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VEUILLOT (LOUIS). L’INFLUENCE


réfléchi, le mépris de l’école économique bourgeoise et classique, âpre au gain et ne voyant dans l’ouvrier qu’un producteur de richesse. Sans s’élever malheureusement jusqu’aux grands problèmes sociaux, sans comprendre suffisamment que la solution de ceux-ci ne ressortissait pas seulement à la morale et à la religion, il insistait avec raison sur les facteurs moraux qui permettraient de résoudre la terrible question. Il parlait déjà de « démocratie chrétienne », entendant par là « un ordre de choses qui, suivant le génie particulier des peuples, comporte parmi eux la plus large distribution possible de pain, de liberté, d’égalité et de paix. » Rallié, à cette époque, à l’idée légitimiste, ii voyait, dans la royauté chrétienne, la réalisation possible de ces vœux. « Tout gouvernement chrétien, écrivait-il, régulier et paisible a été une démocratie appropriée aux besoins du temps. » Encore qu’on puisse chicaner sur la définition, elle ne laisse pas de contenir une âme de vérité.

2° Le littérateur ; les Œuvres diverses. — Toutes ces idées que contiennent et les articles originaux de l’Univers et les Mélanges, se retrouveraient plus ou moins reconnaissables dans la série des Œuvres diverses. Les éditeurs ont disposé celles-ci dans un ordre quelconque, un peu arbitraire, qui n’est ni l’ordre logique ni l’ordre chronologique. Nous signalerons surtout les œuvres qui ont quelque intérêt du point de vue de la théologie. Laissons de côté les Œuvres poétiques (t. xiv) ; encore qu’il aimât taquiner la muse, Veuillot n’était pas poète ; sa versification, le plus souvent laborieuse, rappelle, pour l’ordinare, davantage Boileau que Lamartine ou Victor Hugo. Les Satires parues en 1863, les Couleuvres, en 18(59, laissent le lecteur dans l’atmosphère de polémique où se plaisait le journaliste. Seules, les Filles de Babylone, où transparaît la forte poésie de l’Écriture sainte, introduisent dans un milieu un peu différent. Un roman d’assez fortes dimensions, Pierre Saintive (t. ii), un autre, sous forme de mémoires, Agnès de Lauvens (t. iii), le charmant recueil Intitulé Çà ri là (t. viii), qu’il faut compléter par Historiettes et fantaisies (t. vu) et par Vignettes (t. vu) révèlent en Veuillot un de nos meilleurs écrivains du xixe siècle, en même temps qu’un admirable conteur. — Deux gros ouvrages historiques ont surtout valeur documentaire : Rome pendant le. concile (t. xii), d’où la préoccupation apologétique est loin d’être absente, et Paris pendant les deux sièges (t. xiii). On peut en rapprocher Les Français en Algérie (t. iv), souvenirs intéressants du voyage de 1841. — C’est dans la littérature d’édification qu’il faut ranger : la Vie de Noire-Seigneur Jésus-Christ, le Saint rosaire médité, la Vie de la bienheureuse Germaine Cousin (t. i) et, jusqu’à un certain point, Rome et Lorette (t. iii), et les Pèlerinages de Suisse (t. n), confidences sur la conversion de l’auteur, qui signalèrent Veuillot à l’attention des catholiques. — À l’apologétique se rattacherait jusqu’à un certain point Le droit du seigneur (t. vi), étude assez sérieusement poussée de singulières coutumes du Moyen Age en matière de mariage ; paru en 1854, l’ouvrage répondait aux Insinuations plus ou moins malveillantes de Dupin. Il eût gagné d’ailleurs à se dégager davantage de la polémique. Les parfums de Rome (t. ix), parus en décembre 1861, expriment au mieux le culte voué pu le publiciste à la papauté et à tout ce qui s’y rattache. — Comme étude doctrinale, il y aurait à signaler surtout Y Illusion libérale (t. xi, parue quelque temps après la publication du Syllabus, où Veuillot fait le procès en règle de 1’» hérésie libérale et de la te qui j adhère I. a - question romaine » lui a inspiré un certain nombre de brochures politiques (t. X) : Le pape et la diplomatie ; Waterloo, sombre

prédiction des destinées du second Empire embarqué dans l’affaire italienne ; le Guêpier italien, À propos de la guerre ; nous en avons mentionné l’apparition, ci-dessus, col. 2812. Il y aurait quelque intérêt à rapprocher ces publications de celles où Veuillot n’était pas encore désabusé de Napoléon III : La guerre et l’homme de guerre (au lendemain de la guerre de Crimée), ou Le parti catholique (t. vi). — Mais une bonne partie des Œuvres diverses ne sort guère de cette polémique trop personnelle à laquelle le publiciste semblait décidément voué : Les librespenseurs (t. v), septembre 1848, sont une vivante peinture des mœurs politiques, des doctrines affichées ou voilées de la classe dirigeante au temps de Louis-Philippe (malgré ses violences, l’ouvrage eut l’approbation de Montalembert) ; Les odeurs de Paris (t. xi) poursuivent, pour l’époque napoléonienne, la même impitoyable satire ; Le fonds de Giboyer (ibid.), paraît encore plus violent ; l’excuse de Veuillot est d’ailleurs qu’il avait été provoqué par les inadmissibles attaques d’Emile Augier ; Molière et Bourdaloue (ibid.), oppose les deux « moralistes » du xvir 2 siècle et les deux systèmes de morale dont ils furent les représentants. — Enfin les Dialogues socialistes (t. v) fournissent sur l’état d’esprit du publiciste, au lendemain des journées de juin 1848, de curieux renseignements. S’ils n’amorcent pas encore une solution de la question sociale, du moins montrent-ils l’indifférence de Veuillot pour les diverses politiques sociales, en dehors du christianisme. Dans l’Esclave Vindex, il oppose à Spartacus (le républicain bien nanti) Vindex, l’esclave, l’homme déraciné qui n’attend plus rien de l’organisation sociale, qui ne croit plus en Dieu et qui hait tous les hommes. Le lendemain de la victoire est comme la suite de Vindex, rédigé, lui aussi, sous forme de dialogue ; il parut, la chose est à noter, dans la Revue des Deux-Mondes, qui avait demandé, depuis quelque temps déjà, de la copie à Veuillot. On y assiste au triomphe du socialisme, .avec tous les excès qu’il peut engendrer. Il porte en sous-titre le mot Vision ; au fait les événements se chargeraient de donner raison au pessimisme de l’auteur. De la même époque est la Petite philosophie, où, répudiant tous les grands mots dont on essayait de rassasier les âmes, liberté, égalité, fraternité, l’auteur multipliait les exemples de charité envers les hommes et les conseils de soumission envers Dieu. « Je ne saurais mieux indiquer, disait-il, à ceux qui me liront le moyen de s’assurer le droit au bonheur. » 3° L’influence.

C’est par cette masse d’écriture

à laquelle il ne faut pas négliger d’ajouter la Correspondance, que s’explique l’influence considérable que Louis Veuillot s’est acquise dans le monde catholique au xix c siècle. Cette influence ne s’est pas fait sentir exclusivement en France, elle a largement débordé en dehors de nos frontières et non pas seulement dans les pays de langue française. Au lendemain de sa mort, l’Univers publiait un livre d’Hommages, relatant les condoléances venues des pays les plus divers, exprimant les admirations des catholiques de toute langue. Sans doute, y aurait-il exagération à généraliser le sens de manifestations de ce genre. II faut reconnaître pourtant que rarement publiciste a connu une telle popularité. Tout cela est bien tombé et l’on étonne beaucoup de nos jeunes contemporains quand on parle devanl eux de l’action considérable qu’a exercée, tout spécialement sur le clergé de France, le rédacteur en chef de l’Univers. Les survivants de

la génération antérieure, qui n’a pas connu Veuillot, ont, du moins, entendu parler de lui ; ils se souviennent des enthousiasmes <le leurs aînés ; ils ont été raçonnés plus qu’Os ne s’en doutent, par les Idées du grand public ! t(