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VIGILE (PAPE)


avait rallié l’ensemble du clergé et exigé des adhérents de Dioscore des lettres de renonciation. De même après que synodalement Boniface eut désigné Vigile comme son successeur une assez forte opposition se déclara. Dans un deuxième synode, Boniface fut contraint de rapporter l’acte précédent : Hoc censuerunt sacerdoles omnes propler reverenlium Sedis et quia contra canones fuerat hoc fuctum et quia culpa eum respiciebat ut successorem sibi constilueret. Boniface se confessa coupable du crime de lèse-majesté ( mujestatis reum) pour avoir fait cet acte en faveur de Vigile et l’acte lui-même (cyrographum) fut brûlé devant la confession de SaintPierre en présence de tous les prêtres, du clergé et du sénat. Ibid. Il est bien difficile de penser que Vigile n’ait pas été l’inspirateur de l’acte dont il aurait dû être le bénéficiaire.

Boniface II mourut le 17 octobre 532 ; son successeur, Jean II, ne fut consacré qu’aux derniers jours de décembre de la même année ou aux premiers de 533. Cette vacance de deux mois et demi, que rien ne justifie à cette époque, s’explique par des intrigues simoniaques dont il est amplement question dans une lettre du roi goth Athalaric à Jean II (conservée dans Cassiodore, Variarum, t. IX, n. 15, P. L., t. lxix, col. 778 sq.). Nous n’avons pas le droit de dire, n’en ayant pas la preuve, que Vigile ait été mêlé à ces manigances ; mais, étant donné l'échec de la tentative qu’il avait faite sous Boniface, pour arriver à la chaire de Pierre, il n’y aurait rien d'étonnant qu’il se soit agité, au décès de Boniface, pour obtenir par brigue ce qu’il n’avait pu obtenir par un acte régulier. Nous n’avons, d’ailleurs, aucun renseignement sur son attitude au temps de Jean 11(533-535) ni sous le pape Agapet qui succéda à celui-ci le 13 mai 535. Agapet, aussi bien, tenait à effacer, dans Rome, la trace de tous les différends que les compétitions antérieures avaient pu laisser. Il subsistait aux archives romaines les autographes des lettres de soumission que Boniface II avait exigées des partisans de Dioscore ; Agapet les fit brûler : rien d’officiel ne resterait plus des schismes passés : absolvit totam Ecclesiam de invidia perfidorum, dit le Liber pontificalis, ibid., p. 287.

L'ère des difficultés et des compétitions n'était malheureusement pas close pour autant. On a dit, aux notices respectives des papes Agapet et Silvère comment des intrigues, sur lesquelles la clarté n’est pas absolument faite, portèrent finalement au souverain pontificat l’ambitieux Vigile. Celui-ci avait accompagné à Constantinople le pape Agapet, envoyé en mission diplomatique par le roi des Goths Théodahat. Cette mission avait complètement échoué et le pape, avec quelque déférence qu’il eût été reçu par l’empereur Justinien, n’avait pu faire renoncer le basileus à la conquête projetée de l’Italie. Mais, par ailleurs, la venue d’Agapet à Constantinople avait coupé court, d’une manière qui semblait définitive, aux intrigues ourdies par Théodora pour rendre vie au monophysisme expirant. Le patriarche Anthime, parvenu au siège de la capitale par les soins de la basilissa et qui devait, dans la pensée de celle-ci, ressusciter le schisme monophysite, jugulé par l’action combinée de Rome et du pouvoir civil, avait été contraint de démissionner ; à sa place, le pape avait consacré, à Constantinople même, le patriarche Menas, sur l’orthodoxie chalcédonienne duquel Rome croyait pouvoir compter. La mort d’Agapet qui suivit de quelques semaines cette sorte de coup d'État (22 avril 536) pouvait tout remettre en question. Ne serait-il pas possible à l’Augusta de pousser sur la chaire de saint Pierre un homme qui entrât dans ses vues, revisât le procès d’Anthime, lui rendît

son siège et redonnât ainsi chance de survie au monophysisme sévérien ?

Or, les choses se passent comme si Vigile avait été cet homme dont Théodora rêvait de faire l’instrument de ses desseins. Le diacre d’Agapet ramène à Borne le corps de son maître ; peut-être, pensait-Il, aura-t-on attendu les obsèques de celui-ci pour lui donner un successeur. En fait, Vigile arrive trop tard ; sitôt connue la mort d’Agapet, le roi des Goths, Théodahat, s’est empressé de faire élire Silvère quin 536). A l’automne, cependant, sous la pression byzantine, les Goths ont évacué Rome ; c’est maintenant Bélisaire qui y commande. Enserré dans un réseau d’intrigues, le malheureux Silvère, représenté comme une créature des Goths, est déposé par le duc byzantin et exilé en Asie. Aussitôt Bélisaire lui substitue Vigile qui, en avril ou mai, est intronisé à sa place. À l’automne de 537, Silvère esquisse bien, d’accord avec Justinien, un retour offensif. On se débarasse prestement de lui. Qu’il ait ou non démissionné en novembre 537, peu importe, le fait est que sa disparition laisse Vigile en possession incontestée du siège pontifical. Dans toute cette affaire, Bélisaire joue le rôle le plus apparent ; mais, dans la coulisse, ne surprend-on pas l’action de l’ambitueux Vigile, fort de promesses que lui aurait faites la basilissa et utilisant à son profit l’action brutale du général byzantin ? Bélisaire, en d’autres termes, n’aurait-il été que l’exécutant d’un complot ourdi à Constantinople entre Vigile et Théodora ?

L’accusation est assez grave pour réclamer une audition impartiale des témoins. Le plus ancien est le diacre de Carthage, Libératus, qui, vers les années 560, donne dans son Breviarium causse nestorianorum et eutychianorum, une idée assez précise de la façon dont fut engagée l’affaire des Trois-Chapitres. Encore que très défavorable à la condamnation de ceux-ci, il laisse une impression de mesure et d’impartialité qu’il faut signaler. Or, au c. xxii, il est tout à fait explicite sur des tractations qui auraient eu lieu entre Vigile et la basilissa : Peu après la mort d’Agapet, écrit-il, « l’Augusta, convoquant Vigile, diacre d’Agapet, lui demanda la promesse secrète que, s’il devenait pape, il abolirait le concile (de Chalcédoine) et entrerait par lettre en rapport avec Théodose (d’Alexandrie), Anthime (de Constantinople) et Sévère (d’Antioche), et confirmerait leur doctrine par sa lettre. (En retour) elle lui promettait de lui donner pour Bélisaire l’ordre de le faire ordonner pape et de lui donner une somme de sept centenaria. Ambitieux et cupide, Vigile accepta avec empressement et ayant laissé à l’Augusta une profession de foi, il partit pour Rome ; mais, quand il arriva, Silvère était déjà nommé. » La narration se continue par le récit des démarches faites par Vigile auprès de Bélisaire, des machinations tramées par le Byzantin pour perdre Silvère, des promesses que l’on cherche à extorquer à celui-ci, de sa double comparution devant le dux, enfin de sa déposition et de son exil à Patare en Lycie. Texte dans P. L., t. lxviii, col. 1039 sq.

La Chronique de Victor de Tunnunum a été rédigée presque au même moment que le Breviarium. La chronologie de l’auteur est assez souvent en déroute ; c’est ainsi qu’il place en 541 (consulat de Basilius) la mort d’Agapet et l’ordination de Silvère, et c’est sous l’année 543 (2e année après le consulat de Basilius) qu’il rapporte les collusions de Vigile avec Théodora : « Par les agissements de celle-ci… Silvère, l'évêque de Rome, est envoyé en exil ; à sa place est ordonné Vigile. À ce dernier, Théodora avait arraché, avant son ordination, un autographe secret, d’après lequel, devenu pape, il condam-