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    1. TRINITÉ##


TRINITÉ. GRÉGOIRE DE NYSSE

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Saint Grégoire de Nysse. —

Nous insisterons beaucoup moins longuement sur l’enseignement des autres Cappadociens que sur celui de saint Basile. Saint Grégoire de Nysse s’attache à démontrer l’unité de Dieu. Il y a là, semble-t-il, quelque chose de nouveau dans l’histoire du dogme trinitaire ; et cette préoccupation est due à l’emploi de la formule : trois hypostases. Certes, aucune hésitation n’est possible dans l’esprit d’un chrétien, touchant le monothéisme. Seulement, il faut expliquer comment ce dogme fondamental s’allie à la croyance à la Trinité. Les eunomiens reprochent volontiers aux catholiques d’être trithéistes et c’est pour échapper eux-mêmes à ce reproche qu’ils déclarent le Fils différent du Père et qu’ils le relèguent au rang des créatures. Les orthodoxes ne peuvent pas adopter une solution aussi simpliste. Mais alors le problème se pose d’une manière pressante. « Vous m’objectez, écrit saint Grégoire de Nysse à Ablavius : Pierre, Jacques et Jean sont dans une même humanité, et cependant on dit trois hommes. Il n’est pas absurde que, si plusieurs sont unis dans une même nature, on leur donne au pluriel le nom de cette nature. Si donc l’usage, sans qu’on y contredise, permet de dire deux de ceux qui sont deux, trois de ceux qui sont trois, pourquoi nous, qui dans le dogme confessons trois hypostases et qui ne concevons aucune différence entre elles quant à la nature, pourquoi, dis-je, allons-nous contre notre confession, affirmant d’une part que la divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit est une, et d’autre part proscrivant de dire trois Dieux ? » Quod non sini tres dii, P. G., t. xt-v, col. 117.

Le problème est clairement posé. Si Dieu est un nom de nature et si, d’autre part, il y a trois hypostases, il faut parler d’un seul Dieu, mais aussi d’un seul homme, parce que la nature ne se divise pas et ne se dénombre pas : « Nous disons d’abord qu’il y a abus dans l’usage de nommer ceux qui ne sont pas distincts comme nature par leur nom de nature pris au pluriel. Dire plusieurs hommes, c’est semblable à dire plusieurs natures humaines… La raison d’hypostase, en découvrant les propriétés individuelles de chacun, détermine le partage et, par la composition, introduit le nombre. Quant à la nature, elle est une. Elle est la même, unie à elle-même, absolument indivisible et unique, n’augmentant point par addition, ne diminuant point par soustraction, demeurant toujours ce qui est un, indivise bien qu’elle se montre dans la multitude, continue, intégrale et ne subissant pas la division de ses participants. On dit au singulier : un peuple, une tribu, une armée, une assemblée, bien que le concept de ces choses contienne la multitude. De même, pour être exact, on devrait dire absolument : un seul homme, bien que ceux qu’on découvre dans la même nature forment multitude. « Il serait donc beaucoup mieux de corriger une coutume vicieuse, qui étend en le multipliant le nom de la nature, que d’y rester servilement attaché jusqu’à transporter dans le dogme divin l’erreur cachée dans cet usage. Mais rien n’est plus difficile à corriger qu’une coutume (à qui persuaderait-on de ne pas dire plusieurs hommes ?), tant une coutume est tenace. Ne nous opposons donc pas à ce qu’on la conserve pour les natures d’ici-bas, où l’usage n’en est pas criminel. Mais il n’en est pas de même pour le dogme divin : le choix des mots n’y est ni indifférent ni sans danger, là où le plus petit n’est pas petit. Confessons donc qu’il n’y a qu’un seul Dieu, conformément au témoignage de l’Écriture : « Écoute, « Israël, le Seigneur ton Dieu est uu Seigneur unique. Quod non sini très dii, ibid., col. 120.

Cette solution nous étonne et nous laisse désorientés. Suivant les doctrines platoniciennes, saint Grégoire de Nysse pousse jusqu’au réalisme le plus absolu. Les noms d’essence ne sauraient être mis au pluriel, parce qu’il n’y a que des essences uniques : il n’y a qu’un seul homme, auquel participent tous les individus : Pierre, Jacques et Jean ne sont pas des hommes ; ce sont des manifestations individuelles de l’homme unique. Si nous appliquons cette théorie à Dieu, nous dirons de même que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas trois dieux, mais trois manifestations du même Dieu. Seulement, l’homme unique, le Dieu unique existent-ils réellement, ou sont-ils de pures abstractions ? Faut-il remplacer les noms concrets par des termes abstraits ? Nous disons volontiers qu’il y a une seule humanité ; mais nous ne croyons pas que cette humanité existe en dehors de notre esprit. De même, si nous parlons d’une seule divinité, celle-ci sera-t-elle autre chose qu’une abstraction ? dans un cas, il y aura trois dieux, comme il y a plusieurs hommes ; dans l’autre, si Dieu désigne une réalité concrète, Dieu ne sera-t-il pas un nouveau terme, supérieur aux trois personnes que nous désignons et totalement inconnaissable ?

Saint Grégoire de Nysse s’est-il rendu pleinement compte de ces difficultés, ou lui a-t-il suffi de remarquer que sa théorie contrariait trop les habitudes les plus invétérées pour avoir des chances d’être adoptée ? En tout cas, il n’hésite pas à proposer une autre hypothèse pour résoudre le problème. Le nom de Dieu, que nous considérons généralement comme un nom de nature, serait simplement un nom d’opération : « Beaucoup, écrit-il, se figurent que le mot divinité signifie proprement une nature, comme les mots ciel, soleil, ou quelque autre de ces mots employés à désigner les éléments du monde. Ils disent que le mot divinité a été appliqué à nommer proprement la nature suprême et divine. Quant à nous, conformément aux enseignements des Écritures, nous savons que cette nature est ineffable et innommable et que tout nom, soit qu’il ait été emprunté aux choses humaines, soit qu’il ait été fourni par l’Écriture, exprime quelqu’une des choses qu’on peut concevoir au sujet de la nature divine, mais ne contient pas la signification de la nature elle-même. » Quel est donc le sens propre du mot 6e6ç ou du mot 6e6nr ; ç ? « Nous pensons, continue saint Grégoire, que le mot 0s6tt)ç vient du mot « inspection », 0edc, et que l’usage et l’Écriture ont nommé Dieu, ©e6v, celui qui est notre inspecteur. » Quod non sint tres dii, col. 120-124 ; cf. De Trinitate ad Eustathium, éd. Œhler, p. 180 ; cet opuscule figure parmi les Œuvres de Basile, P. G., t. xxxii, eo !. 696 ; voir aussi De commun, notion., P. G., t. xlv, col. 177.

Il est vrai que l’objection n’est pas encore résolue : l’usage ne veut-il pas que l’on nomme au pluriel non seulement les hommes qui ont une commune nature, mais encore ceux qui exercent les mêmes fonctions ou le même métier. On dit des laboureurs, des avocats, des médecins : ne doit-on pas dire : trois inspecteurs ? Non, répond saint Grégoire, car en Dieu, il y a unité d’opération :

t Parmi les hommes, on doit nommer au pluriel ceux qui exercent les mêmes fonctions, parce que l’opération individuelle de chacun est séparée des autres et circonscrite par une personnalité singulière. Quant à la nature divine, nous n’avons pas été instruits à dire que le Père opère seul sans que le Fils l’accompagne ou qu’à son tour le Fils agisse individuellement sans l’Esprit. Mais toute opération, partant de Dieu pour se terminer aux créatures, quel que soit du reste le concept et le nom spécial qui la distingue, part du Père, passe par le Fils et s’accomplit dans le Saint-Esprit. C’est pourquoi l’opération ne se divise pas entre plusieurs opérateurs, comme si le soin de chacun d’eux pour la même chose était individuel et séparé. Tout ce qui est opéré soit pour notre providence soit pour le gouvernement de l’univers, est opéré par les trois sans pour cela être triple… » Soit par exemple l’œuvre de notre sanctification : nous ne recevons qu’une seule vie, qu’une seule sainteté, qui est le don des trois personnes divines : On comprend par cet exemple, comment l’opération de la sainte Trinité n’est pas divisée suivant le nombre des hypostases, mais est un seul mouvement de volonté libérale, une seule disposition, allant du Père par le Fils vers l’Esprit… À ceux qui opèrent l’un par l’autre une même opération, on ne peut attribuer au pluriel le nom de l’opération. Or, absolu-