chrétien. Seuls ceux qui ne font rien, pas même ce qu’ils doivent, ne se trompent jamais.
8° Rôle dans l’extinction du Grand Schisme.
Parmi les Catalans ses contemporains, ce fut un
reproche d’un autre ordre qu’on adressa à Vicent
Ferrer. On le blâma d’avoir quitté le parti du pape
Benoît XIII qu’il avait si longtemps défendu et
d’avoir été au moins l’une des causes de sa déposition.
Sur un manuscrit du Traité du schisme de
Vicent Ferrer une main rageuse a écrit dans une
marge : « contre toi lorsque tu as fait déposer le pape
Benoît ». Le passage qui fait vis-à-vis à cette glose
indique que, le pape étant représentant direct de
Dieu sur la terre, nul au monde, ni homme, ni nation
n’a le droit de se soustraire à son obédience. À prendre
à la lettre et d’une manière superficielle les événements,
on pourrait être tenté de donner raison à
l’objectant. En réalité, à analyser les choses de
plus près, voici comment Vicent Ferrer évolua dans
son jugement sur la personne de Benoît XIII, sans
se démentir sur sa saine théorie monarchique du
souverain pontificat. Benoît XIII n’avait été élu
qu’à la condition expresse de mettre fin au schisme ;
son obstination à ne point se démettre perpétuait
au contraire le conflit. Des heures durant, le vieux
pontife têtu ressassait ses arguments qui n’étaient
point sans sel : « Pape douteux, disait-il, je suis le
seul cardinal authentique d’avant le schisme. Les
papes douteux ont nommé des cardinaux douteux.
Or ce sont les cardinaux authentiques qui nomment
les papes authentiques. Comme seul cardinal authentique,
je me renomme pape indéfiniment. » Il restait
à savoir si le mode de nomination des papes par les
cardinaux est de droit divin. N’est-il pas tout simplement
une discipline de l’Église révocable en cas de
conflit’? Les plus hautes autorités ecclésiastiques
réunies en concile ne constituent-elles pas par excellence
l’assemblée habilitée pour décréter, au moins
pour une circonstance exceptionnelle, le mode de
l’élection d’un pape autrement que par le Sacré Collège ?
Cette opinion qui se faisait jour de divers côtés
semble être devenue de plus en plus celle de Vicent
Ferrer. Or, c’est une opinion parfaitement judicieuse,
pour autant qu’elle n’entraîne point à attribuer au
concile des droits et prérogatives abusifs, contraires
à la primauté pontificale. Cette ligne de conduite
devait prévaloir au concile de Constance ; et il n’est
malheureusement que trop certain que la mentalité
générale y dévia dans le sens dangereux, celui de la
supériorité du concile sur le pape. Mais, contrairement
à une légende longtemps répandue, Vicent Ferrer
n’a jamais siégé à Constance. Tout au plus est-il vrai
que, vers 1415, alors qu’il parcourait l’est de la
France, une députation des conciliaires de Constance
vint le rejoindre, en vue d’une prise de contact
et pour des débats qui nous demeurent obscurs. Il a
pu également, dans les aimées précédentes, lors du
voyage de Sigismond, roi des Bomains, à Narbonne
et lors de la soustraction d’obédience prononcée
contre Benoît XIII à Perpignan, encourager Sigismond
dans son projet du concile de Constance. Le
rôle véritablement historique de Vicent Ferrer dans
l’extinction du Grand Schisme est autre et peut se
résumer comme suit. Entre 1412 et 1414, Vicent
Ferrer dans ses sermons change progressivement
d’attitude à l’égard du pape Benoît. D’abord il continue
d’user de la formule laudative et respectueuse : « Notre saint Père » ; par la suite, il en vient à risquer
en public ce jugement : « On ne sait pas quel est le
pape véritable. » Enfin à Perpignan, en 1414, a lieu
la soustraction ultime d’obédience prononcée contre
Benoît XIII par le roi Ferdinand et par les principaux
féodaux pyrénéens demeurés fidèles jusqu’alors à la
cause avignonnaise. C’était le résultat de négociations entre Vicent Ferrer et le roi Sigismond à Narbonne. Avant de joindre à la proclamation de cet acte un sermon terrible contre le pontife récalcitrant, son ancien pénitent, Vicent Ferrer était passé par une crise morale aussi rapide, aussi profonde et aussi décisive que celle qui l’avait secoué à Avignon lorsqu’il avait décidé, plus de dix ans auparavant, de quitter le palais des Doms. Une tristesse demeurait : la survie du vieux Benoît et autour de lui d’un reste de petit schisme aragonnais rétréci sur le rocher de Peniscola. Bien des compatriotes de Vicent Ferrer, attardés dans leur dévouement pour l’opiniâtre, tel Pierre d’Arens, en blâmèrent le courageux prédicateur. Notre époque lui ferait plutôt le reproche contraire et s’étonnerait de le trouver si lent à se déprendre d’un antipape. Au fond, l’attitude de Vicent Ferrer était basée sur ses informations, qui ne se redressèrent que progressivement, sur sa prudence et sur sa théologie de la papauté qui fut ferme et juste dès le début du schisme. Cette attitude est impeccable et logique. Il avait d’abord supposé le pape Benoît authentique ; progressivement celui-ci se révéla par son obstination comme un obstacle à l’unité de l’Église ; mais ses premières palinodies ou ses premiers faux-fuyants pouvaient signifier simplement un défaut de tactique ou de caractère ; un pape n’est point antipape en raison seulement de telles imperfections ; et Vicent Ferrer aurait péché par imprudence et inconstance s’il avait retiré avec trop de hâte sa confiance à Benoît XIII. On ne voit pas, par ailleurs, en dépit de l’annotation furieuse consignée par un adversaire sur le manuscrit du Traité du schisme, que Vicent Ferrer ait jamais renié, au profit de prétentions conciliaires indues, sa saine théorie de la primauté pontificale. En cela, il a échappé à un entraînement où se trouvent impliqués beaucoup des théologiens de son temps. À la fin de la grande aventure du schisme, — et pour toute la période troublée qui environne le concile de Bâle — son Traité du schisme, œuvre de sa jeunesse demeurait d’actualité pour toute sa partie doctrinale.
9° Miracles, don des langues. — Les enquêtes du procès de canonisation de saint Vincent Ferrier, entreprises à Toulouse et surtout à Vannes vingt à trente ans après sa mort, roulent essentiellement sur des miracles, en particulier sur des guérisons, qu’il aurait multipliés partout sur son passage de prédicateur itinérant. On laissera de côté les miracles inauthentiques inventés par une vaste littérature légendaire, en particulier en Espagne au xviie et au xviiie siècle. Dans l’état où se présente le procès de canonisation, il demeure un certain nombre de faits rapportés par des témoins sérieux et concordants : il serait donc téméraire de nier la matérialité de ces faits ; en bonne méthode historique, ils doivent être considérés comme acquis. Il reste à les interpréter. Au temps du D r Charcot, les D r8 Corre et Laurent qui ne songeaient pas à les mettre en doute, tentèrent de les expliquer par autosuggestion. Admettons provisoirement et par mode de hasardeuse conjecture que la télépathie naturelle puisse expliquer quelques-uns de ces faits ; il reste les autres comme un résidu incompressible par le rationalisme. Aussi la science actuelle serait certainement plus modeste que celle des D rs Corre et Laurent. En présence de phénomènes nettement miraculeux, le théologien verra en Vicent Ferrer beaucoup plus qu’un simple psychothérapeute, un authentique thaumaturge, qui appuyait, comme il est promis dans l’Évangile, par des faits irrécusables, l’exposé autorisé et solennel de la vérité chrétienne. Parmi ces miracles attribués à saint Vincent Ferrier dès le procès de canonisation, figure en bonne place