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282’VEUILLOT (LOUIS). LK DOCTEUR

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(’-'est à la sécularisation définitive de l’État que l’on tendait depuis longtemps déjà quand la Révolution française a précipité un mouvement amorcé de longue date. Qu’on le regrettât, que l’on s’en félicitât, elle avait mis en échec le concept de l’État, légué par la « cité antique » au Moyen Age, qui regardait comme une des fonctions essentielles de celui-ci d’assurer le culte de la divinité. L’État laïque se tiendrait désormais à l’écart de toute question religieuse ; réalité terrestre, il limiterait à la terre ses moyens d’action. Comment de cette idée fondamentale sortent les diverses « libertés modernes », on l’a dit à l’art. Lihéralisme catholique, col. 512 sq. A cette laïcisation de l’État, l’Église fidèle à ses traditions, logique aussi dans ses déductions, n’avait pu se résigner. Ses théologiens s’efforçaient de justifier l’ancienne conception, tandis que ses diplomates et ses hommes d’État essayaient de trouver un mndus vivendi qui accommodât au moins mal les deux manières si différentes de concevoir les rapports respectifs des deux sociétés. Pendant ce temps, les quelques catholiques qui tentaient de voir clair dans le problème imaginaient une distinction qui faisait plus d’honneur à leur ingéniosité qu’à la vigueur de leurs convictions. L’ancien état de choses où société civile et société ecclésiastique, appuyées l’une sur l’autre, s’efforçaient de promouvoir en commun le bien total de l’humanité, on n’osait pas le répudier. Sans se préoccuper d’en étudier historiquement la genèse, on admettait que c’était un idéal, mais si élevé et, dans le fait, si irréalisable, que le mieux était d’agir comme s’il n’en était plus question. Après un hommage théorique rendu au principe, on passait à l’organisation de la cité moderne, sans plus tenir compte des vues précédentes. Tirer de l’état de choses existant, le maximum d’avantages pour l’Église, faire comprendre à celle-ci que son intérêt était d’utiliser au mieux ces fameux principes de 89, dirigés d’abord contre elle, telle était l’application constante de ceux que l’on finira par appeler les « libéraux catholiques ». Veuillot n’a jamais pu admettre cette attitude théorique ; parfois, dans la pratique, il a pu faire appel aux principes de liberté proclamés par les adversaires de l’Église, pour réclamer en faveur de celle-ci le droit commun et les libertés générales. Ce ne fut guère qu’au début, lors de la formation du parti catholique et des luttes pour la liberté d’enseignement. C’est vers la conception diamétralement opposée que le portaient toutes les tendances de son esprit, toutes les préférences de son caractère. Autoritaire par tempérament — il n’a jamais pu supporter aucun contrôle — il n’avait pas de la « liberté » le même concept que les « libéraux », catholiques ou incroyants. À l’endroit de ces « libertés nécessaires » par exemple, dont se réclamait Thiers : liberté individuelle, liberté de la presse, liberté de l’électeur, liberté de l’élu, il ne professait qu’indifférence. Tout cela ne menait guère, selon lui, qu’au parlementarisme dont il ne raffolait pas. Son idéal

— du moins son attitude au début de l’Empire le fait-elle entrevoir — c’était un gouvernement fort, imposant énergiquement à la nation ses directives, ne s’embarassant point de la légalité et menant résolument son peuple à la réalisation de ses destinées. Sous l’Empire autoritaire, il se trouvait naturellement à l’aise. Mais cet État fort devait, c’était la première de ses obligations, mettre au tout premier rang les intérêts moraux. La civilisation matérielle n’est pas la raison unique de l’État ; les valeurs spirituelles doivent compter à ses yeux. Sans doute, de ces valeurs il n’a pas l’administration exclusive. Sa bonne entente avec l’Église lui permettra d’y pourvoir. Union très étroite des deux pouvoirs, avec,

en fin de compte, une certaine supériorité de la puissance spirituelle ; tel est l’idéal et non pas l’idéal relégué au domaine du rêve, mais l’idéal à la réalisation duquel il faut travailler chaque jour. Tels sont les thèmes favoris développés par Veuillot aux premiers jours de Napoléon III. Quand les événements auront montré combien préciaire était la solution proposée, c’est vers Henri V que se retournera Veuillot. Lors des tentatives de restauration monarchique de 1871-1873, c’est tout le programme du gouvernement chrétien qu’il se plaira à déduire, qu’il croira sur le point de se réaliser. Vainement lui fera-t-on observer que bien inopportunes sont plusieurs de ses considérations, bien utopiques certains plans qu’il apporte. Four lui, il n’est pas question d’opportunité, mais de vérité. Oui ou non l’Église professe-t-elle cette doctrine ? Là est toute la question. Du mot de Syllabus, on a fait un épouvantail, raison de plus pour l’agiter bien haut !

Il est donc assez vain de reprocher à Veuillot, comme le fit Jules Ferry, ses palinodies au sujet de la liberté. À entendre le grand leader républicain, le rédacteur de l’Univers aurait laissé échapper ce mot : « Quand les libéraux sont au pouvoir, nous leur demandons la liberté parce que c’est leur principe ; quand nous sommes au pouvoir, nous la leur refusons, parce que c’est le nôtre. » Veuillot a protesté à juste titre contre cette imputation. Il profita même de l’occasion pour définir son attitude en face de la liberté : « Je n’ai pas demandé la liberté aux libéraux « au nom de leur principe ». Je l’ai demandée et je la demande, parce que c’est mon droit ; je l’ai parce que baptisé. Ceux qui n’ont pas reçu ce même baptême ne sont plus dignes de la liberté, ne sont pas libres et cesseront de le paraître bientôt. » Derniers mélanges, t. iii, p. 138. Et revenant, l’année suivante sur le même sujet, il écrit : « La liberté c’est l’innocence. Et l’innocence, qu’est-ce que c’est ? La servitude raisonnée et volontaire envers Dieu. » Ibid., p. 421. Cf. F. Veuillot, op. cit., t. iv, p. 646-647. Il est trop clair qu’avec de telles définitions il est impossible de trouver un terrain d’entente avec les « libéraux ». L’on comprend alors la persévérance avec laquelle Veuillot a poursuivi l’erreur libérale, « l’hérésie » libérale, comme il lui est arrivé de dire. Cf. ci-dessus, col. 2806.

Si, en ce point, le rédacteur de l’Univers n’était ni un isolé, ni un précurseur, il est un domaine par contre, où il a émis des idées assez neuves. Les derniers temps de la monarchie de Juillet avaient vu se poser la « question sociale ». Elle avait pris toute son acuité sous la Seconde république. Le succès du coup d’État de 1851 s’explique en très grande partie par la crainte plus ou moins fondée de troubles sociaux que le gouvernement sut exploiter. En dépit des palliatifs que le Second empire essaya d’apporter non sans courage au malaise social, l’agitation ouvrière ne fit que grandir ; elle était à son comble aux dernières années de l’empire ; elle devait aboutir au drame sanglant de la Commune. Veuillot suivait depuis longtemps cette marche inquiétante. À bien des reprises, il signala le danger considérable que créait dans les grandes villes la multiplication d’une plèbe de plus en plus déchristianisée. À l’occasion de la mort de son père, ^ u „ exemple, il regrettait que cet honnête tra- „ r j scs j/ ndamné toute sa vie à un travail sans repu i » x..*ns joie, eût été privé en même temps, par la faute des circonstances et surtout par l’organisation de la société, des clartés et des espérances chrétiennes qui eussent illuminé sa vie. Quand, au lendemain de la Commune, de Mun eut entrepris « l’œuvre des Cercles », il y applaudit de tout son pouvoir. Au fond, il avait, sans y avoir beaucoup