ont reçu l’existence, et alors le temps n’existait pas… Composé de corps, le monde, il faut l’avouer, a commencé d’être. Car les substances corporelles que les blessures détruisent, que le temps dissout et consume, prouvent par la fin même à laquelle elles tendent, qu’elles ont vraiment commencé, qu’elles ont été faites et qu’elles sont nées. » Aleth., i, 22-32. Il notera aussi la condamnation de l’astrologie qui devait trouver de nombreux adeptes dans la Gaule du ve siècle : « Tandis que, dénombrant les courses des astres et leurs divers retours, l’homme se plonge dans l’étude des merveilleux changements du ciel, il s’assure un crédit équivoque en montrant que, suivant les conjonctions diverses, naissent les inclinations et les criminelles fatalités ; il accuse les étoiles ; il charge de griefs le ciel sacré, les astres, ornements du monde et laisse croire que tout ce qui arrive devait se faire. De là cet art qui interroge les fibres palpitantes, les ailes brillantes et dans les nuées entr’ouvertes la foudre pleine de présages. » Aleth., iii, 139-148.
Du point de vue littéraire, V Alethia offre sans doute plus d’intérêt ; son auteur est un homme cultivé, qui a lu les meilleurs poètes et qui n’oublie pas de s’en inspirer à l’occasion. On retrouve chez lui des emprunts évidents à Virgile, Ovide, Lucrèce, Horace, Claudien. Parmi ses prédécesseurs chrétiens, Juvencus, Prudence, Paulin de Noie ont exercé sur lui une réelle influence. Pour décrire la création du monde, il s’inspire de VHexaméron de saint Ambroise, à travers lequel il atteint saint Basile de Césarée. Mais, comme il ne manque pas de talent, il sait combiner ses emprunts et ses réminiscences dans l’unité d’une œuvre vraiment nouvelle qui, par instant, semble presque s’élever à la véritable poésie. Particulièrement curieuse est la longue digression qui occupe les vers 6-202 du chant n et qui raconte la vie de nos premiers parents après leur expulsion du paradis terrestre. On les voit errer dans la grande forêt primitive où ils rencontrent le serpent. Ils lancent des pierres à la bête qui a causé leur perte ; de ces pierres jaillissent des étincelles ; la forêt s’enflamme ; le sol, fertilisé par les cendres, est prêt à recevoir les premières semences, à faire lever les premières moissons. Ce développement brillant révèle à la fois les qualités et les défauts de l’auteur, son amour de la rhétorique, son impuissance à respecter les proportions de l’ensemble, mais aussi sa facilité, son sens de la prosodie, son habileté technique. En un temps où la décadence est déjà sensible, Marius Victor tient une place honorable parmi les lettrés.
La première édition de V Alethia est due à Jean de Gagny (Gangneius), Lyon, en 1536. Gagny raconte lui-même dans sa préface comment il avait trouvé un manuscrit qui contenait le poème de Marius Victor, et comment ce manuscrit était, en bien des endroits, absolument illisible. Gagny n’en eut pas moins le courage d’en éditer le contenu, non sans avoir comblé les lacunes par un remplissage de sa composition. C’est pourtant cette édition qui est reproduite dans P. L., t. lxi, col. 937-970.
Le manuscrit lyonnais employé par Gagny est perdu. En 1560, G. Morel, qui avait découvert à Paris un autre manuscrit de V Alethia, le seul subsistant actuellement : le Parisinus 7558 (ix c siècle), publia, d’après ce manuscrit, une nouvelle édition incomparablement supérieure à celle de Gagny. Plus récemment, c’est d’après ce même manuscrit que C. Schenkl a donné, dans le Corpus de Vienne, t. xvi, 1888, p. 335-498, une édition critique du poème de Claudius Marins Victor. A. Bourgoin, De Claudio Mario Vielore, rhelore ehristiano quinti sa’culi, Paris, 1883 ; S. Gamber, Un rhéteur chrétien au Ve siècle, Claudius Marius Victor, Marseille, 1884 ; le même, Le livre de la Genèse dans la poésie latine au Ie siècle, Paris, 1899, p. 8 sq. ; H. Maurer, De exemplis quæ Claudius Marins
Victor in Alethia seculus sil, Marbourg, 1896 ; O. Ferrari, l’n poeta rristiuno del 5 secolo, Claudio Mario Vittore, Pavie, 1912 ; le même, Jnlorno aile fonti del poema di Claudio Mario Vittore, dans Didaskaleion, t. l, 1912, p. 57-7 l.
G. Bardy.
VICTOR DE TUNNUNUM, évêque africain du VIe siècle. — Aux environs de 555, l’évêque de
Tunnunum, Victor, fut envoyé en exil par ordre de
Justinieu, pour avoir refusé de se soumettre aux décisions
de l’édit impérial qui, en 543 ou 544, avait
condamné les Trois-Chapitres et à celles du concile
général qui, en 553, avait confirmé cette condamnation.
Jusqu’à son exil, nous ne savons absolument
rien de Victor, de ses origines, de son activité, de
son rôle épiscopal. Nous ne pouvons même pas fixer
avec certitude l’emplacement de la cité dont il était
évêque et qui devait appartenir à l’Afrique proconsulaire.
Le nom de cette ville est mal assuré : dans son
édition de la Chronique de Victor, Mommsen préfère
l’orthographe Tonnennensis à Tunnunensis qui est
également attestée, et les meilleurs manuscrits de la
Chronique de saint Isidore portent Tononensis, plutôt
que Tonnonensis. En toute hypothèse, la destinée
de Victor fut celle de plusieurs de ses collègues africains.
Après le concile, il fut appelé à Constantinople
et invité à souscrire la sentence de condamnation des
Trois-Chapitres. Sur son refus, il fut expédié en
Egypte et y connut plusieurs lieux de déportation.
Bappelé à Constantinople, vers 564-565, il persista
dans son opinion : on l’enferma alors dans un monastère
de la capitale et ce fut là qu’il mourut, sans doute
peu après 566. xii cours de son exil, peut-être même
seulement après son retour à Constantinople, Victor
rédigea une Chronique qui, partant de la création du
monde, allait jusqu’à la première année de l’empereur
Justin II, c’est-à-dire jusqu’à 566. Isidore de Séville
De vir. inlustr., xxxviii. Pour toute la portion de son
œuvre qui allait jusqu’à 443, Victor semble avoir
suivi de très près la Chronique de Prosper d’Aquitaine,
en y introduisant peut-être quelques remaniements.
Cependant le témoignage de saint Isidore
est trop précis pour que nous puissions refuser à
l’évêque de Tunnunum au moins cette revision et
cette correction du travail de son devancier. Il ne
nous est pourtant pas possible de juger son rôle personnel,
car la partie conservée de sa Chronique commence
précisément à 443. De cette date jusqu’à 563,
Victor compte les années par les noms des consuls ;
de 563 à 566, il les compte d’après les années de
règne des empereurs, non sans se tromper dans les
calculs relatifs à Justinien. Il s’intéresse surtout aux
événements religieux et, à mesure qu’il avance dans
son récit, il laisse de plus en plus à l’arrière-plan les
faits d’ordre politique. Il abandonne également le
style terne et incolore de la chronique pour entrer dans
de plus longs développements, chaque fois qu’il doit
rapporter des incidents qui le frappent et, vers la
fin, il s’étend sur sa propre destinée de manière
à nous donner un récit assez détaillé de son exil.
Il conserve pour l’Afrique natale une prédilection qui
ne se dément jamais et qui nous vaut des renseignements
plus abondants sur la vie religieuse en ce
pays. La Chronique de Victor est utile à bien des
titres ; elle complète celle de Prosper et sur les événements
du vie siècle, spécialement sur les remous
créés par l’affaire des Trois-Chapitres, elle apporte
bien des détails intéressants.
La première édition de la Clironique est due à.1. Scaliger, Leyde, 1605. Des réimpressions de ce texte dans Gallandi, Biblioth. vet. pair., t.xii, p. 221-232 ; P. L., t. lxviii, col. 911-962. Une nouvelle édition est due à Th. Mommsen, Chronica minora, t. ii, dans Mon. Germ. hist., Auclor. antiguis., t. xi, Berlin, 1894, p. 163-206.