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VOCATION. LA TRADITION


il y a une différence essentielle entre la sanction de la vocation sacerdotale et celle de la vocation religieuse : c’est que la première est sacramentelle et immuable, tandis que la seconde est simplement légale et peut être annulée.

5. La vocation religieuse n’est pas, de soi, une vocation réservée.

La vocation sacerdotale, ayant pour objet une dignité et un charisme, est par là même une vocation réservée : l’offre du sacerdoce n’est pas faite par Dieu à tous ceux qui y auraient les aptitudes, mais à ceux qu’il a choisis comme Aaron. Il n’en est pas tout à fait de même de la vocation religieuse, qui a pour objet un genre de vie plus particulièrement ordonné à la perfection. Tous les hommes étant appelés à la perfection, on comprend que personne ne soit exclu, en principe, de ce moyen plus efficace d’y parvenir, s’il en a le désir surnaturel et n’est pas retenu dans le monde par des obligations indépendantes de lui, comme seraient les liens du mariage ou le devoir d’assister ses parents. Aussi Notre-Seigneur paraît-il en parler comme d’un état accessible à tous quand il dit : « Tous ceux qui auront quitté leur maison, leurs frères ou leurs sœurs, leur père ou leur mère, leur femme ou leurs champs à cause de mon nom recevront le centuple et posséderont la vie éternelle. » Matth., xix, 29. Il avait déjà dit, il est vrai, Ibtd., xix, 11, que tous ne comprennent pas le secret de la chasteté volontaire, qu’il y faut une grâce de Dieu. Mais cette grâce, rien n’empêche de la demander, si on la désire.

6. La vocation religieuse est ordinairement une vocation libre.

A moins d’une indication particulière de Dieu qui l’imposerait à une âme, ou d’un tempérament exceptionnel qui en aurait besoin pour faire son salut, la vocation religieuse ne s’impose pas à la conscience. Évidemment celui qui l’a reçue fera mieux de la suivre : il y trouvera bien plus de sécurité, de consolation et de mérite pour lui-même, et il procurera plus de gloire à Dieu. Ce n’est d’ailleurs pas sans tristesse que Jésus, après avoir offert cette vocation au jeune homme riche, vit ce jeune homme s’y dérober pour posséder ses richesses. « Mes enfants, dit-il à ses disciples, combien il est difficile à ceux qui mettent leur confiance en leurs richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! » Marc, x, 24. Il préférerait donc, quand il l’offre, qu’elle soit acceptée.

Mais on ne peut pas dire, en règle générale, qu’il y ait péché, au moins péché grave, à décliner la vocation religieuse. La raison en est dans la différence essentielle entre les préceptes et les conseils : les premiers, étant indispensables au salut, sont obligatoires ; les seconds, n’étant pas nécessaires mais seulement utiles, restent facultatifs. Cela est évident dans la réponse de Jésus au jeune homme riche.

7. La vocation religieuse et la vocation sacerdotale peuvent être séparées ou unies.

Lorsque Jésus parle sans autre précision ni indication de circonstances de ceux qui auront tout quitté pour le suivre, Matth., xix, 29, il annonce sans doute la vocation religieuse, abstraction faite du sacerdoce, et il vise aussi bien les femmes que les hommes. Par conséquent, lorsque saint Paul rappelle à Timothée, parmi les conditions de l’épiscopat, celle de « n’avoir pas été marié deux fois, de bien élever ses enfants, de savoir gouverner sa maison », I Tim., iii, 2, 4, 5 ; lorsqu’il lui recommande de « donner double rémunération aux presbytres qui président bien les assemblées, surtout s’ils se dépensent dans l’enseignement de la doctrine », I Tim., v, 17-18, il envisage l’état sacerdotal en dehors du cadre des conseils évangéliques, en dehors de la .chasteté absolue et de la désappropriation privée. La chasteté absolue est pourtant de la plus haute convenance dans le piètre. Néanmoins, nous voyons par ces textes que l’Écriture elle-même n’en fait pas une condition indispensable de l’appel au sacerdoce. La vocation sacerdotale est donc indépendante, en soi, de la vocation religieuse. Enfin, lorsque Jésus, invitant le jeune homme à le suivre parmi les apôtres, lui ordonne au préalable d’aller liquider sa fortune pour en donner la valeur aux pauvres et de renoncer par conséquent à tout ce qu’il avait dans le monde, Matth., xix, 21 ; de même lorsqu’il félicite les apôtres d’avoir tout quitté pour le suivre et leur promet qu’au jour de la parousie ils siégeront sur douze trônes aux côtés du Fils de l’homme, jugeant les douze tribus d’Israël, ibid., xix, 27-28, nul doute qu’il ne préconise les conseils évangéliques comme le cadre de perfection le mieux approprié à l’état sacerdotal. Il y a donc, d’après l’Écriture, une vocation à l’état religieux sans le sacerdoce, une vocation au sacerdoce sans l’état religieux, et une vocation au sacerdoce dans l’état religieux.

Telles sont les données scripturaires sur la vocation. Elles sont inégalement formelles et explicites ; dans leur ensemble, cependant, elles suffisent à fonder une doctrine nette et ferme, qui se développera et s’éclairera au cours des siècles.


III. Les témoignages de la Tradition et le TRAVAIL DE LA REFLEXION THÉOLOGIQUE SUR LA vocation.

La doctrine de la vocation à l’époque patristique.

1. Saint Antoine († 356). —

C’est dans la plus ancienne vie de saint, la vie de saint Antoine par Athanase, mince opuscule écrit vers 357 et qui révéla le monachisme à l’Occident, que nous trouvons le premier témoignage patristique sur la vocation religieuse. Antoine, âgé de dix-huit ans, étant entré un jour dans l’église en pensant aux apôtres et aux premiers chrétiens qui avaient tout quitté pour suivre le Christ, « il se rencontra qu’on lut tout haut l’Évangile où le Seigneur dit au riche : « Si tu veux être « parfait, va vendre tes biens, donnes-en le prix aux « pauvres, puis viens et suis-moi, tu auras un trésor « dans le ciel. » Il considéra ce souvenir des premiers chrétiens comme une inspiration de Dieu et la lecture de cet évangile comme faite pour lui. Et en sortant de l’église, il distribua ses biens aux pauvres pour embrasser la vie monastique ». P. G., t. xxvi, col. 841. Si Athanase, qui avait connu personnellement Antoine et reçu ses confidences, souligne ainsi cet épisode, c’est qu’à ses yeux une détermination si grave et si prompte chez un homme aussi spirituel mais aussi pondéré était une inspiration céleste. Voilà, saisie sur le vif dans sa réalisation au sens fort, la grâce de la vocation religieuse annoncée par Jésus dans l’Évangile.

Mais nous avons un autre document relatif à saint Antoine. Sous son nom, il nous est parvenu quelques lettres ou exhortations ascétiques, qui, si elles ne sont pas toutes sorties de sa plume, émanent de son école ; à tout le moins reflètent-elles la pensée qui s’inspirait de ses enseignements. Or l’une, qui a pour titre Le passage du siècle à la vie monastique, traite explicitement de la vie monastique. On y lit qu’il y a trois manières de quitter le monde et que chacune est une vocation divine. On peut quitter le monde, touché par l’audition de la parole évangélique. Ceux qui veulent suivre l’Esprit de Dieu par ce genre de vocation recevront les promesses avec le repos : Et nunc usque hœc vocatio permansit ingredi volentibus. .. Si ita proinde egerint ut cor eorum sit paratum sequi Spirilum Dei, sic utique suscipient promissiones cum requie. On peut quitter le monde, touché par la lecture de la Loi évangélique qui annonce le châtiment aux pécheurs et la béatitude aux justes. Bien des âmes ont trouvé leur vocation dans la lec-