteindre une fin ou pour réaliser un objet de désir ; elle agit par une maxime indépendante de toute fin et de tout objet de cette sorte. La bonne volonté ne se laisse déterminer que par la loi morale. Kant toutefois n’exclut pas d’une façon absolue l’acte accompli avec inclination vers une fin déterminée, si cette fin rentre dans la perspective du devoir.

La loi morale devient le mobile de nos actes par le sentiment du respect que nous avons pour elle. Ce respect n’est pas provoqué par des impressions sensibles ; il est engendré par la loi et il a la loi pour objet ; il est un produit spontané de la raison et nullement le fondement de la moralité. Ainsi donc, « puisque la volonté doit s’abstraire et de la considération des fins et de l’influence des inclinations, il ne peut rester pour la déterminer, objectivement, que la loi, subjectivement, que le respect pour cette loi » (p. 343).

En son concept pur, la volonté est la faculté d’agir selon la représentation des lois. Dans un être en qui raison et volonté ne feraient qu’un, les actions seraient subjectivement et objectivement nécessaires, la volonté ne choisissant jamais que ce que la raison, dégagée de toute influence extérieure, considérerait comme pratiquement nécessaire. Mais, parce que la volonté humaine est soumise à des mobiles sensibles, à des conditions subjectives qui ne s’accordent pas toujours avec les lois objectives, il faut que les lois objectives s’imposent à la volonté comme une contrainte, un commandement : c’est là l’impératif catégorique du devoir.

Les impératifs hypothétiques ne déclarent une action pratiquement nécessaire que comme un moyen en vue d’une fin ; ils forment les règles de l’habileté, ils sont les conseils de la prudence. En opposition avec ces impératifs hypothétiques il y a l’impératif catégorique qui représente l’action comme nécessaire objectivement et bonne en soi, sans rapport à une condition ou à une autre fin. Cet impératif catégorique trace les règles de la moralité, lie la volonté à la loi et implique par lui-même que la maxime, c’est-à-dire le principe subjectif de notre action, soit conforme à cette loi. Or, le caractère de la loi, c’est : 1° l’universalité : « Agis comme si la maxime de ton action devait par ta volonté être érigée en loi universelle de la nature » ; 2° le respect de la valeur absolue de la personne humaine : » Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen » ; 3° l’autonomie : on doit obéir à la loi uniquement parce que c’est la loi. C’est ici surtout qu’apparaît le volontarisme éthique : le devoir, parce que c’est le devoir, sans chercher dans d’autres considérations la justification de ce devoir.

2. Appréciation.

a) Au point de vue rationnel.

La morale kantienne se présente avec une austérité qui fait impression et ne manque pas de grandeur. Devant elle, le penseur catholique éprouve un sentiment de respect. Mais il s’agit de savoir si elle est fondée en raison.

Ne voulant justifier sa morale par aucune considération de bien oiï de bonheur, Kant ne peut qu’imposer l’impératif catégorique sans le démontrer. « Il fait, comme l’écrit F. Rauh, œuvre de logicien, d’analyste, et n’étudie pas l’idée d’obligation dans ses relations mouvantes avec les choses, i L’expérience morale. Paris. 1037. p. 27-28.

Ne pouvoir démontrer le bien-fondé de l’impéra