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VICTORINUS AFER LES ŒUVRES DE DIEU



VI. Les œuvres de Dieu.

Bien qu’elles remontent jusqu’au Père, source première de l’être, qui est, lui aussi, » puissance active », col. 1069 A, col. 1070 B, bien que l’initiative de notre salut dépende également de la volonté du Dieu suprême, col. 1238 C, cependant les œuvres divines appartiennent proprement au Verbe créateur et sanctificateur, c’est-à-dire au Fils et à l’Esprit-Saint. Seulement la création et la conservation du monde relèvent de « la première descente du Verbe, celle qui amène à la vie ; par la seconde descente, le Verbe, vie parfaite, achève le mystère » de l’incarnation, « et apparaît dans la chair : ainsi il fait vivre et il fait revivre, il crée toutes choses et il sauve ; il règne en lin puisqu’il se pose en vie éternelle dans l’Esprit ». Adv. Arium, t. I, c. xxvi, col. 10(50 A. C’est dire que les fruits de la rédemption sont distribués par le Saint-Esprit, qui opère « le retour à Dieu », cf. Ad Ephes., iv, 9, col. 1275 C ; Hymn., i, col. 1142 C. Il y a dans ce cycle de vie divine une perspective d’une véritable grandeur.

La création.

1. C’est l’oeuvre propre du Verbe.

Certes, il fallait bien admettre que le Père n’y est pas étranger : « C’est là une grande doctrine, difficile à comprendre comme à enseigner ; et pourtant la confession (de foi) est bien nette là-dessus : tout vient de Dieu », Ad Ephes., i, 8, col. 1244 A. « Nous ne voyons pas ici un aveu enveloppé d’émanatisme ; au contraire, ce qui devait paraître prodigieux à une mentalité néo-platonicienne, c’est bien la doctrine de la création », H. de Leusse, art. cit., dans Rech. de science relig., 1939, p. 220, et, plus précisément, c’était la doctrine de la création par le Père, le Dieu invisible et immuable. Aussi préfère-t-il se référer, dans le Credo, non pas au Creatorem cœli et terræ, mais au Per quem omniu facta sunt. Col. 1265 C. Tu creari imperas, tu créas, tu creata recréas, o beata Trinitas, Hymn., iii, col. 1144 B, voilà son Credo personnel ; cf. Ado. Arium, t. I, c. xlvii, col. 1076 D. « Le Créateur, admettons que c’est Dieu (le Père), mais c’est cependant par le Christ que Dieu est créateur. Ce nom de créateur ne convient pas à Dieu, mais au Christ, et par le Christ à Dieu ; car c’est Lui qui a engendré le Christ, et c’est le Christ qui a tout créé, ipso Deo opérante et per se créante. Ainsi s’explique l’unité de la création entière (naturelle et surnaturelle), par l’unité de créateur, puisqu’en effet les œuvres mêmes de Dieu le Père ont été créées par le Christ ». Ad Ephes., m, 9, col. 1266 A.

Cette stricte appropriation répondait à sa théorie philosophique de la Trinité, qui voyait dans le Fils une personne divine procédant par mode de mouvement et de vie. « Étant procession de Dieu le Père, il procède per cuncla : tout ce qui provient de Dieu et y retourne le fait par la puissance personnelle du Christ… il est source de tout, et tout sort de lui ; car il est père de tout mouvement, et tout (le créé) est mouvement. » Ad Ephes., i, 22, col. 1251-1252. « Le Père est la Vie, mais le Fils est la Vie ex se, force vivante pour lui-même et pour les autres, il est mouvement et premier moteur, mouvement originel et unique… Et parce qu’il est la Vie (en Dieu), c’est par lui et pour lui que tout a été fait… C’est aussi en lui, parce que quæ facta sunt, in ipso vita sunt : car rien de ce qui est ne possède son être de telle sorte que la vie rentre dans sa définition. » Adv. Arium, t. III, c. il et iii, col. 1099 C et 1100 B. « On peut évidemment chicaner Victorinus pour sa façon d’envisager ou d’exprimer [’appropriation ; il faut bien reconnaître qu’il professe la création. » H. de Leusse, loc. cit. Cf. col. 1030 A, 1032 C, 1041 C, 1056 C. 1075 C, 1084 B, 1104 B.

2. L’acte créateur est à l’origine du monde. « Contre la conception néoaristotélicienne qui fait de Dieu « le sur-Etre, dans une bienheureuse quiétude, et dont toute l’activité est d’être la cause de tout ce qui existe, c’est un Dieu actif que nous admettons selon (cette parole de la Genèse, i, 1) : In principio fecit Deus aelum et terram ». Col. 1060 AB. « Oui, le Père est première action, première existence et Etre premier : par une action bien à lui, il s’engendre lui-même (et il engendre son Verbe, tout cela dans l’éternité )… ; mais le Verbe, qui ne fait qu’un avec lui a pour rôle personnel d’amener toutes choses à l’existence : c’est en effet par Celui qui est l’être que lui est le Verbe ». Loc. cil. Il semble à notre auteur que le contact du créé soit plus explicable de la part de la personne qui est elle-même engendrée et qui se fera passible dans l’incarnation. « Cette personne-là, par le fait qu’elle procède, et qu’elle est dite Action, c’est à elle de supporter, si l’on peut dire, le contact des matières et des substances à qui elle fournit leur provision d’être, tout en restant inséparablement et impassiblement le Verbe universel du Père. Sa génération du Père, sa fonction de premier moteur et de créateur de toutes choses ne sont pas des passions, puisqu’elles tiennent à sa substance même. Les raisons des êtres, Xôyoi exsistentium, font partie de leur essence, et ne sont point des passions. » Adv. Arium, t. I, c. xxii, col. 1056 C. Un peu plus clair l’exposé du c. xliv, col. 1074 CD : la création n’implique aucun changement en Dieu, mais dans les créatures. Cf. Enn., VI, ix, 3.

3. L’être créé n’est pas une part de Dieu.

L’auteur affirme l’absolue transcendance du Dieu créateur. « On ne saurait dire qu’il est aucun des êtres à qui lui-même il donne d’être ; il est unique, et les êtres multiples ne sont point cet être unique. » Col. 1026 C. Il l’affirme du Verbe par rapport à tout ce qui a été fait par lui. Col. 1029 A, 1033 B, 1034 ; col. 1055 D, 1059 C, 1076 D, etc.

Il ose pourtant dire que « Dieu a été et a voulu être — la création est volontaire — tout ce qui pouvait être ». Col. 1031 B. C’est que, d’une part, il n’aime pas l’expression creare, qu’il reçoit pourtant de la tradition, col. 1041 C, 1144B, 12Il B, ni surtout factum ex nihilo, qui va contre sa philosophie. Non seulement il la répudie avec horreur quand il s’agit de l’origine du Fils, col. 1027 C, 1041 C, mais aussi, pour l’origine des créatures, parce que « ce qui n’existe pas, nulle puissance ne peut le faire exister ». Col. 1032 C. Disons si l’on veut « comme quelques-uns l’ont dit », et ici il cite la phrase liminaire du traité de Plotin Sur la génération des choses, cf. P. Henry, Victorinus a-t-il lu les Ennéades ? dans Rech. de science rel., 1934, p. 437, « que Dieu est tout et aucune d’entre elles, mais c’est comme principe de tout : il n’est donc pas tout, et c’est à ce titre seul (de Principe universel) qu’il est toutes choses ». Col. 1129 A. Par là même, les créatures « sont ovtoc, même celles qui n’existent pas. On dit qu’elles ne sont pas parce qu’elles sont cachées et en puissance, sans apparaître encore in actione. Ainsi toutes choses étaient déjà en Dieu. En effet, de tout ce qui existe, le Verbe est la semence ». Col. 1032 C. C’est en ce sens que le monde est éternel, col. 1031 B.

D’autre part, la vertu créatrice se marque par un écoulement de la vie divine en toutes les créatures, mais aussi par une dégradation progressive. « Dans un premier élan, il a amené tout à la vie, le Verbe qui sort du Père, communiquant ainsi aux êtres célestes sa propre vie par la puissance du Père ; mais il a créé la matière morte de la nature pour que sur elle aussi pût s’exercer la puissance vivificatrice divine ». Col. 1060 A. En ce sens aussi la vie est partout : tout est animé jusqu’à la matière : » La vie sans commencement et sans fin et sans frontières » va « jusqu’à la matière morte de la nature qu’il vivifie ».