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Cette conception du Droit des gens, nous ne croyons pas qu’elle ait été découverte ou tout au moins exposée avec clarté par aucun des prédécesseurs de Yitoria, et même après lui il règne une grande confusion dans la majorité des auteurs. Les théoriciens du Droit naturel ont continué jusqu’à nos jours à confondre Droit des gens et Droit naturel, et leurs adversaires leur ont répliqué, non sans justesse, que le Droit naturel en soi ne regarde pas tant le juriste que le moraliste ; ainsi les uns et les autres laissent le Droit des gens sans un fondement solide.

Dans la conception de Vitoria, le Droit des gens est vraiment droit dans le sens strict du mot. Qui a donc autorité pour l’imposer ? Cette autorité réside dans la société universelle même, dans la république humaine, puisque, les hommes formant une seule république, celle-ci ne peut manquer d’autorité pour se donner à elle-même les lois convenables et justes qui doivent la conduire à l’obtention de sa propre fin, de la même manière que les républiques ou sociétés particulières ont autorité pour se donner les lois nécessaires à leurs tins respectives. Cette autorité est immanente et essentielle à la société même et ne peut s’aliéner sous aucun prétexte. Si les sociétés particulières créent elle-mêmes les organes de l’autorité pour exercer la fonction de se gouverner soi-même par le moyen des lois, l’autorité de tel organe n’est pas distincte, ni séparée de l’autorité de l’organisme total, mais une concentration de cette dernière dans l’organe correspondant. Du moment que l’organe se considérerait comme séparé de l’organisme total, il perdrait sa fonction propre et l’autorité pour gouverner. Par conséquent nous ne pouvons envisager ici qu’une autorité inaliénable et indivisible, qui est l’autorité de la république qui poursuit son chemin vers sa fin, le bien commun, soit qu’elle s’exerce immédiatement par tout l’organisme, comme dans les plébiscites et les régimes démocratiques, soit qu’elle se manifeste par le moyen de ses législateurs, qui sont les organes créés par la république elle-même.

Tout en admettant, comme tous les théologiens, que l’autorité vient de Dieu, Vitoria nie sans ambages que Dieu la confère immédiatement aux princes ou que ceux-ci la reçoivent immédiatement de la république par transmission ou cession. Mais Dieu la confère à la république par l’intermédiaire de la loi naturelle, du fait qu’il a donné à l’homme une nature sociable et qui ne peut arriver à sa perfection qu’en société ; la république peut ensuite créer l’organe nécessaire pour la communiquer par voie de concentration et gouverner ainsi par le moyen des lois. D’où il résulte que l’organe de l’autorité n’est pas essentiel à telle ou telle société, qui accidentellement peut manquer de l’organe en question mais ne peut manquer de l’autorité de se gouverner ici même au moyen de lois aptes à la réalisation du bien commun.

Pour autant ne pensons pas que Vitoria se rencontre sur ce point avec la doctrine libérale selon laquelle les organes de l’autorité ou les usufruitiers du pouvoir ne sont que les mandataires (révocables) ou les vicaires du peuple, à qui l’autorité appartient par droit propre ; pour lui, les gouvernants légitimes, constitués par la république même, ont en propre l’autorité de celle-ci, qui s’est concentrée en ces organes.

On voit aussi que cette société universelle, formée par toute l’espèce humaine, encore que, jusqu’au moment présent, elle n’ait pas créé d’organe de l’autorité — chose que Vitoria tient comme possible et dont on a pu voir un essai dans la Société des nations — ne manque pas d’autorité pour se donner des lois qui sont les prescriptions du droit des gens. Et ces lois sont obligatoires pour tous, même pour

ceux (pu’ne voudraient pas les accepter, pane que tous, qu’ils le veuillent ou non, font partie de la société humaine par l’autorité de laquelle se donnent lesdites lois.

La promulgation de ces lois consiste dans le consentement virtuel de tout l’univers. II n’est pas requis que tous les hommes ou tous les peuples formulent explicitement la loi et y consentent de manière explicite ; il suflil que ce consentement soit manifesté d’une manière quelconque et particulièrement par la coutume. Et même quand il n’y aurait pas de coutume antécédente pour régler des faits nouveaux qui posent de nouveaux problèmes, ce n’est pas une raison pour que le Droit des gens cesse de s’appliquer, puisque la raison peut découvrir quelques normes juridiques, d’application universelle, comme nécessaires pour le développement pacifique de l’humanité et dans l’intérêt du bien commun. Et ces normes obligent par soi, étant le dictamen de cette raison collective de l’humanité à laquelle il serait déraisonnable de refuser son consentement. Par cela même encore, n’est pas requis le consentement, même virtuel, de tous absolument, mais il suffît de celui de la majorité. Même si quelques peuples n’ont pas eu de part à la formation de quelques-unes de ces lois, si même ils s’opposent à elles de façon positive, ils sont néanmoins obligés à les exécuter, parce que données par l’autorité légitime universelle. La solidarité humaine en cette société primordiale, dont nous faisons tous nécessairement partie par le seul fait que nous sommes des hommes, amène nécessairement à cette conclusion.

Une autre conséquence en dérive encore, c’est que le Droit des gens ne peut être abrogé par aucun autre pouvoir, parce que nulle autorité ne peut se vanter d’avoir empire sur toute la terre. L’eût-elle même, qu’elle ne pourrait l’abroger dans son contenu total, mais seulement en choses secondaires ; faire le contraire serait attenter au bien commun universel.

Le Droit international.

L’unité spécifique du

genre humain et l’unité substantielle de la fin humaine sont cause d’une certaine unité sociale entre toute l’espèce, d’où résulte cette « république du monde », dont nous avons parlé. De plus, au sein de cette unité transcendante, il y a des différences accidentelles dans les diverses portions du genre humain, telles les différences de race, d’histoire, de territoire, de culture, de caractère, de langue, de religion. Ces différences produisent un sentiment ou une conscience de solidarité partielle et des manières distinctes de concevoir la fin humaine en ses formes secondaires et de réaliser le bien commun. C’est ce qui justifie le droit des diverses nations. Ce fait, par conséquent, a lui aussi son fondement dans la nature et le Droit des gens lui donne sa base et sa garantie.

Mais aussi, comme les différences accidentelles des divers groupes humains ne portent nullement préjudice à l’unité substantielle des hommes, de même la diversité des nations ne peut porter le moindre préjudice à cette unité transcendante de la république humaine, avec sa fin unique, qui est le bien humain intégral et collectif. Bien plutôt, au contraire, la diversité des nations concourt puissamment à la réalisation de l’idéal humain en toute sa plénitude, de la même manière que, dans une nation déterminée, les différences individuelles entre les membres, qu’elles soient naturelles ou qu’elles soient acquises, sont nécessaires pour la réalisation intégrale du bien commun. Dès lors, selon Vitoria, nationalisme et internationalisme ne sont pas des réalités opposées ou antithétiques — comme l’ont prétendu quelques modernes

— ce sont bien plutôt des réalités complémentaires et en parfaite harmonie.