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VINCENT DE BK AU VAIS

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sitaient ses recherches ; il le reconnaît dans une épître qu’il adressa au roi à l’occasion de la mort de son fils aîné Louis (15 janvier 12(>0). Epistola consolatoria, prolog. Dans cette même épître, Vincent nous apprend, que sur l’ordre du roi, il exerçait l’office de « lecteur » dans l’abbaye cistercienne de Royaumont ; même affirmation dans le De emditione filiorum regalium ; de même dans un Tractatus de morali principis institutione demeuré inédit, et même fort peu connu, dont Quétif et Échard reproduisent le prologue, Script. 0. P., t. i, p. 239 : Olim duni in monastcrio Regalismontis ad exercendum lectoris o/ficium juxiu sublirnitatis vestræ beneplacitum, Domine mi rex Francorum, moram facerem…

Ces affirmations ont été comprises diversement par les historiens qui se sont occupés de Vincent. La plupart ont pensé que Vincent avait été attaché à la personne du roi et à la famille royale en qualité de lecteur, c’est-à-dire de professeur, mais puisque les enfants royaux avaient leurs maîtres, on ne voit pas bien quel aurait pu être le rôle de Vincent. Cette opinion étrange a été provoquée par la répugnance à admettre qu’un dominicain ait pu être le « professeur » de moines cisterciens. Or, écrit le P. Déni fie : « nous savons que l’abbé de Cîteaux demandait à cette époque pour son abbaye un lecteur de l’ordre des frères prêcheurs et, s’il est vrai que Cîteaux n’avait alors aucun lecteur qui fît partie de son ordre, il devait en être de même à plus forte raison dans l’abbaye de Royaumont… Vincent de Reauvais fut donc, comme il le dit du reste lui-même, lecteur des cisterciens de Royaumont et non pas lecteur du roi et de sa famille. » Denifle, Documents relatifs à la fondation de l’université de Paris, dans Mémoires de la Soc. de l’Itist. de Paris et de l’Ile de France, t. x, 1883, p. 245.

Toutes les relations entre saint Louis et Vincent se placent dans le cadre de l’abbaye de Royaumont que le roi avait fondée en 1228, non loin de Reauvais et non loin de sa propre résidence d’Asnière-sur-Oise. Le souverain aimait Royaumont ; c’est là qu’il fit enterrer son fils en 1260 ; il s’y rendait souvent avec sa famille. Vincent prêchait devant le roi, la reine et les princes ; le prologue du Tractatus de morali principis institutione déjà cité plus haut continue ainsi : cum… ibique (in monasterio Regalis montis) vos et familiam vestram divinis eloquiis aurem pariter ac mentem præbere diligenter interdum adverlerem, mihi quidem utile visum est aliqua de multis libris quos aliquando leyeram ad mores principum et curialium pertinenlia summalim in unum volumen… colligere. Ce projet de recueil de conseils à l’usage des princes et des officiers de la cour suppose une familiarité assez grande de la part de celui qui le conçoit. Domesticus, familiaris, Vincent se donne lui-même cette qualité ; on peut comprendre qu’il était reçu dans l’intimité de la famille royale. L’amitié de saint Louis fut le seul fait saillant de l’existence de Vincent ; elle suffit pour nous faire juger de sa valeur personnelle. Vincent mourut à Reauvais et une auréole de légende dorée entoura bientôt son nom. La date de 1264 attribuée à sa mort, si elle n’est pas absolument certaine, est fort probable.

IL Écrits. — 1° Le Spéculum majus. — Ce « miroir » du monde est l’œuvre essentielle de Vincent de Reauvais, celle qui a fait sa réputation jusqu’à nos jours. Cette immense encyclopédie s’efforce de rassembler et d’ordonner tout le domaine de la connaissance. Le comparatif majus, plus modeste que ne le serait le positif magnum, est de Vincent lui-même et n’est pas destiné à exalter son propre travail, mais seulement à le situer par rapport à un ouvrage de moindre envergure. On s’est demandé si cet ouvrage

auquel Vincent fait allusion ne serait pas une œuvre plus restreinte par laquelle il aurait commencé sa carrière d’écrivain ; mais il est plus probable qu’il s’agit de l’Imago mundi d’Honorius d’Autun ( ?), qui pouvait faire figure de manuel élémentaire. Le Spéculum, qui a été achevé avant 1244, se divise en quatre parties : spéculum naturale — doctrinale — morale — historiale.

Le Spéculum naturale est à la fois une philosophie, une théologie et une description de la nature, en commençant par l’étude de son auteur : Dieu, archétype et créateur des êtres ; il s’ouvre donc par une véritable théodicée : la divinité et ses attributs ; suivie d’une théologie de la Trinité ; vient ensuite, d’après l’ordre de la création, l’étude des anges, des démons, puis le récit de l’œuvre des six jours ; les êtres défilent devant nous à mesure que Dieu les appelle à l’existence : la matière et ses éléments, les astres, la terre avec toute sa géographie, montagnes, fleuves, océans, etc., les végétaux, les animaux, enfin l’homme ; tout au long de cet immense déroulement la méthode reste la même, philosophique, théologique et descriptive ; à l’occasion de chaque série d’être sont traitées toutes les questions qui s’y rattachent. L’homme fait l’objet d’une anthropologie complète dans laquelle tous les aspects de son être sont envisagés, âme, corps, privilèges surnaturels, chute originelle, etc.

Spéculum doctrinale et morale. L’étude, l’effort vers la connaissance, nous fournissent un moyen de réparer les malheurs causés par la chute originelle. Cette seconde partie contient un exposé de toutes les sciences depuis la grammaire jusqu’à la théologie en passant par la logique, la politique, le droit, la médecine, les arts mécaniques, en un mot, tout ce qu’il faut savoir pour se comporter convenablement dans la vie privée et publique, physique et morale. On attend normalement ici de longs développements sur les règles de la vie morale. De fait, ils existent dans un Spéculum morale qui accompagne le Spéculum doctrinale, mais ce Spéculum morale n’est pas de Vincent, quoique son Prologue général nous annonce qu’il avait l’intention de le composer. On avait remarqué de bonne heure que le Spéculum morale est identique mot pour mot à de longs passages de la Secunda Secundæ de saint Thomas et un problème était né de cette confrontation : saint Thomas a-t-il copié Vincent ou au contraire Vincent a-t-il incorporé à son œuvre de larges extraits de la Somme théologique. Le P. J. Échard dans son ouvrage : S. Thomæ Summa suo auctori vindicala, Paris, 1708, résumé par lui dans les Script. O. P., t. i, p. 232, a démontré que le Spéculum morale était une compilation d’auteurs divers, saint Thomas, Pierre de Tarentaise, Etienne de Rourbon et autres, par un anonyme du début du xive siècle.

Le Spéculum historiale est une histoire du monde depuis la création jusqu’en 1244, prolongée par Vincent lui-même jusqu’en 1253, et plus loin par divers continuateurs. Il débute par une récapitulation de ce qui a été dit dans les parties précédentes sur Dieu, la Trinité, les anges, l’homme dans son état originel et après sa chute. Puis, époque par époque, Vincent dit tout ce qu’il sait sur chacune d’elle. L’impression produite sur le lecteur est fort curieuse : entre les faits politiques qui servent de trame au récit, prennent place maints autres faits des plus disparates ; les plus intéressants sont assurément les faits littéraires : nomenclature des auteurs de l’antiquité et du christianisme, des écrivains ecclésiastiques ou profanes, catalogue de leurs œuvres, pensées morales et extraits multiples ; ensemble fort précieux qui nous permet d’imaginer l’étendue de la culture littéraire et spécialement de la connaissance de l’antiquité chez les théo-