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32 i VŒUX DE RELIGION. OBJEÏ 32 56

Saint Grégoire reprendra à l’usage des moines cette dialectique de l’amour consumant. Moral, in Job, 1. 1, c. v, n. 6 ; 1. Y, c. xi, n. 17 ; t. VIII, c. xxvi, n. 30 ; t. X, c.xii, n. 4 ; P. L., t. lxxv, col. 525 sq. Il recommande d’assurer la « sécurité de la pauvreté » individuelle par le désintéressement des moines et des monastères : In Evang., t. II, nom. XL, n. 7. Il admet, comme saint Benoît, que le monastère ait des biens fonds en suffisance, cf. dom L. Lévêque, Saint Grégoire et l’ordre bénédictin, p. 190 ; mais il se montre sévère pour les religieux qui, « ayant reçu la perfection de l’âme, doivent être insensibles à ce qu’ils ont méprisé ». In Ezech., hom. vi, n. 10. Il est plein de promesses pour « ceux qui atteignent le sommet de la perfection en triomphant du superflu ». Moral, in Job, t. II, c. lii, n. 84. Il admire la pauvreté de l’abbé Isaac, qui avait fondé un monastère « en refusant toutes les propriétés qu’on offrait à son usage, disant : « Un moine qui cherche la propriété sur la terre n’est pas un moine » ; ce moine mendiant évoquait déjà la figure de saint François d’Assise. Dialog., t. III, c. xiv, P. L., t. lxxvii, col. 244-246.

C’est pourtant dans le sillage de ces mystiques, un peu en marge de saint Benoît, que surgirent ces mouvements réformés vers une pauvreté collective plus grande. Saint Pierre Damien se réclamera des « édits des Pères antérieurs à saint Benoît ». De perject. monach., c. vi, P. L., t. i.xlv, col. 300.

Ces théories, assez diverses, sont en relation avec les diverses législations religieuses. Car, « même lorsqu’il s’agit des vœux essentiels, la chasteté mise à part, l’obéissance et la pauvreté sont comprises et pratiquées dans chaque ordre d’une façon un peu spéciale ». D. Delatte, Commentaire sur la règle de S. Benoît, p. 445.

d) Chez les fondateurs d’ordres.

Ils eurent aussi leurs mystiques et leurs réalisateurs. Ceux-ci disaient avec saint Benoît : Soyez pauvres parce que vous devez obéir en tout ; les autres, avec saint Bernard et saint François, diront : Si vous n’êtes pas pauvres en tout, vous ne pouvez aimer comme il faut Dieu et le prochain.

a. Saint Benoît de Nursie.— Il était, ici tout au moins, en harmonie préétablie avec celui qu’on a donné comme son inspirateur, l’auteur mystérieux de la Régula Magislri, c. 87 ; en sa règle à lui, il préconise une conception très stricte de la pauvreté individuelle, la fonde sur des principes d’ordre, d’obéissance, énoncées dans une formule juridique : « Que personne n’ait la témérité… d’avoir quelque chose en propre, aucune chose absolument, puisqu’il ne leur est pas même permis d’avoir en leur pouvoir ni leur corps, ni leur volonté », fondements de tout droit de propriété. Régula, c. xxxiii. La donation de la personne entraîne extinction de ses droits : accessorium sequitur principale ; mais le principal, c’est l’obéissance. En contre-partie « tous doivent recevoir également le nécessaire », avec référence à Act., iv, 32 et 35. Il prévoit des privations éventuelles, c. xl, xlviii, comme aussi, par compensation, des adoucissements passagers du régime, accordés par le Père de la famille, c. xli, liv, et des accroissements possibles de la propriété monastique, c. lvii. Saint Bède voit en cette pauvreté à l’abri du besoin « une réédition de la vie de l’Église primitive et une anticipation de la vie du siècle à venir où tout sera commun ». Liber retract., in Act., iv, 32 ; In Luc, t. IV, c. LIV.

b. Saint Bernard, fidèle sur ces différents points à la lettre de la règle, était assez peu soucieux de la tradition bénédictine parce qu’il se sentait la mission de lui infuser un esprit nouveau, celui de l’idéal de Cîteaux et de sa scola primitivæ Ecclesiæ, Exord.

magn. ord. Cisl., dist. I, c. ii, P. L., t. clxxxv, col. 998. Le but tout mystique de la pauvreté religieuse ne serait rien de moins que de restaurer en l’âme la charité par l’expulsion de la volonté propre et du proprium consilium : Huic contraria est recta fronte caritas. Porro communis voluntas carilas est. Serm., P. L., t. clxxxiii, col. 286 et 289. Entendons par là que, pour atteindre à cette < volonté commune » à nous et à Dieu, il faut tout d’abord « une sévère discipline des nécessités du corps qui nous détournent de Dieu », Deprœcepto, . XX, c. lx, t. clxxxii.coI. 893 ; cf. t. clxxxiii, col. 347 et 600 ; puis, une réduction impitoyable de tout superflu, même un peu en deçà des limites moyennes de la nécessité, pour se libérer d’un fardeau dangereux et faire la charité avec les biens ainsi économisés, biens que Dieu a voulus, communs à tous les hommes. De diligendo Deo, c. 8, n. 93 ; cf. Apolog., XII, c. xxviii-xxix, t. clxxxii, col. 987 et 915-916. Sur cette systématique particulière, voir É. Gilson, La théologie mystique de saint Bernard, 1934, p. 73 et c. m ; sur son ascèse de la pauvreté religieuse, cf. Sermo in jesto omnium sanct., n. 8 ; Declam., ii, n. 2 ; iii, n. 3 ; vii, n. 7 ; ix, n. 9 ; In Ps., xc, serm. viii, n. 12. Sur l’idée de pauvreté, communication des biens communs, voir le précédent d’Hildebert du Mans, P. L., t. clxxi, col. 892.

c. Saint Bonaventure peut être choisi comme interprète des aspirations qui se firent jour au xiii » siècle vers une pauvreté plus sévère que celle des anciens bénédictins et plus durable que celle des cisterciens, dont la pauvreté bienfaisante finit par être submergée sous les possessions. Chez le Docteur séraphique, « le point de vue économique et social de la pauvreté n’est pas négligé, dans le régime austère des ordres mendiants, ni non plus le haut idéal de pauvreté religieuse de saint François. Mais il a une vue plus exacte des conditions pratiques de la vie… On voit comment il était désigné pour rétablir l’équilibre au sein de l’ordre des frères mineurs, que troublaient des excès en sens opposés ». P. Jean de Dieu, O. C, Œuvres spirit. de S. Bonaventure, t. iv, préface, p. 15. Voici comment il définit la pauvreté des ordres mendiants : « Il y a deux manières de faire profession parfaite de pauvreté : l’une, en renonçant à la possession privée ou personnelle de tout bien temporel : on y vit de ce qui n’est pas à soi, mais est commun par un droit de possession auquel plusieurs participent ; l’autre, en renonçant à toute propriété en particulier ou en commun : on y vit de ce qui est à autrui. » Apologie des pauvres, c. vii, n. 4. La pauvreté franciscaine enfin comporte « l’indigence extrême des véritables pauvres, ni argent, ni mobilier, un seul vêtement », ibid., n. 5. La première observance est utile pour exterminer le mal (avarice, orgueil, occasions du péché), pour exercer à une vertu parfaite (épreuve de la vertu, conservation de la vertu éprouvée, …) et pour assurer la possession de la joie intérieure (par la sécurité extérieure, l’espoir de la récompense et la consolation intérieure), c. ix. Quant à la pauvreté des mendiants, spécialement orientée à faire accepter la prédication de l’Évangile, elle trouve ses raisons particulières en ce que « le Sauveur observa lui-même et fit observer par ses apôtres cette forme de pauvreté, et aussi parce qu’elle a une perfection d’une prérogative spéciale, enfin parce que le Christ l’a conseillée à ceux qui voudraient marcher sur leurs traces ». C. vii, n. 5 sq. On voit que le théologien doit modifier son ordre de bataille : ses arguments sont pris uniquement de la vie apostolique, pauvreté qui n’est pas de précepte, comme on l’a dit précédemment, col. 3250, et dont la portée religieuse fut contestée par un certain nombre de Pères.