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TRINITÉ. FIN DE L’ÂGE PATRISTIQUE

il s’attache à son produit. Ce qui est vrai de toute génération l’est de celle du verbe intérieur par lequel la pensée s’exprime elle-même ; le verbe que l’amour a fait engendrer et la pensée qui l’engendre, se trouvent finalement réunis par un lien spirituel qui les unit étroitement sans les confondre et qui est encore l’amour. De Trin., IX, vii, 12-13, t. xlii, col. 967. Ainsi donc, le verbe n’est pas seulement connaissance, mais une connaissance dont l’amour est inséparable ; si bien qu’une nouvelle égalité parfaite se reconstitue sous nos yeux pour former une deuxième image de la Trinité. » Ét. Gilson, op. cit., p. 288-289.

Au dessus de cette deuxième image, il y en a encore une troisième, qui n’établit plus simplement une relation entre l’âme et elle-même, mais entre l’âme et Dieu dont elle est l’image. Cette image apparaît dans la pensée lorsque, par l’effort qu’elle accomplit dans la recherche de Dieu par la raison et la volonté, elle engendre en soi l’intelligence et la sagesse. Si l’âme ne fait pas cet effort, elle peut bien se souvenir d’elle-même et s’aimer, sa vie n’en reste pas moins une folie. Qu’elle se tourne au contraire vers le Dieu qui l’a faite et qu’elle prenne par là conscience de son caractère d’image divine, alors, se souvenir de soi, s’exprimer dans un verbe et s’aimer équivaudront à se souvenir de Dieu, de la manière dont il s’exprime et dont il s’aime. Par là s’engendre en l’homme une sagesse qui n’est qu’une participation de la sagesse de Dieu et qui rétablit entre le Créateur et sa créature une société trop longtemps rompue. Car il est bien vrai que Dieu est toujours avec l’homme, puisque sa puissance, sa lumière et son amour ne cessent de lui conférer l’être, la connaissance et la vie. Mais il n’est pas vrai que l’homme soit toujours avec Dieu, puisque nous oublions sans cesse celui de qui nous tenons tout. Être avec lui, c’est précisément se souvenir de lui, le connaître par l’intelligence et l’aimer ; c’est donc renouveler en soi cette image qui, lorsqu’elle est trop oblitérée chez l’homme, tombe dans un oubli tel que nul avertissement du dehors ne saurait l’y raviver. De Trin., XIV, xii, 16, col. 1048-1049.

Saint Augustin développe longuement les considérations que nous venons de résumer. À certains moments, il semble même s’attacher tellement aux images qu’il emploie que nous avons l’impression d’y trouver des démonstrations complètes de la Trinité. Jamais cependant il n’oublie que nous n’avons affaire qu’à des images et que Dieu dépasse infiniment tout ce que le langage humain en peut exprimer :

« Il ne faut pas prendre la comparaison de la Trinité

divine avec les trois choses que nous avons montrées dans la trinité de notre âme, écrit-il par exemple, en ce sens que le Père serait comme la mémoire des trois personnes, le Fils l’intelligence des trois personnes et le Saint-Esprit la charité des trois mêmes personnes : comme si le Père n’avait en partage ni l’intelligence, ni l’amour et que, pour lui, le Fils eût l’intelligence et le Saint-Esprit l’amour, tandis que le Père ne serait que sa propre mémoire à lui et la mémoire des deux autres ; et que le Fils n’eût ni la mémoire ni l’amour en partage et que ce fût le Père qui eût la mémoire et le Saint-Esprit la charité pour lui ; tandis que le Fils ne serait que sa propre intelligence à lui-même et l’intelligence des deux autres ; et de même pour le Saint-Esprit, qu’il n’eût point non plus l’intelligence et la mémoire en partage, mais que le Père eût la mémoire et le Fils l’intelligence pour lui, tandis que lui-même serait sa propre charité à lui et la charité des deux autres. Mais il faut comprendre que toutes les trois personnes ensemble et chacune d’elles en particulier ont ces trois choses dans leur nature : en elles il n’y a pas réelle distinction entre ces trois choses comme en nous où la mémoire est une chose, l’intelligence une autre et la dilection ou charité encore une autre, mais elles ne font qu’une perfection qui les comprend toutes, telle qu’est la sagesse même ; telle est la nature des trois persomies divines qu’elles sont ce qu’elles sont, comme n’étant qu’une substance simple et immuable. » De Trin., XV, xvii, 28, col. 1080.

Le mystère reste donc entier. Lorsqu’il s’agit en particulier de dire pourquoi le Fils est engendré tandis que le Saint-Esprit procède, saint Augustin avoue son impuissance. Ce n’est qu’au ciel que nous posséderons les clartés suffisantes pour préciser nos connaissances sur ce point et sur beaucoup d’autres encore.

Malgré tout, l’effort de pensée accompli par saint Augustin est bien loin d’être stérile. Jamais avant lui on n’avait creusé aussi profondément le sens de la vie divine. Les Cappadociens eux-mêmes restent très loin derrière lui. Sans doute, leurs recherches portent dans une direction différente, puisqu’ils se préoccupent avant tout de montrer que la Trinité des personnes n’est pas inconciliable avec l’unité divine entendue au sens le plus strict. Mais ils affirment bien plus qu’ils ne prouvent, et le réalisme de saint Grégoire de Nysse a quelque chose de déconcertant. Le mérite de saint Augustin a été de rechercher dans l’âme humaine le vestige de la Trinité. Une telle idée ne pouvait venir qu’à un esprit profondément religieux, et l’on s’étonne un peu que d’autres ne l’aient pas eue ou du moins n’aient pas cherché à en tirer parti. Nombreux sont, dans les premiers siècles, les Pères qui ont parlé de l’homme créé à l’image de Dieu. Presque tous se sont arrêtés à cette pensée que l’image de Dieu en l’homme était l’intelligence, et plusieurs ont ajouté que la ressemblance de Dieu, la grâce surnaturelle, avait été perdue par le péché du premier homme. Saint Augustin a justement pensé que, puisque Dieu était trine, son image devait révéler quelque chose de cette trinité. De là ses recherches qui sont à la fois le fait d’un psychologue attentif à scruter les profondeurs de la vie conscientielle et d’un mystique pour qui tout parle de Dieu et en découvre le secret.

Les conclusions de saint Augustin ont exercé une grande influence au cours du Moyen Age. Il n’y a guère de théologien qui ne s’en soit inspiré, et l’on peut dire qu’après lui on n’a guère fait que vivre des formules ou des idées qu’il avait proposées. Sans doute on s’efforcera encore de préciser les notions de personne et de nature, de mettre en évidence la procession ob utroque du Saint-Esprit, d’exposer avec une rigoureuse exactitude la doctrine des missions ou celle de la circumincession. Mais il semble que ce soient là des détails. L’élaboration des grandes lignes de la théologie trinitaire est achevée avec saint Augustin.


VIII.La fin de l’âge patristique.

Nous pouvons donc étudier rapidement la fin de l’âge patristique. A partir du ve siècle, les préoccupations ne se portent plus vers les problèmes trinitaires ; elles sont, tant en Orient qu’en Occident, délibérément orientées dans un autre sens. En Orient, les controverses christologiques absorbent l’attention des théologiens : on sait combien elles ont été longues et délicates. C’est au plus si, avant le premier éclat du nestorianisme, on se préoccupe de combattre encore les macédoniens et de préciser la doctrine catholique sur la procession du Saint-Esprit : Théodore de Mopsueste et saint Cyrille d’Alexandrie s’accordent ici pour proclamer la parfaite divinité de l’Esprit-Saint. Dès que Nestorius a commencé à exprimer sa doctrine, il faut le réfuter ; le monophysisme est peut-être encore plus dangereux et plus subtil : comment trouverait-on le loisir de penser encore au dogme trinitaire, qui d’ailleurs a depuis longtemps son expression définitive ?

Au vie siècle pourtant, les mots φύσις et ὑπόστασις, également employés dans la théologie de l’incarnation et dans celle de la Trinité, soulèvent dans certains milieux de dialecticiens des problèmes assez complexes. Ces mots sont-ils univoques ? ou bien est-il permis de leur donner un sens différent suivant les domaines où ils sont employés ? Affirmer la trinité des hypostases ne revient-il pas à proclamer le trithéisme ?