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VINCENT DE BEA I VAIS

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tif et Echard, sont reconnues avec certitude comme appartenant à Vincent. Plusieurs ont été rassemblées et imprimées en un volume in-folio par Jean de Hammerbach à Bâle, en 1481, ce sont :

Liber gratiæ, ou sous un autre titre, De Dei filio mundi redemptore, ou encore De Redemptore generis humani. Vincent en fait mention au c. i du 1. I de son Spéculum naturule, comme d’un travail déjà publié par lui. C’est un traité de l’incarnation et de la rédemption, théologique et historique ; il y expose l’une et l’autre génération du Rédempteur, l’éternelle et la temporelle, cette dernière surtout ; nous lisons le récit expliqué et commenté de la naissance de Jésus, de son enfance, de sa passion, de sa résurrection, de son ascension, de la venue de l’Esprit-Saint, de l’établissement de l’Église.

Liber laudum Virginis gloriosæ : « de vita scilicet et gestis beatse Virginis. » Les évangiles nous disent peu de choses sur la Vierge ; les apocryphes, au contraire, sont abondants, mais il faut s’en défier ; certains écrits anciens racontent des choses curieuses sur sa vie, son assomption, ses miracles ; il a paru utile pour l’honneur de la Vierge et l’édification des lecteurs, de recueillir dans les écrits des Pères, leurs nombreux traités et sermons, quelques fleurs en l’honneur de la Vierge.

Liber de sancto Joanne Evangelista. La préface nous prévient qu’il fait suite aux louanges de la Vierge, il est écrit dans le même esprit.

Vient ensuite dans l’édition de Bâle le De eruditione seu modo instruendorum ftliorum regalium déjà étudié plus haut, puis la Consolatio super morte amici. Il s’agit en fait d’une lettre de consolation, véritable petit traité de la vie éternelle, adressée à saint Louis par Vincent après la mort de son fils aîné Louis, décédé le 15 janvier 1260 et inhumé à Royaumont. Les mss. donnent un titre plus exact et plus complet : Epistola consolatoria F. Vincentii Bellovacensis ad regem Francorum Ludovicum super morte Ludovici primogeniti sui. Bibl. nat. ms. lat. 16 390. Ajoutons que cette lettre de consolation fut traduite en français en 1374 pour la bibliothèque du roi Charles V. II ne semble pas que cette traduction ait jamais été publiée.

Les trois premiers de ces ouvrages forment comme une suite sur le Sauveur, la Vierge, saint Jean, et composent l’histoire divine et humaine de l’incarnation. Dans l’édition de Bâle il manque le début de cette histoire, un Liber de Trinitate qui est le premier des inédits dont nous avons maintenant à parler. L’existence de ce livre nous est signalée par Vincent ; au début du Spéculum naturale, t. I, c. I, il écrit : de mundo quippe archehjpo sufficienter, ut œstimo, alias disseruimus in libro videlicet quem de sancta Trinitate communiter ex dictis sanctorum et catholicorum doctorum nuper compegimus.

Vient ensuite un Tractatus de pœnitentia, Bibl. nat., Ms. lat. 3214, totus ex dictis sanctorum doctorum collectus. Il n’est pas question seulement, dans cet ouvrage, du sacrement de pénitence, mais de l’esprit de pénitence ; c’est ce que l’on pourrait appeler un manuel d’ascétisme chrétien, traitant non seulement de la nécessité de la pénitence, mais de la prière, de la méditation, de la psalmodie, des bonnes œuvres, etc. Confession, componction, satisfaction, aumônes, correction fraternelle, jeûnes, mortifications de tout genre, garde des sens, règlement de vie, tout y est envisagé.

Enfin une Expositio orationis dominicæ et salutalionis beatse Mariée ; explication détaillée de ces deux prières fondamentales des chrétiens. Bibl. nat., ms. lat. 14 889.

III. Intérêt de l’œuvre. — Les écrits de Vincent, surtout son œuvre maîtresse, le Spéculum, connurent

un immense succès, pourtant on s’est montré parfois sévère, même dans l’ordre de Saint Dominique, pour les apprécier. On reproche à Vincent de la crédulité, l’usage des apocryphes, des miracles ridicules attribués à la Vierge. D’autres critiquent toutes ces sentences tirées d’auteurs païens et même d’Aristote, si particulièrement dangereux. Vincent a répondu par avance à beaucoup d’objections dans le prologue général du Spéculum : Tout n’est pas mauvais chez les mauvais auteurs, païens, apocryphes ou autres. Il est permis d’en tirer ce qu’ils contiennent de bon et d’excellent sans pour cela approuver le reste. En ce qui concerne les récits des apocryphes, lorsqu’ils sont nettement contraires à la foi, ils doivent être rejetés, mais, quand ce qu’ils nous rapportent est plausible, édifiant, il n’y a pas d’inconvénient à le recueillir ; le rapporteur ne prend pas parti d’affirmer ou de nier, c’est au lecteur à se faire par lui-même une opinion, s’il le peut. Quétif et Echard constatent à juste titre que Vincent est pour nous un témoin de la science de son temps, qu’il nous a conservé des textes qui sans lui seraient perdus et que du point de vue de l’histoire, pour les événements plus proches de lui, il est une source précieuse : sur l’origine des prêcheurs, des mineurs, des chanoines réguliers, de Cluny, des cisterciens, des chartreux, il nous donne une foule de renseignements. Pour nos contemporains, ce qui déprécie cette œuvre, c’est son caractère de compilation. Vincent, dit-on, craint d’émettre une opinion ; il a toujours besoin de s’abriter derrière les autorités. C’est donc la nature et la valeur de cette compilation qu’il nous faut examiner.

On caractérise quelquefois l’œuvre de Vincent en disant qu’elle est l’encyclopédie du xiiie siècle, mais la formule prête à confusion. Si, en effet, nous comparons Vincent à ses contemporains Albert le Grand, saint Thomas, Roger Bacon, tous les trois d’une personnalité si accentuée ; et si même nous le confrontons avec d’autres personnages de second plan, Vincent nous paraît s’être tenu en dehors du grand mouvement, créateur de pensée, du xiiie siècle ; il n’exprime pas la pensée de son temps, on dirait qu’il lui est antérieur ; au fond, il ressemble plus au fameux compilateur du ixe siècle, Raban Maur, qu’à Albert le Grand. Cette opinion n’est pas tout à fait juste, mais elle contient une part de vérité. Les auteurs des histoires de la philosophie ne font guère mention de lui ; les auteurs d’histoires des sciences pas davantage, alors que les uns et les autres font une place importante à maître Albert ; c’est que Albert le Grand raisonne sur les faits et les théories qui lui sont transmises ; il explore lui-même, il expérimente. Vincent n’est qu’un rapporteur. Son intention est double : d’abord mettre à la disposition des autres, des matériaux qui rendent possible leur travail ; il reste à ce point de vue dans la tradition du xiie siècle, dont les recueils de Sentences et les gloses scripturaires s’efforçaient de présenter chaque point de doctrine en une formule parfaite et définitive tirée des Pères de l’Église, chaque verset de l’Écriture avec son commentaire quasi officiel ; mais, lui, procède en grand sur l’universalité de la connaissance ; il est bien vrai qu’il fait penser à Raban Maur et à son De universo, mais Vincent est d’ordinaire plus attentif que Raban Maur à indiquer ses sources ; alors que ce dernier se contente de quelques lettres pour marquer que son texte est emprunté à Augustin, à Jérôme, Vincent donne presque toujours une référence assez précise ; comme Raban, il ne craint pas d’ajouter sa propre pensée pour expliquer un texte obscur ou le préciser ; le morceau est alors précédé de la mention : author. Vincent n’est donc pas un simple copiste ou le chef d’un atelier de