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VŒU. MOYEN AGE

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sée dans l’homme… » Episl. ad Armentarium, P. L., t. xxxiii, col. 488 ; bien mieux, « Dieu aspire à ces gradus meliores, ces fleurs de sainteté qu’on voudra bien cueillir pour lui ». Dieu a tous les droits dès le principe ; pour ses amis, il a toutes les ambitions ; pour ceux qui font des vœux, il aura toutes les exigences. « Nous ne disons pas cela pour vous mettre en garde contre les vœux, mais pour vous y pousser ; ne soyez pas hésitants, vous qui le pouvez. » Enarr. in Psalm., lxxvi, n. 10, P. L., t. xxxvi, col. 968. Voilà la consigne constante du saint docteur, si insistante qu’elle nous paraît indiscrète ou susceptible d’une interprétation lénitive dans la manière d’Origène. Mais non, parce que c’est la liberté même de l’offre et la générosité de l’offrant qui font la stricte obligation du vœu, en quoi saint Augustin nous ramène à l’acception latine. Seulement il savait à qui il adressait ces appels ou ces rappels : soit à des fidèles qui avaient déjà fait un vœu et n’en voyaient plus les mérites passés, soit à des âmes aspirant à la perfection au milieu d’un monde qui ne connaissait pas encore l’institution religieuse. Nous verrons plus loin cette haute doctrine, désormais inséparable de celle de saint Thomas.

Après saint Augustin.

Prosper d’Aquitaine s’est fait un devoir pieux de résumer les enseignements de son maître. Liber sententiarum ex operibus Augustin ! , t. I, c. liv, P. L., t. li, col. 435. Epigramm., c. xv et liv, P. L., t. li, col. 503, 514.

Mais tous les docteurs latins de l’époque n’avaient pas la docilité commode de Prosper : on le vit bien quand le jeune Cassien, vers 390, se mit en devoir de confronter son vœu de religion, c’est-à-dire l’institution contractuelle qu’il était devenu en Occident, avec le vœu des Pères du désert qui était resté une aspiration et une offrande. Il alla consulter, entre autres Pères du désert de Scété, l’abbé Isaac, au sujet de l’e’jyj). Mais, pendant que le docte Isaac lui explique le De oratione d’Origène — comparer De oratione, c. xiv, 2-5, à Collatio, ix, c. 10-15 — et montre, d’après De oratione, c. iii, n. 2, résumé ci-dessus, les rapprochements entre la prière d’offrande et la promesse, c’est-à-dire entre le vœu des Grecs et celui de la Bible, le jeune moine juxtapose mentalement à toutes ces notions mystiques la notion juridique du votum latin. Relisant ses notes trente-cinq ans plus tard, il aboutit au plus beau galimatias en plaquant sur cette idée hybride le mot latin oratio, qui voulait traduire le mot eu-/ ?]. En voici un échantillon, où l’on voudra bien entendre par oraison un sacrifice intérieur, une pieuse résolution offerte à Dieu dans la prière : « L’oraison (la résolution ) est l’acte par lequel nous offrons et vouons quelque chose à Dieu. Les Grecs l’appellent eù^yj, c’est-à-dire vœu. Où le grec porte : Tàç eù^âç (jwj …, nous lisons dans le latin : Vota mea…, ps. cxv, 14, ce qui, en rigueur de termes, pourrait s’exprimer ainsi : Je ferai les orationes (les résolutions) promises au Seigneur. » Collatio, ix, c. 12. Si la terminologie est fautive, la doctrine du sacrifie intérieur est fort belle, complétant l’aspiration de l’offrande par la netteté de la promesse et l’austérité de l’observance : « Voilà nos orationes (nos sacrifices) : nous vouons pour jamais la chasteté parfaite… et nous prenons l’engagement d’arracher complètement de notre cœur les racines de mort. » hoc. cit., cf. c. 17.

VIII. Au Moyen Age.

Les vœux se multiplient et deviennent des institutions : aussi bien les vœux publics de religion que les vœux privés de chasteté, de pèlerinage ou d’entrée en religion, sont réglementés et contrôlés par l’Église. La doctrine en devient plus rigoureuse, sans être pour cela plus précise, car c’est à des notions voisines, celle du sacrifice et celle du serment, plus accessibles à tous, qu’elle emprunte ses arguments, l’une expliquant le vœu comme offrande, l’autre comme promesse. On en trouvait l’esquisse dans les œuvres d’Augustin ; les livres liturgiques développaient la première, les règles monastiques la seconde. Saint Grégoire, qui emploie très souvent, Moralia in Job, t. XXXV, c. iii, n. 4, le mot vota au sens de prières, à l’imitation des sacramentaires, appelle le vœu propositum, à la manière de saint Ambroise, et lui reconnaît son objet propre, bonum majus, et sa force de promesse à Dieu. « Faire vœu du meilleur, c’est se proposer un bien plus grand, y tendre avec une plus forte ardeur. » Epist., xxvii, P. L., t. lxxvii, col. 104. Mais il y mêle, au gré des textes qu’il commente, les deux idées nouvelles de serment et de sacrifice. « Car c’est prononcer un serment que de s’obliger par un vœu à servir Dieu. » Moralia in Job, 1. XXXIV. P. L., t. lxxvi, col. 635. Il aime surtout à comparer le vœu religieux à l’holocauste définitif. In Ezech., t. II, hom. viii. Il se serait reconnu à ce développement du Commentaire sur les Rois qui lui a été attribué à tort à propos du vœu privé : « Pour que ce vœu soit parfait, c’est-à-dire pour que la bonne œuvre, qui est la victime proposée dans l’offrande de l’âme dévote, soit reçue par le Dieu tout-puissant, il faut que l’âme la lui présente en faisant le vœu… Qu’est-ce, en effet, que « destiner en son cœur », II Cor., ix, 6-7, sinon proponere ex deliberatione ? … Les victimes sont apportées quand nous nous préparons à exécuter les fortes œuvres que nous nous proposons de faire : voilà le sens de cette deliberatio boni propositi. L’exécution joyeuse du vœu sera l’immolation de la victime. » C. i, 25, P. L., t. lxxix, col. 47. Cette définition du vœu était destinée à une longue fortune. Et voici une réminiscence d’Origène et de Grégoire de Nysse : « C’est à dessein que l’Écriture nous montre la mère de Samuel faisant un vœu avant de se répandre en prière, parce que, si l’on ne se fait tout céleste per propositi vigorem, on n’a point cette forte garde des sens qui nous tiendrait en la présence de Dieu. » In I Reg., c. ii, 7, loc. cit., col. 58. Mais quelle conception différente du vœul Alors que, pour les Pères grecs, c’est une libre démarche pour attirer les bienfaits de Dieu, pour saint Grégoire, c’est une ascèse que l’on s’impose « pour se préparer à la dévotion et aux fortes résolutions ». Col. 47. Tous n’avaient pas cette haute idée du vœu, du moins quand ils pensaient aux vœux privés. Saint Isidore en parle dans le chapitre du mensonge et du faux serment, et c’est pour répéter l’avertissement de Jérôme contre le vœu téméraire, avertissement qu’il conclut par ce jugement sommaire : « Ils sont à ranger parmi les infidèles ceux qui ne font pas ce qu’ils ont voué. » Synonymes, t. II, n. 57, P. L., t. lxxxiii, col. 858. L’idée du vœu-contrat, qu’on trouve très appuyée dans les collections canoniques du xe siècle, était destinée à une grande diffusion au Moyen Age : à cette époque où le serment au seigneur était la base des rapports sociaux, la promesse solennelle faite à Dieu dans le vœu devait prendre un relief particulier. On trouvait le vœu-serment jusque dans l’Évangile ; dans la péricope : Ecce nos reliquimus omnia… ; quid ergo erit nobis ?, saint Pierre Damien, comme presque tous les écrivains monastiques, fait surgir les expressions juridiques de pactio, conventio, sponsionis jura, etc. Apol. de contemplu sœculi, c. m. Saint Thomas fera droit à cette assimilation. IJa-II*, q. i.xxxix, a. 8, mais en réservant la précellence du vœu. Si la solennisation des vœux de religion, tout à fait analogue à celle des serments publics, les met en sûreté, la simplicité des vœux privés et leur multiplication excessive tendent à les faire regarder comme des promesses sans importance que l’on « confirme »