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313’VITORIA (FRANÇOIS DE

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Et ceci ne contredit point ce que nous dit Vitoria, que la respublica, nation ou État, est une société parfaite, qui se suffit à elle-même ( per se sufficiens). Elle est parfaite et se suffit pour réaliser le bien humain dans toute son intégralité, mais le bien conditionné par ce mode particulier qu’elle conçoit selon ses caractères propres et non pas le bien intégral de la race humaine, lequel admet une multitude de formes accidentelles.

Si donc les nations sont encadrées dans l’assemblage commun de la société universelle et doivent, pour réaliser leurs propres fins, concourir à la réalisation de la fin universelle de toute l’espèce, il doit exister entre elles un lien qui leur donne l’unité au sein de la variété, une norme juridique qui conditionne leur action individuelle en fonction du bien de toute l’humanité. II arrive pour les nations, au sein de la société universelle, ce qui arrive au sein de la nation pour les individus qui ne peuvent acquérir leur bien propre qu’en se soumettant à la règle juridique intérieure, par laquelle s’obtient le bien commun.

C’est ici que nous tenons la raison d’être du Droit international. Son fondement est dans la nature même, laquelle pousse à former des nations distinctes selon les différences particulières des peuples, au sein de l’inclination commune de la sociabilité humaine. Et c’est un véritable Droit des gens, imposé par la raison, par le consentement virtuel de toute la terre.

Mais Vitoria distingue deux espèces de Droit des gens, l’un primaire qui vient de ce consentement virtuel du monde entier, l’autre secondaire qui provient de quelque pacte. Celui-ci tient sa valeur de celui-là, parce que, pour le Droit des gens, pacta sunt servanda. Ceux qui ne reconnaissent pas valeur au Droit international s’il ne provient de quelque pacte laissent celui-ci sans fondement solide, puisque les pactes ne signifient rien, si une loi supérieure ne leur impose pas un caractère obligatoire.

L’État.

La nation organisée en tant que pouvoir,

est ce qui constitue l’État. Ce pouvoir civil n’est pas autre chose, selon Vitoria, que « la faculté de procurer le bien commun ». Cette faculté nous avons dit qu’elle convient essentiellement à la société même comme quelque chose d’immanent et d’inaliénable ; mais la société crée des organes pour l’exercer et d’autant plus parfaits qu’est plus parfait l’organisme social, lu organisme imparfait n’a pas d’organes divers pour les diverses fonctions vitales. On le voit dans le règne animal, dans les séries organisées qui occupent le bas de l’échelle des êtres. Semblable chose arrive dans l’organisme moral que nous appelons société. I.a société universelle se trouve toutefois dans le degré initial d’organisation, tandis que les nations ont créé des organes distincts pour les fonctions distinctes et plus particulièrement pour cette fonction du pouvoir qui est comme le centre régulateur de toutes les autres.

Ce pouvoir est souverain, les princes n’ont pas de supérieur, dit Vitoria. Cette conséquence dérive nécessairement du concept de société parfaite. puisque celle-ci ne serait pas parfaite et ne se suffirait pas à elle-même si elle n’avait pouvoir pour se procurer le bien commun dans toute son intégralité. El Vitoria reconnaît non seulement la souveraineté interne, mais encore l’externe, en parlant du même principe attendu que la société ne se sullirait pas

a elle m< me i elle n’avait pas pouvoir de se défendre

contre ses ennemis, de venger ses injures, de recouvrer les biens tisuipés. toutes choses pour lesquelles II ta1 i le même pouvoir sur les étrangers que sur ses propres sujets. [| y a des auteurs modernes qui dénient a l’État l’attribut île la souveraineté, en M fondant précisément sur les principe ! universalistes

de Vitoria ; mais c’est qu’ils ne comprennent pas que peut subsister la souveraineté de l’État, en dépit de l’interdépendance et de la solidarité des États. En tout état de cause la doctrine de Vitoria est bien claire et définitive. Il défend dans toute son extension la souveraineté de l’État en même temps qu’il prône l’existence d’une souveraineté « surétatique », « l’autorité du monde entier » qu’il invoque fréquemment. Y a-t-il donc contradiction entre ces deux souverainetés ? Dirons-nous que la souveraineté « surétatique » détruit nécessairement la souveraineté des États ? Tout au contraire, dans la doctrine de Vitoria les deux s’harmonisent parfaitement et arrivent à se compléter l’une l’autre.

La souveraineté « surétatique » a pour objet le Droit des gens, qui est le droit de la société universelle ; et la souveraineté de l’État a pour objet le droit particulier de celui-ci, dans le cadre commun de toute l’humanité. La souveraineté de l’État se trouve conditionnée par sa propre fin, qui est le bien commun de la portion d’humanité qui le forme ; ce bien commun, elle ne pourra ni l’atteindre ni le répartir si elle dépasse les limites de la justice ou du droit, qui est le plus grand bien humain quand on considère l’homme sous son aspect social. La doctrine vitorienne ne s’oppose qu’à la conception panthéiste de la souveraineté dans un État omnipotent : elle ne se propose pas d’attenter au droit mais de le promouvoir et de le défendre.

Par ailleurs la souveraineté « surétatique » est l’unique garantie de la véritable souveraineté de l’État, comme elle l’est de l’État lui-même, puisqu’elle a pour objet la réalisation du Droit des gens, lequel veut l’existence d’États qui se développent librement dans leurs fonctions propres.

Dans l’actuelle organisation du monde il n’existe pas toutefois de sujet déterminé de cette souveraineté « surétatique », parce que la société universelle n’a pas encore créé l’organe du pouvoir pour établir j le Droit des gens. Aussi, quand le Droit des gens est foulé aux pieds par un État, tous les autres, non seulement en bloc mais chacun en particulier, doivent se considérer comme le sujet accidentel et transitoire de la souveraineté « surétatique » et procéder « avec l’autorité du monde entier » pour réparer le droit foulé aux pieds. En vertu de cette autorité, un État peut se constituer juge d’un autre État, quand celui-ci a violé le Droit des gens, puisque, par sa faute, celui-ci s’est ravalé à une condition inférieure, et non seulement a perdu son aptitude à être le sujet partiel et historique de la souveraineté « surétatique ». mais qu’il a perdu sa propre souveraineté, du fait qu’il en a abusé, et cela tant que l’injure faite au droit n’a pas été réparée. Pour la même raison, un État peut être juge en sa propre cause, parce qu’il ne s’agit pas de la regarder comme propre, mais que l’État en question peut se considérer comme juge délégué de toute l’humanité, en faisant attention seulement à la cause de la justice.

Remarquons, pour finir, que Vitoria dénie à l’eitl pereUT le droit d’être le dépositaire authentique cl permanent de cette souveraineté » surctatique même dans les États qui lui sont soumis.

5° Les droits fondamentaux des Étals. on a beaucoup discuté récemment sur le caractère naturel et même sur l’existence de ces droits. Vitoria les a défendus avec vigueur, sans que cela fil obstacle a son internationalisme affiné. Ce sont eux qui constituent le vrai droit des gens en ses cléments primordiaux, par là-même se manifeste leur caractère naturel. Ils sont établis par le consentement virtuel de tous les peuples, avec l’autorité du monde entier, car ils ont pour base la nature sociale de l’homme.