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VINCENT DE LERINS (SAINT)


4. Progrès dans le poli et le fini de l’expression.

« Il est légitime que ces anciens dogmes de la philosophie céleste se dégrossissent, se liment, se polissent avec le développement des temps : ce qui est criminel, c’est de les altérer, de les tronquer, de les mutiler. Ils peuvent recevoir plus d’évidence, plus de lumière et de précision, oui ; mais il est indispensable qu’ils gardent leur plénitude, leur intégrité, leur sens propre… Dans sa fidélité sage à l’égard des doctrines anciennes, l’Église met tout son zèle à ce seul point : perfectionner et polir ce qui, dès l’antiquité, a reçu sa première forme et sa première ébauche ; consolider, affermir ce qui a déjà son relief et son évidence ; garder ce qui a été déjà confirmé et défini. Omni industria hoc unum studet ut vetera fideliler sapienterque tractando, si qua sunt illa antiquitus informata et inchoata, accuret et poliat ; si qua jam expressa et enucleata, consolidet et ftrmet ; si qua jam confirmala et definita, instituât. » xxiii, 17. Tous ces textes ont été minutieusement étudiés, surtout depuis que s’est posée, avec une précision jusqu’alors inconnue, la question du développement des dogmes, et l’on sait que le concile du Vatican a fait sienne, en l’introduisant dans la constitution Dei Filius, une des formules du Lérinien : Crescat igitur oportet et mullum vehementerque proficiat, tam singulorum quam omnium, tam unius hominis quam lotius Ecclesiæ, pclatum ac sseculorum gradibus intelligentia, scientia. sapientia : sed in suo dumtaxal génère, in eodem scilicet dogmate, eodem sensu, eademque sententia. xxiii, 2. Nous n’avons pas évidemment à étudier ici un problème qui a été, à plusieurs reprises, envisagé en d’autres articles. La seule question qui se pose pour nous est de savoir en quel sens le moine de Lérins a admis la légitimité du progrès dont nous venons de relever les formules. Pour s’en rendre compte, il est indispensable de replacer ces formules dans leur contexte et de tenir compte des circonstances dans lesquelles elles ont été rédigées. Rien ne serait plus dangereux et plus opposé à la véritable pensée du I.érinien que de les isoler et les disséquer, pour creuser, s’il en était besoin, le sens de chaque mot ou de chaque métaphore. La netteté des formules, vigoureusement frappées, ne doit pas, en effet, nous faire illusion : Vincent n’emploie guère ici, pour traduire sa pensée, que des images : le corps humain qui se développe, la plante qui grandit, le meta] qu’on polit, l’ébauche qu’on achève de sculpter, la médaille dont on grave plus profondément l’empreinte, le souvenir qu’on met par écrit, afin d’en assurer la pérennité. Qu’y a-t-il derrière toutes ces images ?

Tout le Commnnitorinm, il ne faut pas l’oublier, Ht dirigé contre les nouveautés de l’erreur et les thèses’qu’il se plaît à développer sont celles qui remplissaient déjà le De pnrscriptione hærelicorum de Tertullien. Ce n’est qu’en passant, pour répondre à une question pressante qui ne doit pas être simplement supposée, mais qui a pu être réellement soulevée autour de lui. que Vincent est amené à consacrer quelques pages a la loi du progrès. Encore, au milieu de ses explications sur le progrès, il tient à revenir BV « insistance sur la loi d’immutabilité : « Si l’on tolérait une seule fois cette licence de l’erreur impie (c’est-à-dire la nouveauté), je tremble de dire toute l’étendue des dangers qui en résulteraient et qui n’iraient à rien de moins qu’à détruire, à anéantir, a abolir la religion. Silôt qu’on aura cédé sur un point quelconque du dogme catholique, un autre suivra, puis un autre encore, puis d’autres et d’autres encore. Ces abdications deviendraient en quelque

COUtumièreS et licites. De plus, si les parties sont ainsi rejetées une à une, qu’arrivera-t-il à la fin ? Le tout sera rejeté de même. Or si, d’autre part,

on commence à mêler le nouveau et l’ancien, les idées étrangères et les idées domestiques, le profane et le sacré, nécessairement cette habitude se propagera au point de tout envahir. » xxiii, 14-15. On ne peut qu’être d’accord avec Vincent lorsqu’il formule ces mises en garde. Ne rien ajouter, ne rien retrancher, telle est la loi fondamentale du dépôt. Mais alors on se demande pourquoi ces réserves sévères interviennent au milieu des passages où sont précisées les conditions du développement légitime ? Saint Vincent ne redoute rien tant que la nouveauté et le changement : et lorsqu’il pense aux théories augustiniennes de la prédestination — ce qui lui arrive tout le temps au moment où il rédige le Commonitorium — il n’est pas loin d’y voir un cas privilégié de ces abominables nouveautés, susceptibles de ruiner à jamais l’édifice de la foi catholique. Aussi restreint-il tant qu’il peut les possibilités d’un développement doctrinal. À certains égards, on peut regarder comme fondamentale, bien plus que la phrase retenue par le concile du Vatican, celle où il marque clairement les trois étapes du travail que doit accomplir l’Église en la matière : 1. perfectionner et polir ce qui, dès l’antiquité, a reçu sa première forme et sa première ébauche. Nous avons ici l’image du sculpteur ou du graveur qui achève la statue ébauchée, qui polit la médaille encore rugueuse. — 2. Consolider et affermir ce qui a déjà son relief et son évidence. Ce qui est un travail de conservation, à rencontre des nouveautés hérétiques, capables d’ébranler l’édifice et de ruiner ses fondements. La maison est bâtie ; la vérité est crue ; mais les novateurs travaillent à la miner et les croyants eux-mêmes se montrent hésitants : que l’Église affirme, qu’elle définisse la vérité et qu’elle condamne expressément l’erreur ; — 3. Enfin, garder ce qui a été consolidé et affermi. Tout cela constitue une acquisition définitive, xrrjji.’x eEç àeî, sur laquelle il n’y a plus jamais à revenir. L’Église se doit seulement de protéger et de défendre son trésor. Reste malgré tout, et ceci est pour nous l’essentiel, que saint Vincent de Lérins admet la possibilité et la réalité d’un vrai progrès dans la connaissance d’une part, dans la formulation d’autre part d’une vérité dogmatique. Le dogme certes n’est pas changé ; le dépôt reste intact, sans addition ni soustraction ; mais l’Église en connaît mieux le contenu et elle en exprime la richesse avec plus de précision et de clarté. D’autres, sans doute, l’avaient déjà dit avant le moine de Lérins. Ce qui a fait, à partir du xvie siècle, la fortune de ses expressions, c’est la vigueur et la netteté de leur frappe. Parce qu’il a su trouver des formules claires, puissantes, simples et fortes à la fois, le Lérinien s’est assuré une place de choix dans l’histoire de la théologie.

Nous avons déjà rappelé que le Cnmmnnilorium a été, depuis le xvt’siècle, l’objet d’éditions, de traductions, d’étoiles presque innombrables. Une des meilleures éditions anciennes est celle d’Êt. Baluze, publiée en appendice à son édition de Salvicn de Marseille, Paris, 1603, 16*1 ; réimprimée dans la P. L., t. i„ col. 637-086. Parmi les éditions récentes, on peut signaler celles de A. JOlicher, Fribotirg-en-Kr., 189. r > : de G. Hausehen (Flortleg. patrisl., B)i Bonn, 1906 ; de. S. Moxon, Cambridge, 1915, Parmi les traductions, en français : F. Brunetière et p. de Labrlolle, Saint Vincent de Lérins, Paris, P.106 ; en allemand : G. Rauschen, dans Blbllothek <lrr Ktrchen niilrr, Kemplen, PMI ; en castillan : J. Madoz, Madrid, 1935. Éditions et traductions sont généralement précédées d’introductions et accompagnées de notes plus ou

moins abondantes.

Naguère H.-M.-l. Poirel s’est efforcé de démontrer que lainl Vincent de Lérins n’est.uitre que MartUS Mercator, le disciple de saint Augustin, et cpie le deuxième C.ummonitortum se retrouve dans les œuvres de Marins Mercator.

Cf. H.-M.-.i. Poirel, De utroqut Commonttorlo Ltrtnenit,