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VŒU. HISTOIUK DES RELIGIONS

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I. APERÇU HISTORIQUE.

Le vœu, comme le note Suarez, « a été une pratique naturelle et universelle, avant d’entrer dans la loi cérémonielle… » De religione, p. 755. Nos connaissances actuelles nous permettraient d’éclairer, par des données fort curieuses de l’histoire des religions, bien des points de notre pratique chrétienne du vœu. Contentons-nous de marquer ici tout de suite les grandes lignes de cette institution dans les anciennes religions.

I. Données générales de l’histoire des religions.

Sous des formes variées, le vœu se rattache à ce groupe d’offrandes d’un type simplifié qui consacrent un objet, une action, une personne, à la divinité, avec l’intention d’en faire un intermédiaire entre l’offrant ou les êtres à qui il s’intéresse et le dieu à qui l’offrande est généralement adressée. Ce n’est pas un sacrifice proprement dit, et chaque chef de clan, bientôt chaque fidèle, pourra, sous la surveillance des prêtres, effectuer lui-même cette offrande, dont l’objet, le rituel et l’intention sont laissés plus ou moins à son initiative. Cette offrande « votive » s’accompagne d’une prière, où l’offrant souligne son désir de purification, son union au dieu, et formule son action de grâces ou sa demande. Cf. H. Hubert et M. Mauss, Mélanges d’histoire des religions, 1909 ; M. Mauss, La prière, s. d. Mais voici où apparaît notre notion du vœu : dans le cas d’une offrande concernant l’avenir, la prière de demande, accompagnée ou non de prémices, anticipait fréquemment sur l’offrande elle-même : elle était posée la première comme un acte religieux qui était censé renseigner la divinité sur les désirs du suppliant et sur ses bonnes intentions, tout comme la promesse faite à un homme le rassurait sur la bienveillance de son partenaire. Pour le bon ordre du culte et pour la sécurité de la collectivité, on portait la plus grande attention à cette promesse d’oblation, à ce sacrifice anticipé, dont l’offrande effective n’était plus que le complément plus ou moins obligé et surveillé. Ainsi est née dans les religions anciennes la distinction réelle entre le vœupromesse et le vœu-consécration, bien que le même terme continuât de désigner le rite oral et le rite manuel.

On pense bien qu’un pareil dédoublement de l’offrande, qui suppose une idée assez nette de la valeur religieuse de la parole donnée à Dieu, une confiance normale en la bonne volonté des individus, et aussi une réglementation-minutieuse de leurs paroles et de leurs actes, n’a pu avoir son plein développement ni dans les religions tout à fait primitives, ni dans les civilisations où le culte était devenu trop exclusivement officiel. Du moins ne trouve-t-on point le rite oral du vœu dans les religions fétichistes, où les divinités ne se contentent pas de simples promesses mais veulent avant tout des victimes. De même, si l’Egypte primitive, avec ses dieux locaux, a connu le vœu oral, elle n’en a pas gardé trace ; et, dans la religion d’État de l’ancien et du moyen Empire, l’offrande que donne le roi », offrande quotidienne et réelle à tel ou tel dieu, formule stéréotypée à des milliers d’exemplaires dans les tombeaux des grands personnages, était réputée suppléer d’office à tous les vœux et offrandes des particuliers. Arriva-t-elle à les tarir jamais complètement ? Cf. J. Vandier, La religion égyptienne, 1944, p. 114-117, 187, 201.

Mais ce sont les religions sémitiques, en particulier la religion juive, qui virent l’efflorescence du vœu-promesse et du vœu-offrande, et leur réglementation en deux rituels jumelés, sous des vocables distincts. Cf. W. Robertson Smith, Lectures on the religion of the Sémites, 1907. L’un et l’autre faisaient de la chose promise ou offerte une chose sacrée. R. Otto, Das heilige, trad. franc, par A. Jundt. Le sucré, 1929 ; H. Caillois, L’homme et le sacré, 1929.

Dans les religions indo-européennes, le rite oral du vœu prend une importance pratique encore plus grande, un caractère anthropomorphique plus accusé : au lieu d’être, comme chez les Sémites, une emprise de la divinité sur les biens des hommes, c’est un pacte spontanément consenti par des fidèles pieux pour s’assurer la bienveillance de tel dieu de leur choix. Dans les deux religions qui sont les plus proches de nous, la religion grecque et la religion romaine, c’est souvent comme un arrangement d’égal à égal et condi tionnel avec la divinité, qu’on observera seulement quand on aura obtenu ce qu’on demande ; c’est un rite quotidien, une formalité religieuse à peine plus solennelle que la prière de demande ou d’action de grâces, dont le vœu est l’accompagnement ordinaire. Cf. Toutain, art. Volum, dans Daremberg et Saglio. Dict. des antiq., t. v, p. 969. Naturellement, chacun des deux peuples met dans ce rite traditionnel sa note particulière, dont il faut se rendre compte si l’on veut comprendre l’élaboration de notre notion chrétienne du vœu.

II. Dans la religion grecque.

La note de vœu-offrande domine celle de vœu-promesse.

On l’a dit, « la langue grecque ne possédait pas pour le vœu de terme spécial et exclusif : les mots euché, et euchomai., qui correspondent, par’exemple dans les textes bilingues, aux mots latins votum, voveo, ont un sens plus général : ils sont souvent employés pour désigner de simples prières, des invocations ». Foucart, dans Rev. archéol., t. ii, 1898, p. 31 6, qui renvoie à Sophocle, Electre, v. 634 sq., ; Aristophane, Thesmoph. . v. 295 sq. ; Thucydide. VI, xxxii. 2. C’était bien le sens populaire du mot : parmi les inscriptions dites votives, telle inscription archaïque, Inscr. Grœc, sept., t. vii, 1, telle autre très postérieure, appellent z’VPf] une prière sans promesse énoncée, mais soulignée par une offrande, Inscript, græc. ad Romam pertin.. t. i, n. 1198 ; cf. Eschyle, Les Sept contre Thèbes. v. 271 sq. Ces « vœux dont on honore les dieux » et leur » impénétrable Providence », Euripide. Troy., v. S89 et 885, sont eux aussi, bien entendu, un contrat tacite entre l’homme et le divin, dont l’oubli momentané par les dieux fait le scandale des âmes pieuses, Euripide, Electre, v. 193-197 ; pourtant ils ne s’expriment point par une promesse, mais ils débutent par une offrande immédiate, dont le suppliant dégage le symbolisme, et se closent par une humble demande. Voir l’exquise euché d’Hippolyte à Artémis, Hippol., v. 73-77, et celle d’Ion à Phoibos. Ion, v. 149-153, traduites par A. Festugière, La religion d’Euripide, dans La vie intellectuelle, mars 1945. p. 128 ; au vrai, le vœu ainsi compris par les Grecs était une action de grâces anticipée qui mettait le dieu en demeure d’accorder une demande. Il faut bien retenir cette idée qui est celle de saint Cyrille d’Alexandrie quand il définit le vœu < un apport de présent », dorophoria.

Le même mot euché ; désigne bien certainement et très souvent le rite spécial que les Romains appelaient votum : alors c’est une promesse conditionnelle faite à la divinité. Nul doute qu’il ne fût d’un usage courant dans le culte privé, encore qu’on ne le trouve guère formulé dans les grands tragiques grecs ; c’est dans Homère et à propos de vieux quasi-publics que l’on trouve stipulées le plus nettement la promesse et la condition, Odyss., xi, 29 sq. ; xiii, 359 sq. ; xviii, 50 sq. ; xxiii, 141 sq. : Iliad., vi, 240 sq. et 274. Remarquons néanmoins que le vœu-promesse est parfois absolu dans sa forme, ou que tout au moins la condition reste sous-entendue. Iliad., x, 283 sq., comme si les Grecs n’avaient pas la dévotion du vœu conditionnel, mais plutôt celle du vœu d’offrande, voire