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VEUILLOT (LOUIS). LE POLÉMISTE


Le Journal des Débals, en dépit de son ordinaire modération, a été attaqué par lui presque aussi durement que le Siècle ; le Figaro, à ses débuts, encore qu’il cherchât à se recruter une clientèle dans le monde bien pensant, voire dans les milieux ecclésiastiques, n’a pas échappé à la vigilante censure de V Univers. Il y avait d’autres tendances encore qui avaient le don d’exaspérer Veuillot : l’égoïsme bourgeois, la morgue universitaire, le formalisme parlementaire ; sans aucune considération pour les personnes, il les accablait de ses coups. Ses méfiances, il faut bien l’ajouter, « s’étendaient à tous ceux qui, même dans le catholicisme, lui semblaient d’orthodoxie suspecte ou de zèle refroidi. À ceux-là, il réservait quelques-uns de ses traits, non les moins aiguisés, et comme il s’agissait d’anciens amis dont il savait les faibles, il ne dédaignait pas de les frapper au plus sensible endroit. » P. de la Gorce, op. cit., t. ii, p. 156. Nous n’avons pas à revenir ici sur les polémiques regrettables qu’il soutint contre les derniers tenants du gallicanisme ou contre la « secte » des catholiques libéraux.

2. Caractères de sa polémique.

a) Elle est très personnelle. — Ajoutons qu’avec Veuillot la polémique prenait trop vite le caractère d’attaques personnelles. Le don qu’il avait de saisir du premier coup d’œil le ridicule d’un geste, d’un personnage, d’une phrase, lui permettait de mettre sans peine les rieurs de son côté. Il en abusait. Se rendit-il jamais compte qu’un publiciste catholique, lequel engage toujours jusqu’à un certain point l’Église qu’il défend, ne peut se permettre tous les procédés employés par l’adversaire ? Même dans la polémique contre les mécréants, ij ne peut se comporter comme un Voltaire ou un Henri Rochefort. Même attaqué, il doit faire preuve de ce moderamen inculpatæ tulelæ que prescrivent les moralistes dans le cas de légitime défense. Cette modération, Veuillot ne s’en souciait guère et, quant au rang de celui qu’il combattait, il n’en avait cure. Dans quelques-unes de ses réponses à des évêques, à Mgr Dupanloup par exemple, se révèle une verdeur, oserait-on dire une insolence ? qui scandaliserait sous la plume même d’un écrivain non catholique.

Ce n’est pas que les avertissements lui aient manqué de la part des plus hautes autorités de l’Église. Laissons de côté ceux qu’à plusieurs reprises lui donnèrent des évêques de France. Sur ce point, Veuillot avait son siège fait et prétendait que son Ordinaire lui-même n’avait pas le droit de s’immiscer dans la rédaction de l’Univers. Grande « institution catholique », le journal ne voulait relever — ce qui était vraiment exorbitant — que du contrôle immédiat de Rome. Or, le Saint-Siège, à plus d’une reprise, lui donna des conseils de modération, qui ne furent pas toujours écoutés. Aux dernières années de Grégoire XVI, le cardinal Lambruschini interdit à plusieurs reprises l’entrée de V Univers dans les États romains. Peu soucieux de se brouiller avec les États, désireux de ne pas compromettre par des violences verbales de délicates négociations menées avec les chancelleries, le secrétaire d’État faisait ainsi comprendre à Veuillot qu’il devait mettre une sourdine à ses attaques. On conserva à l’Univers le souvenir amer de ces prohibitions, on se plut à en chercher l’origine en d’inavouables combinaisons ; on ne voulut pas voir que c’était surtout la « manière » de Veuillot et de l’Univers qui était ainsi dénoncée. Sous Pie IX il ne pouvait plus être question de divergences d’idées entre le journaliste et la curie. Celle-ci, Pie IX en tête, ne pouvait qu’approuver la ligne générale de l’Univers, la lutte menée contre les mécréants, contre les indifférents, contre les derniers

tenants du gallicanisme, contre les tendances « libérales » et les infiltrations de celles-ci chez certains catholiques. À plusieurs reprises des approbations très explicites furent données en ce sens au journaliste. Chaque fois pourtant le souverain pontife y joignit des conseils de modération, qui, pour être donnés avec un sourire, ne laissaient pas d’être pressants. Dans une audience du 25 février 1853, lors de l’affaire Gaduel, col. 2808 sq., Pie IX disait à Veuillot : « Soyez prudent ; évitez les querelles ; l’œuvre est bonne et rend service, mais il faut prendre patience… Les évêques sont un corps respectable, soyez bien respectueux pour les évêques. » Cité par

E. Veuillot, op. cit., t. ii, p. 542. Quelques jours plus tard, dans une communication adressée au nom du pape par Mgr Fioramenti, secrétaire des lettres latines, le prélat, tout en insistant sur les raisons qui valaient à Veuillot l’antagonisme de certains évêques, ne

i laissait pas de recommander la modération : « Évitez d’imprimer aux noms des hommes distingués la plus légère flétrissure. » Ibid., p. 555. L’encyclique Inter multipliées elle-même, rédigée partiellement en faveur de Veuillot, faisait aux journalistes catholiques une obligation de la charité. Ci-dessus, col. 2809. En une longue audience qu’il lui accordait à l’hiver de 18581859, Pie IX revenait encore sur le respect des personnes que doit toujours avoir un journaliste chrétien. Ibid., t. iii, p. 254. Veuillot n’était pas absolument insensible à ces appels ; de temps à autre, il faisait à ce sujet son examen de conscience. Ayant reçu en 1863, pour sa Vie de Solre-Seigneur Jésus-Christ un bref fort élogieux de Pie IX, il faisait une promesse qui l’engageait beaucoup : « Justifié par le pape, je n’entreprendrai jamais à présent de me défendre moi-même. Ferme dans la marche qu’il a approuvée, je laisserai dire de moi personnellement ce que l’on voudra. De mon côté, les querelles personnelles contre les catholiques ont toujours été rares ( !) ; désormais, il n’y en aura plus. » Ibid., t. iii, p. 480. C’était beaucoup promettre. Nous avons dit plus haut, col. 2819, comment en fin de compte, Pie IX se vit obligé d’infliger à l’Univers un rappel à l’ordre sur le sens duquel il était impossible de se méprendre. Il n’empêcha guère le journaliste de persévérer dans sa manière. À des moments comme celui-ci, il se déclarait résolu, s’il était désapprouvé par le chef de l’Église, à cesser la publication de son journal. Mais il ne comprenait pas, il ne voulait pas comprendre que la seule chose qu’on lui demandât c’était non l’abandon de ses idées, mais la modération dans la forme. À ces luttes courtoises et fourrées, il ne pouvait se résigner : « Si le juge estime, écrivait-il alors, que notre œuvre ne peut plus recevoir de nous le caractère que réclame l’intérêt de l’Église, elle sera terminée et nous disparaîtrons. » Cité par

F. Veuillot, op. cit., t. iv, p. 328. Cette phrase est lourde de conséquences ; la même fin de non-recevoir que le journaliste opposait jadis aux Sibour et aux Dupanloup, il l’opposait maintenant au pape. Lui seul était juge de la manière que réclamait l’intérêt de V Église.

b) Elle a une tendance à s’éterniser. — Apre, personnelle, la polémique de Veuillot avait un autre caractère encore, elle connaissait difficilement un terme. Jadis, saint Augustin regrettait les luttes qui, mettaient aux prises Jérôme et Ru fin, il s’étonnait, dans sa charité, de voir les moindres incidents, les moindres mots, faire rebondir des discussions que l’on aurait pu croire épuisées. Dans cette affaire, ce fut, en définitive, Rufin qui eut le beau rôle : il finit par se taire et il fit bien. Veuillot n’en était pas là Avec lui, les polémiques s’éternisaient ; son attention sans cesse en éveil, scrutait les écrits de ses adver-