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VITORIA (FRANÇOIS DE]

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des auteurs distingués et de fermes défenseurs de l’autorité pontificale, tel le cardinal Cajétan. Et celle vue peut se soutenir, car le pape dans son ordre ne détient pas une plus grande autorité pour gouverner l’Église, que celle que détient le prince pour gouverner la république temporelle. Si donc l’on peut résister au prince qui gouverne au détriment et à la perte de la république, on le peut de même quand il s’agil du pape.

Ce langage aussi résolu que véridique fut ce qui induisit Sixte Quint à faire inscrire à l’Index les rélections de Vitoria. La mort du pape survint d’ailleurs avant la publication du décret et, par son ambassadeur à Rome, Philippe II agit sur le successeur de Sixte, qui retira cette mesure.

Avec cette rélection se terminait, pour le moment, le cycle relatif au De potestate. Vinrent ensuite le De augmente charitatis, d’une saveur nominaliste très marquée ; le De eo ad quod lenetur veniens ad usum rationis (incomplet), thème suscité à l’occasion des Indiens d’Amérique et que Vitoria élucida en adoptant une position hardiment naturaliste, que devaient bientôt amender Cano et Soto ; le De simonia, donné ex redundantia cordis, au temps même où l’auteur expliquait cette matière dans les leçons ordinaires, et enfin le De temperantia, où sont tracées incidemment les normes auxquelles doit se conformer la colonisation de l’Amérique. Le radicalisme de l’auteur, en cette rélection, troubla certains juristes intéressés au maintien du stalu quo. Pour éviter des complications, l’auteur fit disparaître cette partie qui n’est pas passée dans les additions et n’a laissé que peu de traces dans la tradition manuscrite. Confidentiellement, l’auteur fournit une copie dudit fragment à son ami le P. Arcos, dans les papiers duquel nous avons eu la chance de la trouver en 1929. Le fragment a été publié au t. n (1931) de l’Anuario de la Asociacion Francisco de Vitoria.

Cet épisode qui devait avoir grand retentissement, puisqu’il eut écho dans les cahiers d’un étudiant qui, en 1538, copiait ladite rélection dans le ms. de Palencia, ressuscita le thème du De potestate. Telle fut l’origine des deux rélections De Indis, appelées aussi De Indis prior et De jure belli. Certains historiens, non sans un peu de précipitation, ont cherché à situer les deux conférences en 1532. Mais ce classement est insoutenable, étant en contradiction avec les preuves historiques relatives à la chronologie des rélections et des lectures. Ce n’est pas le lieu d’exposer ici le détail de l’argumentation, nous l’avons fait ailleurs et croyons bien avoir convaincu jusqu’aux plus réfractaires.

Dans la première rélection De Indis, après un large préambule, où il répond aux censeurs spontanés de sa rélection antérieure, Vitoria étudie d’abord sept des titres que l’on alléguait pour justifier la conquête de l’Amérique, et les déclare illégitimes. À la suite, il en expose sept autres qui sont ou peuvent être (conditionnellement) légitimes. Les questions n et m annoncées dans le préambule n’ont pas été traitées ; il est quasi certain que l’original de Vitoria ne contenait rien de plus que ce qui a passé dans les éditions. Cette rélection, de même que la précédente, provoqua des protestations ; elle fut, à son apparition, dénoncée à l’empereur, qui en ordonna la correction. Mais on a exagéré, à ce propos, le différend entre le souverain et le professeur ; d’autres témoignages constatent qu’il régna toujours entre eux une entente non seulement correcte, mais cordiale.

La conséquence qui ressort de la première rélection De Indis est que la conquête de l’Amérique pouvait se justifier au titre de guerre juste. Revenant sur ce point dans la rélection De jure belli, notre auteur

y traite des conditions auxquelles doit se soumettre toute entreprise belliqueuse. On exposera ci-dessous le contenu si actuel de cette rélection, base du droit international moderne. — Enfin, Vitoria donna deux autres rélections, une sur la magie, prise à la matière des leçons ordinaires, et une autre qui ne s’est pas conservée et dont on ignore même le sujet.

Les rélections ont été publiées pour la première fois à Lyon, 1557. Cette édition, faite à la hâte et sur la base d’un seul ms., est fort défectueuse. Le P. Alphonse Munoz, un humaniste bien connu du couvent de Saint-Etienne, en prépara une autre en utilisant plusieurs mss. ; elle parut à Salamanque en 1565. Depuis, elle a été réimprimée une vingtaine de fois, la dernière en trois tomes avec des fac-similés et une traduction castillane, Madrid 1933-1935. Malheureusement, encore qu’elle s’intitule édition critique, elle ne l’est aucunement ; c’est un travail à reprendre.

Écrits divers.

 En 1552 on publia à Salamanque

un écrit intitulé : Introduccion y refugio del aima, par le religieux hiéronymite, Diego de Zûniga ; celui-ci y avait inséré un avis de son maître Vitoria : « Il pouvait se vendre et rendre des services ». De même se rapporterait à notre théologien le Confesionario util y provechoso, espèce de catéchisme, précédé par manière de prologue d’une lettre à une dame dévote, le tout édité à Anvers en 1558 et déjà auparavant en Espagne. Récemment ont paru divers lettres ou avis de Vitoria ; nous avons eu la chance de les retrouver parmi les papiers du P. Michel de Arcos. Cf. Ciencia tomista, t. xliii, p. 27-50, 169-180.

En dehors de cette production, incontestablement son œuvre, « ses lectures amoureusement copiées et pieusement conservées », comme écrit Menendez Pelayo, ont constitué une sorte de fond commun où se sont alimentés abondamment les théologiens postérieurs. La preuve de cette vérité est facile aujourd’hui, depuis la publication de certaines de ses lectures. Il ne pouvait d’ailleurs en être autrement, étant donné l’autorité du maître, la vénération qu’avaient pour lui ses disciples et cette circonstance que rien n’avait paru de ses inappréciables écrits.

Renaissance des études vitoriennes.

Bien que

le souvenir de Vitoria ait persisté chez ceux qui avaient été ses disciples, dans tout le xvi c siècle, l’oubli ne laissa pas de le recouvrir par la suite, tout comme l’influence exercée par lui dans la renaissance de la théologie. Durant les xviie et xviiie siècles, on utilisa à diverses reprises ses rélections, mais sans tenir aucunement compte des circonstances de leur apparition ni du complexe idéologique auquel elles se rattachaient. C’est au xixe siècle que commence la réhabilitation du grand théologien dominicain. Sur le terrain historique, le cardinal Zéphyrin Gonzales attirait l’attention sur la valeur et l’originalité de sa doctrine juridique. Menendez Pelayo signalait à son tour, d’une main experte, l’importance de sa personne dans la restauration doctrinale et universitaire du xvie siècle. Depuis, Hinojosa, Getino et l’auteur de ces lignes ont continué à explorer les matériaux historiques de son époque et ont tiré au clair les principaux points de sa vie académique et littéraire. Quant à l’aspect doctrinal, plus intéressant pour son originalité, il a suscité un plus grand nombre de chercheurs. James Mac Kintosh et Wheaton ont attiré l’attention des érudits sur les prédécesseurs que Grotius et Gentili ont trouvés dans les théologiens espagnols, spécialement en Vitoria, l’intérêt que présentait leur connaissance pour l’étude des origines du droit international. Les travaux commencés en ce sens par E. Nys, au milieu du xixe siècle, et continués avec enthousiasme par Barthélémy, Kesters, Vanderpol, Beuve-Méry, Delos, Barcia, Trelles et Brown Scott,