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    1. VEUILLOT (LOUIS)##


VEUILLOT (LOUIS). LE DOCTEUR

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saires et la moindre allusion, si lointaine fût-elle, suscitait chez lui une réaction immédiate, le plus souvent copieuse, et les luttes reprenaient de plus belle. Avec Mgr Dupanloup, elles dureront presque jusqu’à la mort de ce prélat (octobre 1878). La mort même de ses adversaires ne l’arrêtait pas toujours. Il est de bon ton, au lendemain du trépas d’un homme, de se montrer plus enclin à relever ses mérites et ses services qu’à chipoter sur ses petitesses. Ce n’était pas la manière de Veuillot. Quelques-uns des articles signés par lui au décès de personnages dont il ne partageait pas les idées sont pour le moins regrettables : celui qui est consacré à Berryer est l’un des plus fâcheux : trompé par une fausse nouvelle et croyant mort le grand orateur légitimiste, Veuillot lui consacra un article sévère, avant même qu’il eût fermé les yeux. « Si Veuillot, écrit son frère, eut un tort en cette rencontre, ce fut de ne pas attendre huit jours pour parler comme il le fit. » Op. cit., t. iii, p. 572-574. Excuse vraiment trop facile ! Les articles nécrologiques consacrés à Guizot, à Thiers sont du même caractère. Et pour celui qui fut écrit au lendemain de la mort de Dupanloup, Veuillot eût été bien inspiré en ne l’écrivant pas lui-même. S’il était nécessaire que l’Univers prît la parole en conjoncture, il eût été… honnête de faire rédiger l’article par quelqu’un de moins compromis que le rédacteur en chef. Ce n’est pas sur un cercueil qu’il convient d’étaler tous les griefs que l’on peut avoir contre celui qui est entré dans l’éternité.

3. Les mérites incontestables.

Toutes ces tares de la polémique de Veuillot, toutes ces fautes commises par lui dans la défense de l’Église, il fallait les rappeler. Mais on serait injuste en oubliant les services signalés que le journaliste a rendus au catholicisme. Au premier tiers du xixe siècle, les catholiques français cherchaient plutôt à se faire pardonner leurs croyances qu’à y convertir les autres. Après Lamennais, après Montalembert — qui, d’ailleurs, ne fut jamais qu’un journaliste d’occasion — Veuillot invite les chrétiens véritables à être fiers de leurs convictions, à les défendre contre les attaques, à mépriser au besoin les adversaires, à les ridiculiser et à puiser en cela même un nouveau courage. À ces chrétiens l’on jette comme une injure, le mot de clérical ou de jésuite ; eh bien oui, ils sont des « cléricaux » et, s’ils ne sont pas des > jésuites », ils ont pour la Compagnie toute l’estime, toute la vénération que méritent ses services. On leur parle de l’Inquisition et de ses méfaits, de la Saint-Barthélémy et de ses horreurs ! Il n’est que de regarder ce qu’en dit l’histoire et voici que ces monstres se dégonflent à vue d’œil. Comme le dit très bien Pierre de la Gorce : I I qui était fierté chez Montalembert devint, chez Veuillot, provocation. Il confessa sa foi, non seulement s ; ms respect humain, mais avec bravade… Les appellations les plus impopulaires, loin de l’effrayer, l’attiraient. L’Église, il la défendait en bloc, dans ses dogmes, dans son histoire, dans ses ministres et si. sur quelque point, l’apologie malaisée lembUdl abandonnée, c’est de ce côté que portait sa verve faite de paradoxe et de dévouement. Tous 1rs clichés modernes, il se plaisait à les briser, sur eux il piétinait avec joie et les mettait en pièces avec raffinement. - Op. cit., t. ii, | m {,..

service de cel apostoha rt a,, .niveau genre, il mettait d’ailleurs une lang…… admirable. Comme

I" dirait un jour Victor Cousin, il avail pour lui Me IX… et la grammaire. » Cet autodidacte fut un écrivain <ie race, On ne sait ce que l’on doit admirer davantage en lui de sa verve primesautière nu de sa

puissance de vision. Il Voyait les choses plus qu’il

ne ir^ déduisait ou hs analysall et il trouvait sans

inr.i. DE i HBOL. < i BOL.

peine, pour exprimer sa vision, la tournure adéquate et le mot qui force l’attention. « Libre diseur avec une pointe de réalisme, il eût poussé à l’excès sa liberté gauloise si ses scrupules ou ceux de ses lecteurs n’eussent contenu ses propos… Par le tour imprévu du langage, par l’exagération puissante des proportions, il faisait penser à Rabelais. » P. de la Gorce, op. cit., t. ii, p. 155. Plus encore qu’à l’auteur de Gargantua, c’est à Voltaire qu’il conviendrait de le comparer. Comme l’auteur de Candide, il avait l’aperception immédiate du ridicule et, quand il tenait son homme, il ne le lâchait plus. L’Université qui, pendant longtemps, a fait mine de l’ignorer

— elle lui pardonnait difficilement son attitude agressive — finit aujourd’hui par lui rendre justice et par le considérer comme l’un des grands, des très grands prosateurs du xixe siècle.

4. Enseignements qu’il donne.

Il va sans dire que, sur les nombreuses questions d’ordre ecclésiastique qu’il a abordées, il n’apporte que bien rarement des vues neuves et des aperçus suggestifs. Ne lui demandons pas d’être un théologien de profession ; dogme, morale, exégèse, liturgie, droit canonique, histoire de l’Eglise, il a touché à tout cela avec la désinvolture d’un profane qui ne s’embarrasse pas beaucoup de subtilités. Il semble qu’à l’Univers le théologien en titre était Melchior du Lac, dont les études ecclésiastiques n’avaient pas dépassé un stade très élémentaire. Pour la liturgie — et d’ailleurs aussi pour la dogmatique — on se référait volontiers à dom Guéranger et à Pitra son disciple ; la modération n’était, ni de l’un ni de l’autre, la qualité maîtresse. A l’occasion, quelques avis venaient de Mgr Pie, évêque de Poitiers depuis 1849, d’une tout autre compétence que les précédents, mais pénétré, comme eux, d’un redoutable intégrisme. Voir son art. t.xii, col. 1740 sq. Ce n’était pas son action qui pouvait guider l’Univers et Veuillot vers une théologie tant soit peu nuancée. Et quant à l’histoire ecclésiastique, on avait, pensait-on, dans l’informe et tendancieuse compilation de Rohrbacher, voire dans celle, plus médiocre encore, de Darras, la réponse à toutes les questions, la solution de toutes les difficultés. Des problèmes de l’exégèse, on eut la première révélation par la Vie de Jésus de Renan.

Il ne s’agit pas, certes, de reprocher au rédacteur de l’Univers de ne pas avoir dépassé la science ecclésiastique de son époque, qui était courte, mais simplement de constater les connaissances dont il faisait état. Laïque, s’adressant à des ecclésiastiques — c’était là surtout sa clientèle — il leur renvoyait la théologie simpliste dont les séminaires du xixe siècle s’étaient faits les dispensateurs. Incapable de suivre le mouvement des idées en Angleterre et en Allemagne, il se contentait de fournir les renseignements de seconde ou de troisième main qu’il pouvait obtenir sur ces pays. Son dogmatisme naturel se trouvait à l’aise de ces simplifications.

Sur un point cependant Veuillot semble avoir tenté de se faire une idée personnelle. L’organisation religieuse de la société moderne, de l’État où s’incarne cette société, l’a beaucoup préoccupé. Bien avant l’apparition du Syllabw (8 décembre 1864), il avait réfléchi sous quelles Influences, avec quels guides, il serait curieux de le rechercher au pro blème que pose la structure de l’État moderne. Celui ci, d’une manière lente mais sûre, s’est progressivement laïcisé. Les circonstances historiques qui axaient amené l’étroite union de l’Étal et de l’Église, avec une certaine prépondérance, du moins à partir du M’siècle, de la soi ic’lé erelésiastiquc sur la société

civile, ont. successivement, fait place dans 1rs divers pays chrétiens, à des circonstances tout opposées.

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