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VICTOR III


à celles qui étaient faites pour forcer la main au pape élu. Mais, quand ils avaient vu Victor pencher vers l’acceptation, ils n’avaient pas hésité à se jeter dans la lutte et à se séparer de la communion du pape et de son entourage. Le pape Victor III, continue Pierre du Mont-Cassin, ne survécut pas longtemps à ce concile de Bénévent ; remonté à son abbaye, il mourait le 16 septembre après avoir recommandé aux cardinaux réunis à son chevet de lui choisir pour successeur Eudes d’Ostie, ce qui sera fait.

En définitive, selon Pierre, l’élection de Victor III s’est accomplie en deux temps. Un an ou presque après la mort de Grégoire VII, une assemblée régulièrement convoquée à Rome a désigné Didier comme le successeur du pape défunt, en lui imposant le nom de Victor III ; après avoir d’abord fait mine d’accepter, l’élu se dérobe aux responsabilités du pouvoir ; c’est seulement dix mois après l’élection qu’au concile de Capoue il accepte définitivement et se prépare à recevoir la consécration épiscopale. Dans l’intervalle qui sépare la Pentecôte de 1086 et les Rameaux de 1087, il ne laisse pas néanmoins de se considérer comme une sorte de régent, chargé de veiller aux intérêts généraux de l’Église ; c’est en cette qualité qu’il convoque l’assemblée de Capoue, laquelle finit par lui arracher son assentiment. Dès lors, il agit vraiment en pape et se déclare prêt à briser les oppositions qui surgissent. Dans l’attitude de Victor, il reste néanmoins quelque chose de mystérieux : d’où vient cette dérobade continue qui, pendant près de deux ans, prive l’Église d’un chef responsable ? Pierre ne donne aucune raison de cette étrange situation où se mot le pape. Y aurait-il donc quelque chose à cacher dans les motifs qui ont déterminé Victor ? On l’a dit et précisément en s’appuyant sur la lettre d’Hugues de Lyon, telle que la rapporte la Chronique d’I Ligues de Flavigny, et qui est l’autre source de nos renseignements.

(m notera d’abord que ce dernier, racontant l’agonie de Grégoire VII, déclare que le pape mourant désigna à ceux qui l’entouraient comme son successeur éventuel, soit l’évêque de Lucques, soit celui d’Ostie (Eudes), soit l’archevêque de Lyon, Hugues let non pas Didier du Mont-Cassin). Encore que la désignation d’Hugues soit un peu surprenante, acceptons la vérité du propos. Après quoi, pour donner une idée de ce que fut « l’élection, la promotion et la consécration » de Didier du Mont-Cassin, devenu Victor III. Hugues de Flavigny ne sait rien de mieux que de transcrire la lettre expédiée par Hugues de Lyon, peu de temps après les événements, à la comtesse Mathilde.

elle lettre raconte les faits -qui se sont succédés après l’élection romaine (Pentecôte de 1086), dont Mathilde. pense l’archevêque de Lyon, a suffisante connaissance. Hugues n’arriva à Rome que cette élection déjà faite et il avoue s’y être d’abord rallié, tout en reconnaissant qu’il eut tort : diligentes magis gloriam hominum quant Dei assensum prwbuimus. accompagnant ensuite Victor au Mont-Cassin, il acquit bientôt, par des entretiens familiers avec l’élu, la conviction que le choix de Didier avait été un malheur, et que les électeurs (au nombre desquels, chose surprenante, il se range) avaient gravement offensé Dieu en faisant ce choix. Victor, en effet, se vantail devant les évéquesel les cardinaux de ses

actes les pins coupables ( nr/undissimos) : comment, il avais pidis promis : i Henri IV de lui faire aoir la

couronne impériale ; comment il avait même poussé

le roi à envahir le domaine de s ; iint Pierre, comment

il avait fait fi de certaines excommunications lan par Grégoire VII, comment il avait attaqué les

etn d< ce pape. À maintes reprises, Victor avait

reconnu que son élection à lui n’avait pas été régulière, non secundum Deum ; il avait déclaré que jamais il n’y avait donné son assentiment, que jamais il ne le donnerait, proposant au choix des électeurs divers noms, entre autres celui d’Hermann de Metz. Ces aveux, ces assurances avaient rendu courage à Hugues ; il espérait bien qu’on allait faire librement cette élection, tant de fois refusée, quand, en qualité de « vicaire apostolique » de la région, Didier convoqua un concile à Capoue (Tarême de 1087). Hugues s’y rendit avec d’autres, il y trouva l’abbé de Saint-Victor de Marseille et l’archevêque d’Aix, mais aussi des laïques, dont quelques-uns représentaient la ville de Rome ; d’autres, le prince Jourdan et le jeune duc Roger Guiscard, étaient les maîtres temporels de la région. Or, comme l’on allait s’occuper de l’affaire en question, Didier commença par ses paroles et ses gestes à faire entendre qu’il repoussait le pontificat ; simple feinte d’ailleurs pour amener les évêques et le prince à le contraindre à garder cette dignité. Ce que voyant, Hugues, Richard, l’archevêque d’Aix, à qui se joignirent l’évêque d’Ostie, le moine Guitmond et d’autres, tinrent conseil sur la manière de mettre en échec l’astuce de l’abbé du Mont-Cassin. Au moment où Didier allait reprendre les insignes pontificaux, Hugues, encouragé par ces personnes, déclara que jamais ni lui, ni ses amis ne donneraient leur assentiment à l’élection si, au préalable, il n’y avait point une enquête sur certains faits, venus à leur connaissance depuis l’élection romaine, et qui portaient gravement atteinte à l’honneur de Didier. Indignation de celui-ci ; il déclara qu’il ne se soumettrait à aucune enquête, que jamais non plus, d’ailleurs, il n’accepterait l’élection. Licence ayant été ainsi donnée par lui de procéder à un nouveau choix, il se retirait avec de grands gestes, quand Guitmond, sur le conseil de l’évêque d’Ostie (Eudes), s’écria publiquement qu’une personne diffamée ne pouvait être élue, qu’il était constant que Didier avait encouru l’infamie, étant demeuré une année continue sous le coup d’une excommunication de Grégoire VIL Sur quoi, la nuit étant venue, l’assemblée se sépara ; mais le duc (de Pouille) demeura avec Didier, gardant aussi devers lui l’évêque d’Ostie (Eudes), les autres évêques romains (c’est-à-dire les évêques suburbicaires) et les cardinaux. Il s’agissait, pour le duc, de faire consacrer comme évêque de Salerne un personnage que rejetait énergiquement l’évêque d’Ostie. L’abbé du Mont-Cassin n’osa donc, sur l’heure, accorder au duc l’objet de sa demande et le souverain se retira fort irrité. Privé de cet appui, désespérant de pouvoir arriver sans lui au suprême pontificat, Didier envoya, au milieu de la nuit, une députation au duc, lui promettant de faire consacrer le lendemain même l’élu de son choix comme titulaire de Salerne. Ainsi fut fait. Par ordre de Didier, la consécration de l’évêque de Salerne eut donc lieu le dimanche des Hameaux. « Ce même jour, après le dîner et la sieste, l’abbé, le duc et le prince étaient réunis, le soleil déclinait, mais les esprits étaient fort échauffés (sole déclinante ad inferiora sed vtno oblinente superiora) ; l’abbé, pour récompense de son infâme consécration, appuyé par l’autorité du duc, s’imposa à lui-même la chape (rouge) sans avoir consulté ni l’évêque d’Ostie ni nous-mème qui fûmes laissés dans la plus complète ignorance : Ostiensi et nobis InconsulUs et prorsus ignorantibus. Cependant. Indes d’Ostie, qui Jusque-là avait marché d’accord avec Hugues, quand il vit que Didier se disposait à partir pour Rome, où il se ferait consacrer, sous la protection ( prince.lourdan, se retourna, par crainte délie privé de sa dignité, et lil s ; i paix avec l’abbé, lui accordant le respect dû à un pape.