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VINCENT DE LÉKINS (SAINT)


réfutation qu’en a faite saint Prosper : quia peccalorum nostrorum auctor sit Deus, eo quod malam facial voluntatem hominum, plasmel substantiam quæ naturali motu nihil possit nisi peccare. C’est le texte de la 5e objection. Vincent aurait-il eu l’arrière-pensée d’atteindre saint Augustin, sous couleur de dénoncer la doctrine impie de Simon et de ses disciples ?… Prosper et Hilaire avaient obtenu du pape Gélestin une lettre très élogieuse pour saint Augustin et très dure pour ses adversaires gaulois. Vincent fait allusion à la lettre de Célestin (xxxii, 4-7) ; il en cite même un passage, mais en soulignant si habilement un certain si ita res est, qu’il insinue à petit bruit que le pape a bien pu être trompé par les rapports de Prosper et d’Hilaire, et que, de sa lettre, ne subsiste en somme que la proscription portée contre les nouveautés. » P. de Labriolle, Saint Vincent de Lérins, Paris, 1906, p. lxxxiii.

Il est difficile d’échapper à la conclusion que, derrière les hérétiques anciens, saint Vincent cherche à atteindre un enseignement actuel dont il se défie et qu’il poursuit au nom de la tradition unanime : c’est la doctrine de la prédestination, telle que l’a formulée saint Augustin qu’il condamne de la sorte ; et, ce faisant, il montre son attachement à l’école semi-pélagienne qui exerçait dans le midi de la Gaule une influence alors prépondérante. Sans doute, comme ses compatriotes, le moine de Lérins admire l’évêque d’Hippone et partage ses vues sur la Trinité et sur l’incarnation ; c’est ce qui lui permet de composer le florilège dont nous avons parlé. Mais, lorsqu’il s’agit de la grâce, il ne peut pas s’empêcher de se dresser contre lui. S’il dénonce Pelage, Célestius, Julien d’Éclane, il suit en cela l’exemple de tous les orthodoxes : nul n’a plus le droit, après les solennelles condamnations dont ces personnages ont été l’objet, de ne pas proclamer leurs erreurs. Il n’ose pas nommer, parmi les hérétiques, un homme tel que saint Augustin et personne ne songe à le faire, même parmi les adversaires les plus fougueux de la prédestination ; il tient cependant à rappeler que le point de vue personnel du grand docteur demeure privata opiniuncuta, incapable de prévaloir contre l’enseignement antique et universel de l’Église. Voir l’article Semi-PÉLAGIENS, t. xiv, col. 1819 sq.

III. La doctrine.

La question du but poursuivi par Vincent en rédigeant le Commonitorium reste secondaire malgré son intérêt. Si les théologiens, à partir du xvie siècle, se sont attachés au petit livre de Vincent, c’est presque exclusivement à cause du double canon qu’il formule sur la tradition et sur le progrès du dogme. Que faut-il penser de ce double canon ?

La tradition.

Nous avons déjà cité les expressions

de Vincent : quod ubique, quod semper, quod ab omnibus. L’ordre indiqué par lui est celui dans lequel doit se poursuivre le travail de recherche. Il est facile d’examiner d’abord si un dogme est cru par tout le monde, s’il ne soulève pas de contradiction actuelle, s’il n’est pas combattu ou nié par des hérétiques, si l’universalité du consentement est réalisée, il est inutile d’aller plus loin. Selon l’expression de saint Augustin : SecurvLS judicat orbis terrarum. De fuit, il est d’ailleurs difficile, peut-être impossible de trouver une telle unanimité. Presque Ions les dogmes sont l’objet de contradictions. Au temps où /Trit Vincent, les ariena méconnaissent la Trinité, les nestoriens combattent le Verbe incarné, les pélagiens nient la grâce divine ; bien d’autres hérésies s’attaquent encore aux enseignements essentiels de l’Église. Bien plus, on a pu voir un temps où, selon l’énergique affirmation de saint Jérôme, Adv. Lucifer., 19, le monde s’est étonné d’être arien. L’an DICT. DB TU l ::oi.. CATHOL.

tiquité d’une doctrine est donc un meilleur critérium que son universalité. Ici, le Lérinien retrouve les voies tracées avant lui par saint Irénée et par Tertullien et l’on a justement mis en relief tout ce qu’il doit au traité de ce dernier Sur la prescription. L’argument de Tertullien est plus soigneusement développé : exprimé par un homme qui connaît toutes les ressources du droit romain, il revêt une forme plus rigoureuse. Vincent affirme plus qu’il ne démontre et les exemples qu’il cite pourraient être contestés. Du reste, l’antiquité à elle seule demeure insuffisante, car on peut trouver chez des maîtres d’autrefois, fussent-ils aussi savants qu’Origène et Tertullien, des erreurs graves. Il faut qu’elle soit confirmée par la consensio, c’est-à-dire par l’accord des magistri probabiles. Cet accord n’a pourtant pas besoin d’être unanime : saint Vincent rappelle que le concile d’Éphèse a cité le témoignage de dix d’entre eux : Pierre d’Alexandrie, Athanase, Théophile d’Alexandrie, Grégoire de Nazianze, Basile de Césarée, Grégoire de Nysse, Félix et Jules de Rome, Cyprien de Carthage, Ambroise de Milan. Mais ces dix suffisent parce qu’ils représentent l’ensemble du monde catholique, l’Orient et l’Occident, le Nord et le Midi, unis pour exprimer une foi commune et traditionnelle. Qu’importe, après cela, que tel ou tel, même parmi les plus grands, se soit trompé ? Son avis ne saurait prévaloir contre celui de la consensio.

A première vue, la règle du Lérinien semble de nature à satisfaire les esprits les plus exigeants. Dès qu’il s’agit de l’appliquer, par contre, elle se découvre fertile en pièges de toute sorte. À quels signes reconnaître l’unanimité d’un enseignement ? Les donatistes se condamnaient eux-mêmes en limitant leurs horizons à l’Afrique et, s’ils essayaient de les élargir, ils ne pouvaient entrer en communion qu’avec des ariens ou installer à Rome qu’un évêque sans autres fidèles que des Africains. Saint Augustin peut donc les réfuter en leur opposant la catholicité de l’Église. Mais les ariens avaient eu pour eux, à un moment donné, la presque unanimité des évêques d’Orient et d’Occident : ils n’en étaient pas moins hérétiques. L’apostolicité d’une doctrine ou d’une pratique n’est pas moins difficile à constater ou à vérifier dans les cas difficiles. Aux pélagiens qui niaient le péché originel, saint Augustin répond en rappelant que la pratique du baptême des enfants suppose manifestement cette doctrine et que, de tout temps, elle a été suivie sans qu’on puisse en découvrir l’origine. Cela est vrai et la preuve est solide. Reste cependant qu’elle laisse après elle une impression mélangée. I^Jous voudrions bien, malgré.tout, savoir d’où vient cet usage. On l’attribue aux apôtres : s’agit-il de l’un des Douze ? ou bien le collège des Douze a-t-il pris quelque jour une décision solennelle et irréformable ? N’est-il pas plus vraisemblable que la coutume s’est introduite d’abord dans une Église particulière et qu’elle a rayonné de là, sans qu’on ait réfléchi profondément sur sa signification ? À mesure que le temps passe, que les siècles s’écoulent, il devient plus difficile de savoir avec certitude ce qu’ont dit, ce qu’ont fait les apôtres et leurs successeurs immédiats. Les documents font défaut et, quand ils existent, ils sont parfois d’une interprétation délicate. Les Pères anténicéens ont-ils enseigné à propos de la Trinité exactement la même doctrine que le concile de Nicée ? S’ils emploient des expressions troublantes, faut-il les entendre dans leur sens obvie ou bien s’efforcer de les accorder vaille que vaille avec les formules plus autorisées, niai 1 - aussi pins récentes, des maîtres postérieurs ? À cela s’ajoutent

des problèmes d’authenticité qui relèvent de la com pétence des érudits : ni saint Vincent « le Lérins. ni

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