Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/677

Cette page n’a pas encore été corrigée

liSS.’ï

VICTORIN DE l’KTTAI’2884

paralysées par son impéritie littéraire, Epist, lviii, 10, et qu’il ne connaissait pas le latin aussi bien que le grec. De vir. ill., 74. On ne saurait donc admettre, comme l’écrit Cassiodore, De instit. divin, liller., 7, P. L., t. i.xx, col. 1119 B, qu’il ait été rhéteur avant de devenir évêque ; ce renseignement doit provenir d’une confusion entre lui et le célèbre rhéteur Marius Victorinus Afer dont la réputation était beaucoup plus étendue que la sienne. Était-il venu dans le Norique pour y porter le premier la bonne nouvelle ? Avait-il trouvé à Pœtavio une Église déjà constituée et dont il n’était pas le premier évêque ? Il est difficile de répondre à ces questions, bien que la seconde hypothèse soit plus vraisemblable que la première. Les provinces illyriennes ont toujours été un des terrains préférés de rencontre entre la culture grecque et la culture latine, et l’on ne saurait être surpris de trouver à Pettau, aux environs de 290-300, un évêque originaire de l’Orient.

Saint Jérôme qui, en qualité de compatriote — il l’appelle quelque part Viclorinus noster, Epist., xxxvi, 16 — s’intéressait particulièrement à Victorin, lui reconnaît tantôt plus d’érudition que d’éloquence : etsi imperitus sermone, non tamen scientia, Prolog, in Isai., P. L., t. xxiv, col. 20 ; tantôt plus de bonne volonté que de véritable science : licel desit eruditio, tamen non deest erudilionis voluntas, Epist., lxx, 5, et il laisse entendre que son infériorité provenait surtout de son ignorance de la langue latine. Il n’en énumère pas moins de nombreux commentaires issus de sa plume, si bien que Victorin est pour nous un des pères, sinon le père, de l’exégèse proprement latine, Dans la notice du De vir. ill., 14, Jérôme signale en effet des commentaires sur la Genèse, cf. Epist., xxxvi, 16, sur l’Exode, sur le Lévitique, sur Isaïe, sur Ézéchiel, sur Habacuc, sur l’Ecclésiaste, cf. In Ezech. comment., iv, 13, sur le Cantique des cantiques, sur l’Apocalypse ; et il mentionne ailleurs un commentaire sur l’évangile de saint Matthieu, Translat. homil. Origenis in Lucam, prolog. Ces ouvrages étaient-ils des commentaires suivis ou des recueils de scolies ? « D’après Cassiodore, Instit., i, 5, 7, 9, t. cit., col. 1117 A, 1119 B, 1122 A, Victorin aurait plutôt discuté certains points de ces livres. Saint Jérôme n’en dit pas assez pour que nous portions sur l’œuvre de Victorin un jugement bien ferme ; il nous a néanmoins laissé quelques données. Il nous apprend ainsi que, dans son commentaire sur la Genèse, Victorin interprétait allégoriquement la bénédiction d’Isaac, Epist., xxxvi, 16 ; que, dans le passage de l’Ecclésiaste, iv, 3, suivant lequel un enfant pauvre et intelligent vaut mieux qu’un roi vieux et fou, il voyait une allégorie du Christ et du diable, In Eccles., iv, 3, comment. ; qu’il entendait les sex aise uni et sex aise alleri, dont parle Isaïe vi, 2, des douze apôtres, Epist. xviii, 6 ; peut-être y a-t-il encore un souvenir du commentaire de saint Matthieu dans cette remarque de Jérôme que Victorin regardait les frères du Seigneur non comme des fils de Marie, mais comme des parents plus éloignés de Jésus, Adv. Helvid., i, 17. Cf. J. Zeiller, op. cit., p. 207.

Les commentaires attribués à Victorin sont perdus à l’exception du Commentaire sur l’Apocalypse, dont nous possédons des recensions multiples. Suivant Haussleiter, qui en a publié le texte dans le Corpus de Vienne, la recension originale serait actuellement conservée par un seul ms., V Ottobonianus latin. 3288 A (xve s.), dont il existe d’ailleurs deux copies du xve et du xvie siècle ; cette recension est caractérisée par un millénarisme assez grossier. Une seconde rédaction est due à saint Jérôme, qui l’aurait entreprise sur la demande d’un certain Anatolius : le solitaire de Bethléem explique dans un prologue justifi catif qu’il s’est borné à quelques additions, suppressions et corrections au texte primitif ; en fait son travail a été plus étendu et plus profond qu’il ne veut bien l’avouer. Non seulement il a amélioré le style de Victorin et en de nombreux passages il a substitué à l’ancienne version latine des Écritures, dont se servait Victorin, une nouvelle version latine, mais encore il a supprimé presque tous les passages où était enseigné le millénarisme et il a accru l’exposé de Victorin de toutes sortes d’interprétations supplémentaires, empruntées à droite et à gauche, surtout à Tichonius. Dans une troisième recension dont l’auteur est inconnu, le texte de l’Apocalypse est plus largement cité et la rédaction de saint Jérôme subit elle-même de multiples retouches : c’est cette recension qui est à la base de l’édition de Gallandi et qui a été reproduite dans P. L., t. v, col. 281-344. Enfin, une quatrième recension a utilisé et amalgamé les trois précédentes en y introduisant de nombreuses additions et transpositions.

Le Commentaire de Victorin « est remarquable en deux points : d’abord, il interprète la Bête par Néron, lequel sera le huitième roi de Apoc, xvii, 11 (les sept premiers sont comptés de Galba à Nerva, Donatien, sous lequel Jean a écrit, étant le sixième) ; Dieu le ressuscitera pour le laisser reparaître sous un faux nom comme Antéchrist et ami des Juifs, naturellement des siècles après le septième roi, Nerva. Cette interprétation est fort intéressante : elle mêle la légende juive avec la tradition du Nero redivivus. Victorin n’a guère pu inventer cela de lui-même… (Puis) « Victorin, le premier, a expliqué la théorie de la récapitulation, d’après laquelle l’Apocalypse n’expose pas une seule série continue d’événements futurs, mais répète les mêmes successions d’événements sous diverses formes. Ainsi les coupes ne font qTie répéter ce qui a déjà été révélé par les trompettes… Ce principe qui est très juste et très fécond, pourvu qu’on l’applique avec discrétion, n’a pas été inventé non plus par Victorin. » E.-B. Allô, Saint Jean, L’Apocalypse, Paris, 1921, p. ccxxi.

En plus de ce commentaire, on a attribué à Victorin, avec plus ou moins de vraisemblance, un certain nombre d’écrits, qui sont certainement anciens et qui rappellent la manière de l’évêque de Pettau.

1. Un Tractatus de fabrica mundi, conservé par le ms. 414 de la Lambethana bibliotheca Londinensis (xi-xiie s.), et explicitement indiqué comme l’œuvre de Victorin, a été édité au xviie siècle par J. Cave sous le nom de l’évêque de Pettau. Cette attribution est généralement acceptée : le style médiocre et obscur, les idées teintées de millénarisme la favorisent nettement. Cependant, ce Tractatus n’est pas un fragment détaché d’un commentaire, celui de la Genèse ou celui de l’Apocalypse, par exemple ; il constitue un tout à part et doit prendre place parmi les multa alia dont parle saint Jérôme à la fin de sa notice sur Victorin. L’auteur interprète dans un sens allégorique le récit de la création de la Genèse ; il se livre en particulier à des considérations subtiles sur les vertus du nombre 7 et marque son importance dans le développement de la vie morale. Il est particulièrement curieux de souligner ici l’influence d’Origène qui se combine d’une manière étrange avec les théories millénaristes. Victorin de Pettau, si le De fabrica mundi est bien de lui, fait ici une sorte de synthèse entre les méthodes exégétiques de l’École d’Alexandrie et les conceptions, déjà attardées de son temps, du chiliasme.

2. Un fragment édité par Mercati sous le titre Anonymi chiliastse in Matthseum fragmenta, est caractérisé par un millénarisme très net qui rappelle d’assez près celui du Commentaire sur l’Apocalypse.