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VŒUX DE RELIGION. OBJET


que celui qui a vendu ses biens devienne parfait, c’est-à-dire orné de toutes les vertus ? » In Matth., nom. xv, c. xxi ; P. G., t. xiii, col. 1301. Réalisations sporadiques cependant, et dont on ne sait ni l’ampleur, ni l’austérité, ni le caractère définitif. Bien souvent, semble-t-il, des fonctionnaires ou de riches héritières se contentaient d’abandonner leurs places, de liquider leurs immenses propriétés, et de se retirer dans un de leurs domaines en distribuant leurs revenus aux églises. S. Jérôme, Epist., cviii, n. 15 et 30, P. L., t. xxii, col. 802.

a) Chez les Pères du désert.

L’observance de la pauvreté ne devait être imposée et organisée en vie religieuse qu’avec le monachisme et d’abord avec l’érémitisme. C’est saint Antoine, en effet, qui prend à la lettre le conseil évangélique, Matth., xix, 21 : il se dépouille de tout ce qu’il possède et refuse plusieurs fois de revenir sur sa décision, Vita Antonii, c. ii-iii. v, xi-xii. Son exemple et ses paroles entraînent de nombreux disciples au désert, ibid., c. xvii, xix, lxxxvii. Cependant ce renoncement initial, qui constitue un état de pauvreté quasi imposé par la situation, doit s’accompagner, pour les ermites, d’un constant esprit de pauvreté dans le soin de leur vie quotidienne. S. Macaire, Epist. ad ftlios, c. ii, xvii. Ce n’est qu’avec saint Pacôme et le cénobitisme que la pauvreté religieuse devient un dépouillement codifié. Régula Pachomii, trad. par S. Jérôme, P. L., t. xxiii, n. xlix, lxxxi, xcvii, cvi, cxiii, cxxv, etc., cités dans P. Resch, Les maîtres égyptiens, p. 73-74. Les successeurs de Pacôme devront veiller à ce que les monastères ne deviennent pas trop riches. Op. cit., p. 75. Nulle part cependant, au long de ces prescriptions administratives, on ne trouve de rappel explicite d’un vœu intérieur ou public de pauvreté. Le dépouillement des biens terrestres est une institution à laquelle on se soumet pour le bon ordre. Cassien, Inslit., t. IV, c. xiii. Il est curieux, à ce propos, de remarquer la minutie des mainteneurs « de la discipline du monastère », quand ils ne se sentent pas soutenus par la force vivante et souple d’un vœu personnel. Cf. Horsiesi, Doctrina de instilutione monachorum, c. 21-26, c. 39, P. G., t. XL, col. 870-890. Des moines, voire des præpositi, qui avaient abandonné d’un coup leur fortune, tentaient de s’approprier petit à petit les pauvres choses à leur usage. C’est peut-être pour assurer la pratique d’une pauvreté plus stricte que, chez les moines de saint Martin, « les frères ne possédaient rien en propre », mais, de plus — ce qu’on ne put jamais obtenir des moines d’Asie Mineure — « personne d’entre eux ne pouvait vendre ni acheter, comme font beaucoup de moines. Nul autre art que l’écriture n’était exercé par les frères. Ils mangeaient tous ensemble, et c’était un crime d’être habillé délicatement ». Sulpice-Sévère, Vita Martini, c. x, P. L., t. xx, col. 166. Règlement sévère que Sulpice compare, avec quelque regret, à l’ordonnance plus souple des cénobites lériniens d’au delà du Rhône, Césaire, Régula, 1-3, 15. La discussion des deux thèses apparaît chez les Pères.

b) Chez les Pères grecs.

Saint Basile revint de son voyage d’étude dans l’Orient monastique, en 358, avec l’idée très nette de tempérer la discipline régimentaire des monastères d’Egypte par un régime paternel de désappropriation surveillé par l’abbé : le dépouillement est celui d’un fils dans sa famille. Pas de pauvreté totale : avec un sens averti des réalités et des possibilités, il ne veut pas que ce renoncement soit une occasion de prodigalité et de dissipation inutile pour tous. « Vendez vos biens et faites l’aumône, Luc, xii, 23. J’estime pour mon compte que celui qui, pour obéir à ce conseil, abandonne ses biens, ne doit pas se désintéresser de la somme recueillie, mais la recueillir avec soin et l’administrer en toute piété, soit par lui-même, s’il en a la science et les moyens, soit par des représentants choisis avec grand discernement. » Grandes règles, c. viii, P. G., t. xxxi, col. 935. Mais la difficulté ne lui échappe pas : en somme « le péril est aussi grand d’abandonner sa fortune à ses proches, de la confier au premier venu, ou de la gaspiller soi-même », loc. cit. Le moine basilien gardait un pécule ; seulement il ne pouvait rien utiliser pour soi : « Celui qui prétend s’approprier quelque chose se met en dehors de l’Église de Dieu et de la charité du Seigneur. » Petites règles, c. lxxxv, cf. c. xxix, xxxi, xcviii, ccvi, ccvn et xcii-xcm. Le milieu est assez difficile à tenir ; et pourtant c’est bien là, pense-t-il, la mesure conseillée par l’Évangile : « La parole du Christ, Matth., xi, 28, nous exhorte à rejeter le poids des richesses excessives en les distribuant aux pauvres et à nous débarrasser des péchés par l’aumône. Celui qui veut, pour obéir au Christ, mener une vie pauvre et tranquille, ne doit pourtant pas compter sur une existence de tout repos : il faut qu’il s’éprouve lui-même et s’exerce » à la pauvreté. Ascetica, Du renoncement au monde et de la perfection spirituelle, P. G., t. xxxi, col. 625. Il devra veiller par lui-même à la modestie de son vêtement et à la frugalité de sa table. Grandes règles, c. xxii-xxiii ; Petites règles, c. clxviii. Mais l’idéal est bien de « quitter tous les soucis de ce monde. Celui qui n’a même pas le droit de s’inquiéter du nécessaire, comme du vivre et du vêtement, pour quelle raison pourrait-il se laisser accrocher aux soucis de la richesse, qui empêchent de fructifier la semence jetée en nous par le cultivateur de nos âmes ? » Grandes règles, c. vi, P. G., t. xxxi, col. 922. Parfois enfin certaines dispositions de saint Basile prennent valeur de droit : au monastère, la propriété n’existe pas ; il n’y a pas d’emploi qui tienne. Petites règles, c. cvi ; cf. Cassien, Instil., î. II, c. m.

Saint Nil († 430), moine au Sinaï et collecteur original des sentences des Pères du désert et des Pères de l’Église, prend à ceux-ci l’idée de la pauvreté en esprit, c’est-à-dire de la désaffection des richesses ; il emprunte aux premiers l’idéal de la désoccupation extérieure, de l’éloignement habituel de toute occupation absorbante. De volunlaria paupertate, c. i, P. G., t. lxxix, « Je ne voudrais pas qu’on croie que la privation de fait de toute propriété se fasse facilement et sans peine », c. ii, ce qui va contre certaines exagérations des orateurs chrétiens. Cependant, il est plus strict que la plupart d’entre eux : « Il y a trois voies de pauvreté : la pauvreté effective, la pauvreté moyenne et la pauvreté opulente, entre lesquelles les avis sont partagés suivant les inclinations diverses », c. xiii, et suivant la part que l’on y donne au travail lucratif et aux commodités de la vie. « La pauvreté des saints », à savoir celle d’avant la chute, celle du désert, des prophètes et des moines d’Egypte, consiste « à vivre pour son âme seule et pour Dieu, sans aucun souci du corps », avec la part de travail manuel strictement compatible avec la vie de recueillement. « Au-dessus de celle-ci, la pauvreté moyenne a bien de l’utilité, parce qu’elle convient à nos temps et aux nécessités matérielles : elle s’impose les soins nécessaires pour son entretien, donnant au travail juste le temps qu’il faut pour se procurer le nécessaire », c. xxix. Mais la pauvreté opulente, qui est évidemment celle de beaucoup de moines de son temps, « se donne tout entière aux occupations serviles, travaillant la terre, faisant du commerce, bien au delà de ses besoins, pour ne pas paraître inférieure aux gens du monde ». Quoi de commun entre ces moines pourvus et ceux qui ne possèdent