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VOL. MALICE

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matière grave moyenne était généralement fixée à un écu de cinq francs, tandis qu’elle était plus élevée dans les pays riches tels que les États-Unis d’Amérique et l’Angleterre, mais plus basse dans des pays moins fortunés tels que l’Italie, l’Espagne et surtout les colonies.

Passons au xxe siècle, où très rapidement, surtout après la guerre de 1914 à 1918, la valeur de la monnaie diminuant, les théologiens se voient contraints de hausser en compensation la limite de la matière considérable, tant la limite pour les différentes catégories de volés que la limite moyenne qui est celle des artisans, des ouvriers spécialisés ou des commerçants ordinaires et qui est applicable aux cas où la situation de fortune du volé est inconnue. Que si le voleur n’ignore pas la fortune de sa victime, certains théologiens se plaisent à préciser la quantité nécessaire selon qu’il s’agit d’un pauvre vivant d’aumônes, d’un ouvrier journalier, d’un ouvrier spécialisé, d’un employé, d’artisans et de commerçants à leur compte, de propriétaires ou rentiers à l’aise, de riches commerçants ou industriels, de maisons ou sociétés puissantes.

On est tenté de n’attribuer que peu de valeur à ces appréciations, changeant fatalement à chaque édition. Aussi vaut-il mieux s’appuyer sur un principe déjà communément admis au xviiie siècle et qu’il est facile d’exprimer en francs de la valeur du moment : est matière grave ce qui suffit et est requis pour l’entretien journalier de chacun selon sa condition. Chacun, en effet, qu’il soit pauvre, ou ouvrier, ou employé, ou commerçant, ou rentier, les richissimes exceptés, regardera comme grave le tort le privant de ce qui lui est nécessaire pour son entretien d’une journée. Accidentellement, on descendra en dessous de cette mesure, si l’objet volé, même de minime valeur, est indispensable pour le travail qui assurerait le gain de la journée. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre, l’exemple classique du vol d’une aiguille et d’une bobine de fil.

En revanche, la marge s’élargit dans les circonstances indiquant que le propriétaire ressent moins le tort qui lui a été fait par le vol, qu’il est minus inuilus selon le terme théologique. Ces circonstances, qui causent la présomption d’une moindre résistance à l’injustice, tiennent aux relations personnelles entre voleur et volé, ainsi entre époux, parents et enfants, maîtres et domestiques, et a l’objet lui-même qui se trouve tout à la fois sans protection et en grande quantité, comme les récoltes en plein champ, les carrés de charbon à la mine.

Il est patent qu’entre gens vivant en communauté en raison de la parenté il y a une certaine communauté de biens à côté des biens propres à chacun ; ce qui fait que vols entre époux, enfants et parents, sont moins vivement ressentis et assez facilement pardonnes, et qu’en conséquence Vanimus invilus du volé et Vanimus injuslus du voleur ne se révéleront qu’à partir d’une quantité plus considérable. les théologiens n’hésitent pas, généralement, à la doubler. — Quant aux gens de maison, ils sont moins indulgents, et ils n’admettent la nécessité d’une valeur plus grande que pour les aliments ordinaires que le personnel se ferait une habitude de prendre en surplus contre le gré des patrons, mais la rejettent s’il s’agit d’aliments ou autres objets fie luxe ou de grand prix ; à cet égard, les vols des domestiques sont à apprécier de la même façon que s’ils étaient commis par des étrangers.

Ordinairement, on admet aussi une échelle plus élevée pour juger de la gravité du vol d’objets exposés sans protection aux mains de tout le monde. I.e propriétaire ne peut s’attendre à ce que son bien soit

intégralement respecté, car il connaît la nature humaine des passants dont beaucoup ne résisteront pas à la tentation ; et ayant fait le calcul et le sacrifice de pertes qu’il croit inévitables, il ne sera vraiment invitus que contre des soustractions très considérables par grands vols ou trop multipliées en petits vols. En conséquence, la matière à péché mortel ira jusqu’au double de la quantité ordinaire.

b) La justice’sociale a aussi son mot à dire pour déterminer la quantité nécessaire à un péché mortel. En d’autres termes, il faut, dans l’appréciation du tort, tenir compte de l’intérêt commun. On comprend aisément que le tarif de l’intérêt public est de soi plus élevé que celui de l’intérêt privé du volé, car la société ne commence à être troublée que par des vols très graves. Aussi les théologiens ont-ils établi à côté de la gravité relative une autre mesure, celle de la gravité absolue, au delà de laquelle, quel que soit le propriétaire lésé et dût-il même être compté parmi les ditissimi comme l’État, les grandes banques, les richissimes maisons de commerce, et ainsi ne subir qu’un dommage supportable, il y aura néanmoins matière à péché mortel.

Comment fixer cette limite absolue ? La difficulté paraît encore plus grande que pour la gravité relative ; car comment apprécier le tort fait à la justice sociale ? Le sentiment des citoyens les plus prudents variera à l’infini et ne s’entendra que sur la nécessité d’une quantité plus grande. Les théologiens, pendant le xixe siècle, ont suivi la règle de saint Alphonse qui fixait la matière grave à deux ou trois aurei de la valeur de cinq francs. Mais bientôt on monta jusqu’à une et même deux pièces d’or équivalant chacune à un louis d’or, une couronne, une livre, cinq dollars ; nous croyons qu’aucun théologien n’osera guère dépasser la valeur de cent francs-or. À ces déterminations essentiellement variables, préférons une règle générale, analogue à celle de la gravité relative : est matière absolument grave ce qui est requis pour l’entretien d’un homme de situation moyenne pendant toute une semaine. Cette règle a été suggérée par la Nouvelle Revue Ihéoloyiqut, 1926, p. 132, et elle nous paraît sage et raisonnable.

2. Justification de ces règles.

Ces règles casuistiques ont besoin d’être justifiées et défendues contre quelques difficultés d’ordre soit général, soit spécial.

L’objection qui se présente tout d’abord ironisera volontiers : « Puisqu’on volant à quelqu’un le gain d’une journée, disons 200 francs du commencement de 1945, je commets un péché mortel, vais-je conclure que ce ne sera que péché véniel de voler 198 francs à un employé de condition pareille ? » Répondre : Votre objection n’a pas le sens commun, ne saurait satisfaire. La réponse de Suarcz est meilleure ; pourtant, vu la position des théologiens modernes, elle ne fait que reculer la difficulté. « Il y a encore péché mortel, dit-il, si la différence est tellement minime qu’elle équivaut à rien ; quæ enim parum distant, nihil distare videntur. « Par exemple 20 centimes.de notre monnaie de 1945 pratiquement ne sont guère que 0, puisque actuellement, un timbre excepté, on n’achète rien avec 20 centimes, lue fois hors de ce quasi-rien, nous restons perplexes devant le problème : y a-t-il encore matière grave ou est-ce déjà matière légère, si l’objet volé a une valeur de 198 ou 196 ou 194 francs ? L’objection n’est donc pas négligeable ; essayons d’répondre d’abord d’une façon générale puis par des arguments propres à la vertu de justice.

a) C’est là une difficulté qui se rattache au problème de la quantité morale et de ses limites ; problème qui ne se mesure pas géométriquement ou

arithmétiquement, mais qui ne peut être résolu que moralement, donc prudemment et au moyen de.i