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VINCENT FERRIER (SAINT)


Anglade, son secrétaire, dont on possède encore un carnet relatant les itinéraires et les sermons pour une partie du voyage en Catalogne et en Castille. Mais le gros de la troupe qui accompagne le prédicateur est fait de femmes et d’hommes, dûment séparés. Ce sont les hommes qui constituaient le groupe des flagellants. Lorsque le cortège de Yicent P’errer pénètre dans une ville, ces ascètes martèlent leurs dos nus à coups de discipline. Sur ce spectacle émotionnant, chroniques, documents, dépositions au procès de canonisation abondent et concordent. Ce n’était point dans l’histoire de l’Église la première manifestation de flagellants. Les futures confréries de pénitents tendraient à ces pratiques, qui ne faisaient que porter sur la place publique les austérités de règle dans les cloîtres. Leur présentation et leur exercice par des néophytes plus riches d’exaltation que de prudence avaient déjà été précédemment l’objet de diverses sortes d’excès. Aussi le théologien parisien Nicolas de Clémanges semble avoir mis en garde par des lettres Vicent Ferrer ; lequel dut répondre qu’il veillait à ce que rien de scandaleux ne sortît de ces démonstrations et exercices sur l’opportunité desquels on peut discuter mais qui, de soi, n’ont rien de nécessairement répréhensible. Dans ce débat comme dans celui sur la présence de la Trinité dans l’eucharistie, il ne reste que des échos indirects ou des documents douteux ; il est difficile de faire la lumière.

Eschatologie.

Sans que l’on ait à relever aucun

excès à proprement parler dans l’entourage des flagellants et disciples de Vicent Ferrer, il régnait tout naturellement autour de lui une atmosphère quasi

pentécostienne ». Le prédicateur et sa suite procédaient de proche en proche à une active régénération de la chrétienté par la liquidation des tripots, la suppression des mauvaises coutumes, la conversion souvent de ce qui restait çà et là de non-catholiques. En toute autre circonstance, l’idée aurait germé que tout se préparait pour un avènement définitif du Christ. À fortiori, la grande crise du schisme habituait à la croyance d’un bouleversement définitif précurseur du jugement dernier. Sainte Catherine de Sienne appelait volontiers le pape « Christ de la terre ». Ne voyait-on point sur cette terre ces divers « Christs » prétendus, dont la sainte Écriture signale prophétiquement l’apparition dans les derniers temps de l’humanité ? Aux conséquences du schisme s’ajoutaient les continuations de la grande peste et celle de la guerre de Cent ans et de diverses autres guerres des chrétiens entre eux ou des chrétiens avec les infidèles qui se préparaient déjà à prendre Constantinople. Dans tous ces événements. Vicent Ferrer lui-même, qui passait ses méditations à réfléchir sur l’Écriture, était porté à voir l’accomplissement des temps annonciateurs de la parousie. Comme tous ceux qui se sont complus à ces hasardeux conquit s, il interprétait les textes de Daniel. Qu’aurait dit le sévère Inquisiteur, Nicolas EymeriC, s’il avait encore été de ce monde, lui qui, rivant même le grand apostolat itinérant de Vicent Ferrer le dénonçait pour « les tendances de gyrovague et d’extravagant ? De tant de précisions données sur la fin du monde. Benotl I1I qui vivait lui aussi à cette époque dans les pays hispaniques s’inquiéta, lui qui n’avait pas accordé jadis d’importance aux dénonciations (le Nicolas Eymeric. Il demanda des explications. Virent Ferrer envoya un rapport où il maintenait son doute profond quant a la date que nul ne connaît, ainsi qu’il est dit dans l’Écriture. I.e fait est que la crainte salutaire des événements terribles et du Jugement final

semble avoir surtout été orchestrée par lui pour obtenir dans ses sermons la conversion des pécheurs.

Il lui arriva d’annoncer dans un premier sermon que l’Antéchist était probablement déjà né en ce bas-monde, quitte à affirmer plus tard aux mêmes auditeurs qu’une bonne communion pascale dissiperait ce cauchemar. Il n’en eut pas moins, notamment à Toulouse, des prédications si vibrantes sur ce sujet brûlant que les innombrables auditeurs, croyant l’événement arrivé, à la voix claironnante du saint, tantôt se jetaient à terre, gémissant, et tantôt se relevaient comme ressuscites. De tels ébranlements ne devaient point disparaître de la mémoire des peuples : ils devaient au contraire s’y renforcer dans ce tartarinisme des masses qui double l’histoire par la légende. Ainsi, les témoins qui déposent à Toulouse ou à Vannes au procès de canonisation représentent encore Vicent Ferrer comme le prédicateur de tous les sujets, le moraliste, le convertisseur, le nouveau saint Paul, un thaumaturge, beaucoup plus que « l’ange du Jugement », envoyé céleste de la dernière heure. Mais dans les quelques années qui suivent et avant la canonisation par Calixte III, la notion que l’on se fait communément de Vicent Ferrer change. Il faudrait dater ce changement des années 1440-1450. Désormais, il ne reste plus dans l’imagination populaire que « le prédicateur de la fin du monde » ; c’est même exactement le titre que lui donne le bibliothécaire de la cathédrale de Valence qui s’emploie à réunir des sermonnaircs de son illustre compatriote. Ce sera bientôt le thème principal de la liturgie de sa fête.

7° Maures et Juifs. Caspe. — À la fin du monde, selon une constante tradition chrétienne, Juifs et infidèles se convertiront. Il est tout naturel que, croyant plausible la proximité du Jugement dernier, Vicent Ferrer se soit particulièrement appliqué à la conversion des Maures et des Juifs, si nombreux dans la péninsule hispanique qu’il évangélisait entre 1410 et 1414. Ses sermons contiennent maintes allusions aux Maures et aux Juifs, qu’il faut amener à la vraie foi, et d’abord par le bon exemple. Les témoins du procès de canonisation, des documents croyables parlent de conversions en nombre considérable. La légende a brodé sur l’histoire et inventé toute une merveilleuse aventure de Yicent Ferrer en voyage chez le roi maure de Grenade. Certes les affaires politiques de l’Espagne attiraient du même coup son attention. A Caspe, neuf juges, délégués par les populations, eurent à désigner un nouveau roi d’Aragon. Vicent Ferrer était l’un d’eux et. vraisemblablement le plus influent, celui dont l’opinion allait décider, An comte d’Urgel, candidat local et peut-être héritier plus directement légitime, il fit préférer le régent de Castille, Ferdinand de Antequera. C’était préparer quelque peu l’unité de l’Espagne. Dans la suite d’une histoire plusieurs fois séculaire, les descendants ou plus exactement les successeurs de Ferdinand de Antequera se montrèrent souvent durs ou incompréhensifs à l’égard de la Catalogne, qui constituait pourtant l’un des plus beaux fleurons de leur couronne. D’OÙ, chez les cat al a ni si es militants, une légende nouvelle concernant Vicent l’errer, légende peu flatteuse et qui le dépeint comme traître à la patrie. lui vérité, Vicent l’errer ne pouvait deviner ce que serait l’avenir. I.e corps hispanique où il voulait introduire plus de paix et d’harmonie, constituait, comme l’ancien corps germanique, un complexe d’États, de fiefs et de villes, protégés les uns et les autres par leurs slatuts. leurs libertés locales, le rôle des jurais, ceux de la noblesse et du clergé. En tâchant d’met I re de l’union. Vicent l’errer demeure théologiquement Inattaquable. Puisqu’on l’avait choisi et heureusement choisi dans l’important arhi liage de Caspe, il n’remplissait que sou devoir de