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VINCENT FERRIER (SAINT)
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de cette époque que date son exposé dogmatique sur la présence de la Trinité tout entière dans l’eucharistie. Cette théorie lui vaudra une longue et obscure dispute avec l’inquisiteur Nicolas Eymeric. Cette dispute qui ne reste connue qu’indirectement se perdit dans l’éclat d’événements beaucoup plus importants, ceux qui étaient relatifs au Grand Schisme d’Occident. Celui-ci avait débuté en 1378 ; et, comme il était naturel, Vicent Ferrer avait suivi l’opinion des Aragonnais, Valenciens et Catalans, qui s’étaient déclarés favorables à la papauté d’Avignon. Vicent Ferrer écrivit un Traité du schisme. On peut distinguer dans cet ouvrage deux parties bien distinctes : l’une que l’on doit appeler dogmatique et l’autre que l’on pourrait appeler diplomatique en raison des démarches qu’elle suppose ou encore mieux « contingente », en considération de la nature des certitudes qu’elle s’efforce d’obtenir. La partie dogmatique, strictement thomiste et conforme aux traditions les meilleures, en particulier aux traditions médiévales dominicaines, affirme avec force la supériorité des souverains pontifes sur les évêques et les conciles. C’est une théorie résolument monarchique de l’Église. Pour ce qui concerne les événements contingents et diversement interprétables dans la confusion des informations tendancieuses plus ou moins contradictoires, Vicent Ferrer nie la légitimité du pape de Rome Urbain VI, en raison des interventions populaires intempestives qui accompagnèrent le conclave tumultueux de 1378 : il y aurait eu là, selon lui, des violences caractérisées dont la nature aurait été telle que l’élection demeurait viciée, laissant le champ libre à la nomination du nouveau pontife, Clément VII, par une majorité de cardinaux protestataires. Cette explication de Vicent Ferrer est forcément en dépendance de sources passionnées et ne peut trouver aucune majoration d’autorité dans la valeur de théologien de son auteur. 3° À la curie d’Avignon : mission comme légal a lalere Christi. — L’ouvrage de Vicent Ferrer magnifiait la papauté en général et celle d’Avignon en particulier. En des conjonctures où des théologiens modernisants prenaient parti contre la constitution monarchique de l’Église et voulaient profiter des circonstances pour lui donner un statut plus démocratique, tandis que la plus grande partie des théologiens de saine tradition concernant la nature du souverain pontificat se montraient hostiles aux prétentions avignonnaises et favorables au pape romain, Vicent Ferrer était trop précieux à la cause des pontifes très attaqués d’Avignon, pour que ceux-ci négligeassent de se servir de sa personne, de son autorité et de ses conseils. Dans les dernières années du xive siècle, c’est en qualité officielle de « chapelain » du pape Benoît XIII que Vicent Ferrer séjourne à la curie d’Avignon. Il y remplit aussi, à titre strictement privé, les fonctions de confesseur et de conseiller de ce pontife douteux. C’étaient là des fonctions délicates pour un homme de conscience droite : Pedro de Luna n’était devenu Benoît XIII que par une élection conditionnelle : il avait à ce moment promis de se démettre au cas où la chrétienté enfin unanime lui préférerait un autre pontife plus capable que lui de restituer dans toute sa visible intégralité l’unité de l’Église. D’abord absolument convaincu de la légitimité de Benoît, Vicent Ferrer avait toujours été trop mystique de l’unité pour céder jamais sur ce point. Or, vers 1403, la P’rance, principale nation de l’obédience avignonnaise, non seulement avait retiré sa confiance à Benoît, mais lui avait refusé toute obéissance et même l’avait assiégé dans son palais des Doms. Par les inimitiés qu’il suscitait, par son désir de plus en plus évident de ne se démettre

à aucun prix, Benoit XIII faisait de moins en moins ligure œcuménique. On le comparait aux mules de son pays aragonnais. Pour l’instant, il prétendait arranger lui-même les affaires de l’Église par entente directe avec le pape de Rome. Peut-être Vicent Ferrer a-t-il été, dès ce moment-là, ébranlé dans ses convictions en faveur de ce personnage suspect. Plus probablement le fond de sa pensée était que pour rétablir l’unité de l’Église la diplomatie serait utile, mais ne suffirait point. Il mettait le rétablissement de cette unité en relation avec la réforme des mœurs et le rétablissement pratique des préceptes de l’Évangile. Il passa par une sorte de crise de conscience extrêmement rapide mais extrêmement vive, en suite de quoi il décida de parcourir le monde occidental comme prédicateur itinérant. Benoît XIII eut l’intelligence de comprendre qu’une mission solennelle et prestigieuse universellement prêchée par ce dignitaire de sa curie pouvait servir sa cause. Il lui conféra les pouvoirs de légat a lalere Christi.

Mission dans les pays alpins et l’Italie.


D’abord en relations étroites avec la curie avignonnaise, Vicent Ferrer parcourut jusque dans la Suisse romande actuelle les pays alpins : Dauphiné, Savoie, Piémont. Il convertit, en majeure partie du moins, des vallées où les vaudois, plus tenaces ou moins traqués que les anciens albigeois des plaines, avaient maintenu les vieilles doctrines laïcistes de Pierre Valdo. Vicent Ferrer écrit même au pape Benoît, en termes explicites, qu’il trouve à convertir, non loin de Lausanne, des adorateurs du soleil. Ceux-ci paraissent être non point d’anciens primitifs attardés, mais des esprits émancipés, comme il en naissait de plus en plus dans le bouillonnement de plus en plus intensifié des pensées. Vers 1408, sur la côte figure, autour de Savone, il semble bien que Vicent Ferrer s’apprête à jouer un rôle de rapprochement diplomatique entre les deux papes. Par la suite, l’entrevue arrangée à Porto-Venere n’eut pas lieu, à cause de la duplicité ou de la pusillanimité de Benoît XIII. En consé’quence, Vicent Ferrer dut quitter l’Italie et passer en Espagne en 1410. Les années de son séjour en Italie semblent celles où il écrivit son Traité de la vie spirituelle, et où il prononça les sermons dont les réportations d’auditeurs sont consignées dans le manuscrit de Pérouse. Ainsi, durant cette période, à une activité diplomatique tout au plus sporadique, Vicent Ferrer allie de plus en plus une constante action de moraliste religieux, cependant que commence vraisemblablement à s’ébrécher son attachement à la personne et à la cause de Benoît XIII. Sa fréquentation des partisans du pape de Rome-n’a sûrement pas été étrangère à ce retournement qui ne faisait encore que s’esquisser. On ne sait pas au juste quelles contrées Vicent Ferrer parcourut en Italie. II faudrait au moins exclure l’Italie méridionale et la Vénétie. Il est tout à fait certain qu’il n’accomplit, ni à cette période de sa vie, ni à aucune autre les voyages de Flandre, des Pays-Bas, d’Angleterre. d’Allemagne et autres lieux que lui prêtèrent très généreusement et très tardivement des hagiographes trop modernes.

Flagellants.

Désormais les déplacements de

Vicent Ferrer dans la péninsule ibérique, puis en France (1410-1414-1419) vont être d’autant plus faciles à suivre qu’ils prennent l’importance d’une perpétuelle et éclatante manifestation européenne. Les populations se rendent en masse au devant de lui dans les villes, où les municipalités règlent l’ordonnance de son extraordinaire séjour. Il arrive, monté sur une mule, entouré de la troupe toujours croissante de ses disciples. On discerne parmi eux quelques-uns de ses confrères dominicains, comme Antoine