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    1. VOLONTARISME##


VOLONTARISME. EN DIEU

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1. La thèse volontariste en fonction des objections à résoudre. — Nous avons constaté que les théologiens volontaristes, depuis Abélard jusqu’à Pierre d’Ailly, ont enseigné cette conception avec la préoccupation de répondre aux objections tirées de l’Écriture. Il semble donc dillicile de parler ici de doctrine ferme, enseignée pour elle-même. L’apologétique comporte souvent des aspects discutables que, mieux informé, le défenseur de la foi chrétienne s’empresse de modifier. C’est le cas de la thèse d’Abélard. Si Abélard avait écrit cent ans plus tard, la lettre d’Innocent III à Ymbert d’Arles aurait vraisemblablement apaisé ses scrupules touchant la peine du péché originel. Cf. Denz.-Bannw., n. 410.

Le volontarisme de Scot apparaît comme un élément subsidiaire de la solution proposée, bien plus qu’il ne l’inspire. En effet, la distinction entre droit naturel strict et droit naturel large, entre les lois de la première table et celles de la seconde, laisse pressentir un accord possible avec la solution communément présentée. Voir ici Loi, caractère immuable et dispense, t. ix, col. 881-882. Si Occam, Biel, Gerson et d’Ailly affirment sans restriction que la volonté divine est la règle du bien et du mal, non seulement en tant qu’elle prescrit ou défend, mais encore en tant qu’elle détermine ce qui est bien ou ce qui est mal ; s’ils ne distinguent pas, comme Scot, les préceptes de la première table et ceux de la seconde, le droit naturel strict et le droit naturel large, il n’en est pas moins vrai que tous sans exception proclament que le choix auquel s’arrête la volonté divine ne saurait être qualifié d’arbitraire. Occam, qui était allé le plus loin en cette voie, affirme que tout ce que Dieu fait est par là même juste.

On ne saurait admettre cependant que la haine de Dieu, connue comme telle, puisse, par la volonté divine, devenir un acte bon ou même simplement non déméritoire. Aussi est-ce à juste titre qu’avaient été retenues comme dignes de censure la proposition d’Occam et celle de Jean de Mirecourt. On remarquera toutefois que ces auteurs n’ont jamais envisagé cette étrange hypothèse comme réalisable par la puissance ordonnée de Dieu. C’est toujours de potentia absolula qu’ils en parlent. Nous sommes donc en droit de conclure que le volontarisme étendu à la puissance absolue de Dieu est étranger à l’explication des faits relevés dans la sainte Écriture, ces faits relevant nécessairement de la puissance ordonnée de Dieu.

En sorte que, finalement, dépouillée de sa prétention apologétique, le volontarisme est réduit à n’être qu’une opinion philosophique, discutable au premier chef.

2. La thèse du volontarisme considérée en elle-même.

— a) Part de vérité. — Le volontarisme semble avoir raison lorsqu’il s’agit de formuler, en morale, le principe premier de l’obligation et de la responsabilité. Quelles que soient les discussions théoriques possibles sur ce point, il est permis d’adopter la position prise par le cardinal Billot, De Deo uno, th. iii, § 3. Voir également ses articles dans les Études, 20 août 1920. La thèse est reprise et brillamment défendue par le P. Nivard, art. Responsabilité dans le Dict. apol. de la foi cath., t. ii, col. 941 sq. : « L’obligation parfaite de la loi naturelle ne peut être valablement acceptée sur la simple dictée de la raison autonome (Kant) ; — ou sur la seule constatation de ce qui s’accorde avec la nature raisonnable ; — ou avec l’ordre objectif des choses (Vasquez-Gerdil) ; — ou sous la seule poussée des inclinations de la nature profonde (Janet et quelques auteurs récents) ; — mais uniquement sur la manifestation naturelle des volontés divines connues comme telles. » C’est la thèse énoncée par saint Thomas lui-même : « La

conscience n’oblige pas par sa vertu propre, mais par la vertu du précepte divin ; car la conscience n’impose pas de faire quelque chose parce que cela lui paraît obligatoire, mais parce que cela est commandé par Dieu. » In /P"" Sent., dist. XXXIX, q. iii, a. 3, ad 3um. Cf. De veritate, q. xvii, a. 3.

Sans doute, cette position paraît ruiner la preuve assez populaire de l’existence de Dieu par le sentiment de l’obligation morale (ce qui n’est pas d’ailleurs exact : elle la transforme simplement en preuve par l’ordre moral) ; mais elle semble néanmoins conforme au bon sens même : « Car la notion d’obligation suppose évidemment la connaissance préalable de celui qui peut nous obliger, surtout lorsqu’il s’agit de cette obligation absolue, imprescriptible, inévitable, contre laquelle rien en ce bas monde ne peut prévaloir et qui est l’obligation propre à la loi morale. Or, celui qui oblige ainsi ne peut être que Dieu. Donc, avant que ne soit connu Dieu, l’existence de la loi et de l’obligation morale ne saurait être connue et la voix de la conscience, si tant est qu’elle se fasse entendre, n’est qu’une imagination vaine et sans consistance. » Billot, toc. cit. Et l’auteur de conclure : « Dans l’impératif de la conscience considéré en lui-même, pas de droit véritable ; pas de proportion surtout entre le mode catégorique de cet impératif et ce qu’on pourrait en concevoir comme le principe. La froide raison condamne tout cela et n’y voit rien de plus qu’un moyen d’épouvante, un préjugé, une impression purement subjective et qu’il faut mépriser. Ainsi donc, … antérieurement à la connaissance de Dieu, premier principe et fin dernière, il est impossible d’avoir l’idée de loi et d’obligation de conscience… » Ibid., trad. de l’Ami du clergé, 1923, p. 296.

Une seconde concession à faire au volontarisme concerne les lois divines positives, dans la mesure où ces lois ne constituent pas une simple ratification de la loi naturelle. La volonté divine pourrait ici créer, non seulement l’obligation, mais le caractère moral, bon ou mauvais, de l’acte commandé ou prohibé. Nous en avons deux exemples dans le Décalogue. « Tu ne te feras pas d’images taillées… Souviens-toi du jour du sabbat pour le sanctifier. » Ex., xx, 4, 8. La prohibition du culte des images et la sanctification d’un jour par semaine ne relèvent pas de la loi naturelle. Ici, le mal est tel parce qu’il est défendu, le bien est tel, parce qu’il est commandé.

b) L’erreur volontariste. — L’erreur du volontarisme est d’avoir fait de la volonté divine, en excluant le concours de l’intelligence, la règle dernière de toute discrimination entre le bien et le mal. Une telle prétention fournit un fondement sérieux au reproche d’arbitraire porté contre la thèse volontariste. Appréciant la position de Descartes, Leibniz conclut avec raison qu’une telle opinion « déshonore » Dieu. Théodicée, § 184-185. Voir Volonté, col. 3355.

Nous ne pouvons raisonner sur Dieu que par notre connaissance de l’âme humaine et par l’analogie de la foi. Or, la psychologie accorde la priorité à l’intelligence sur la volonté, nihil volitum nisi præcognitum. Pour vouloir une chose, il faut la connaître : l’intelligence précède et éclaire la volonté. De plus, le mystère de la Trinité montre que la procession selon l’intelligence a une priorité de nature sur la procession selon la volonté. Ces deux constatations suffiraient à donner une base solide à la doctrine communément reçue d’un exemplarisme précédant d’une priorité de raison le vouloir divin. Dieu connaît dans son essence, par sa science de simple intelligence, tous les êtres possibles et les enchaînements nécessaires ou contingents de leurs rapports réciproques. L’ordre moral est un de ces rapports et si cet ordre marque une liaison essentielle et nécessaire entre les êtres et