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VŒUX DE RELIGION. CONSÉCRATION

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sance, soit la conversatio morum devenue inintelligible. Butler, p. 131-132. Il n’y avait d’ailleurs aucun doute que le « vœu monastique », comme disaient les sacramentaires et les conciles du temps, ne comportât la chasteté et une certaine dose de pauvreté et d’obéissance, secundum regulam ; mais justement la règle donnait à l’abbé un tel pouvoir d’interprétation que certains d’entre eux dispensaient, dit le pape Innocent III, trop facilement de toute pauvreté. La règle des chartreux, celles des chanoines réguliers et des carmes ont pris la formule bénédictine ; au xiiie siècle encore, la profession des dominicains ne mentionnait que l’obéissance, tandis que la règle de saint François semblait étouffer les trois vœux de la profession sous de multiples recommandations touchant à la vie intérieure.

Tout irait donc mieux en disant clairement que l’état religieux se fondait sur un unique vœu de vivre selon la règle, ce qui comportait nos vœux actuels. Le travail de systématisation — car c’en est un, et qui exigeait de la réflexion — s’est opéré pendant quatre siècles, et l’on en trouve les acquisitions dans les œuvres didactiques, ascétiques et polémiques du ixe au xiiie siècle, ainsi que dans les sermonnaires de ces temps-là : il serait curieux d’en montrer les progrès. D’une façon très générale, on a commencé par analyser la règle des moines et leur vie avec ses pratiques d’importance diverse ; et les notions de pauvreté, de chasteté et d’obéissance émergèrent tout naturellement du détail des observances. On peut comparer, à ce sujet, les commentaires de plus en plus nets de Bède, de Pierre Damien et de saint Bernard avec celui de saint Jérôme sur Matthieu, xix, 27-29, celui-ci, à juste titre, n’y voyant guère que « la séparation d’avec sa famille », In Matth., t. III, et les auteurs monastiques faisant surgir du texte la pauvreté, Bède, In nat. S. Benedicti ; Pierre Damien, De conlemptu sœculi, c. iii, P. L., t. cxlv, col. 253-254, enfin l’obéissance, S. Bernard, Serm. de verbis Domini : Ecce nos, sermon qui est plutôt de l’abbé Geoiîroy de Vendôme. Cette exégèse ad usum religiosorum a été condensée par saint Thomas, q. clxxxvi, a. 6, ad l um, avec cette remarque judicieuse « qu’il n’y est pas fait mention de vœu ».

Mais voilà qu’au xie et au xiie siècle de nouveaux instituts se fondent, les uns très austères, qui ajoutent à la règle bénédictine de nouveaux engagements, d’autres fort humbles qui ont les usages monastiques sans les vœux correspondants, par exemple les béguines, d’autres qu’on nomme les ordres militaires, qui n’ont pourtant ni le vœu de pauvreté, ni toujours le vœu de chasteté. Il était urgent de préciser les vœux inclus dans le votum monaslicum, pour décider si les nouvelles institutions réalisaient un état vraiment religieux. Cela ne se fit pas sans des polémiques, dont le grand avantage fut du moins de mettre en plein relief nos trois vœux de religion. Plusieurs excellents théologiens ne veulent cependant reconnaître comme vœu que la chasteté ; d’autres seulement l’obéissance : « Nous avons voué l’obéissance, c’est-à-dire que nous avons juré de vivre sous tel régime. » Hugues de Saint-Victor, Expositio in regul. S. Augustini, c. 11, P. L., t. clxxvi, col. 920. C’est pourtant sur cette règle si peu explicite de saint Augustin, et pour l’expliciter, que vient s’insérer, chez les ermites de Saint-Augustin, au xiie siècle, la mention distincte des trois vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Le pape Innocent III, en 1202, fit bénéficier de cette explicitation la règle bénédictine, restée à son imprécision originelle dans sa lettre à l’abbé de Subiaco : « La garde de la chasteté et le renoncement à la propriété sont des annexes essentielles de la règle monastique. » Citée dans la

Décrétale de Grégoire IX, De statu monachorum, cap. Cum ad monasterium., iii, 35. Tout était plus clair désormais, et les ordres mendiants pouvaient venir : ils n’y changeraient rien. Le vœu qui fait le religieux est unique, si l’on veut ; il forme un tout et il se prononce en une fois ; mais il vaut pour trois vœux distincts et essentiels, les autres vœux n’étant qu’accessoires pour constituer un ordre religieux. La trilogie d’Hildebert du Mans († 1133) n’est sans doute qu’approchée : « La sainteté religieuse s’établit sur trois piliers préétablis par le Seigneur Jésus, à savoir la charité fraternelle, la communauté des biens, communis substantia, et l’humble obéissance ; et l’obéissance est le principal des trois. » Sermo cxviii, P. L., t. clxxi, col. 880 ; mais, par ses hésitations mêmes à délaisser la charité et l’humilité, c’est un bon témoin de ce délicat travail d’approche vers notre trilogie classique.

Développement théologique.

On pourra être assez bref, parce que la doctrine à exposer se ramène pour une part à celle de l’utilité du vœu en général, telle qu’on l’a donnée à l’art. Vœu, d’après les Pères et les théologiens. C’est même à cet avantage privé, pour ainsi dire, des vœux de religion que s’attache saint Bonaventure, De perfectione evangelica, t. III, c. ii, corp. et obj. 10-19 : n’est-ce pas présomptueux de faire de tels vœux ? n’est-ce pas fermer la voie du salut aux faibles que de les obliger à faire cette promesse ? … Mais il y a un aspect social des vœux de religion qui est beaucoup plus important : aussi avons-nous dit que les Pères et les auteurs ascétiques avaient insisté sur ce fait capital que le vœu crée un état officiel dans l’Église, que les trois éléments de chasteté, de pauvreté et d’obéissance y sont requis, et qu’enfin l’un de ces éléments : la virginité, ou la pauvreté, ou l’obéissance y établissent tour à tour leur prééminence. C’est aussi les trois considérations complémentaires que développe saint Thomas, q. clxxxvi, a. 6, 7, 8 : le vœu est essentiel à l’état religieux, a. 6 ; les trois vœux ensemble ont un caractère plénier de perfection, a. 7 ; l’un d’eux, le vœu d’obéissance, y prend un caractère dominateur, a. 8, qui explique qu’on s’en soit contenté durant des siècles, parce qu’il impliquait les deux autres.

1. Le vœu est constitutif de l’état religieux.

Ce qu’on a dit à l’article précédent sur l’avantage du vœu, qui est d’affermir la volonté, II 1 - II*, q. i.xxxviii, a. 4, corp., et sur l’avantage que prend la chose vouée, d’être un acte de religion offert avec sa racine volontaire et d’une volonté confirmée dans le bien, a. 6, prend une valeur singulière quand il s’agit d’offrir à Dieu, non plus un acte de passagère générosité, mais sa vie entière. Le vœu apparaît alors seulement comme une démarche quasi indispensable. « À la rigueur, on pourrait concevoir un état de vie religieuse moyennant le seul engagement que l’on prendrait à l’égard de soi-même ; car, par ce bon propos, on assurerait déjà une certaine stabilité au genre de vie que l’on embrasserait. Toutefois cette stabilité manquerait à la fois d’uniformité et de fixité. » O. Lottin, op. cit., p. 25. Il ne faut pas condamner d’emblée comme insuffisant ce bon propos, car il fut à la base — sous le nom même de vœu, tel que l’entendait Origène, De oratione, c. xiv — de plusieurs institutions éphémères, du genre du gnostique chrétien de Clément d’Alexandrie, Stromates, t. VII, c. xii, n. 78, 7, P. G., t. ix, col. 509 ; cf. col. 481 ; voir encore Origène, In Matth. comm., tr. VIII, P. G., t. xiii, col. 890. Sans aller si loin, on la retrouve à la naissance de différents ordres religieux, à l’époque de la Renaissance, et l’un d’eux a subsisté sous cette forme, libre de vœux : c’est l’Oratoire de saint Philippe Néri et dé Bérulle, dont Bossuet a si bien saisi