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VEUILLOT (LOUIS). L’ŒUVRE LITTÉRAIRE


avec tous les États de l’Europe, que de montrer leur succès comme susceptible d’amener la guerre avec l’Italie, peut-être avec l’Allemagne. Les outrances verbales de Y Univers ne fournissaient-elles pas, à de trop fréquents intervalles, de quoi nourrir ces imputations calomnieuses ?

Les années qui suivirent l’échec du Seize-Mai amenèrent encore Veuillot à rompre des lances, soit pour la défense des principes chrétiens, soit pour l’attaque contre ses vieux adversaires du parti libéral. Du pontificat de Léon XIII inauguré le 20 février 1878 il ne connaîtrait que les premières années, il ignorerait donc la souplesse avec laquelle le nouveau pape saurait adapter les principes intransigeants de la théorie aux nécessités de la vie. Mais, dès 1878, la carrière de Veuillot était finie ; il connut toutes les souffrances d’une âme qui se sent encore pleine de ressources, mais qui ne trouve plus dans son corps les forces nécessaires. De temps à autre, quelques pages brillantes sortaient encore de sa plume, mais c’était au prix d’un effort pénible. « Puis la plume lui tombera des mains et, trois longues années, il achèvera de mourir. » F. Veuillot, op. cit., t. iv, p. 423. Il avait songé sur le tard à classer les matériaux pour une histoire de sa vie publique, mais il ne put se résigner à composer ses mémoires.

Son testament exprimait, avec ses convictions chrétiennes, certains regrets qui l’assaillaient aux derniers moments. Se rendant compte, un peu tardivement, de l’âpreté qu’il avait montré dans les luttes d’idées, devenues trop aisément luttes de personnes, il écrivait : « Je demande pardon à tous les hommes que j’ai pu offenser et envers qui j’ai eu des torts. J’en ai combattu beaucoup et longtemps ; je crois n’en avoir haï aucun sciemment et volontairement et je suis sûr de leur avoir pardonné de bon cœur les torts que j’ai pu croire qu’ils avaient envers moi. » Mention spéciale était faite de Montalembert et de Lacordaire, les compagnons d’armes des premières luttes, écartés, hélas, depuis si longtemps par de si déplorables malentendus : « Je crois qu’ils n’ont rien à me reprocher avec justice… La paix sur eux, la paix sur moi ! »

Après une très courte maladie, où il reçut avec la piété exemplaire qui avait marqué toute sa vie, les derniers sacrements, L. Veuillot s’éteignait le 7 avril 1883 ; ses funérailles célébrées à Saint-Thomas d’Aquin le 10 avril furent un véritable triomphe. Son corps repose au cimetière Montparnasse ; un monument lui a été élevé dans la basilique de Montmartre, à l’érection de laquelle il avait amplement contribué par ses appels à la générosité des catholiques français.


II. L’oeuvre littéraire et l’influence.

Louis Veuillot a été un écrivain extrêmement fécond. On vient de terminer la publication de ses Œuvres complètes qui ne comportent pas moins de quarante volumes in-8° : les I. i-xiv renferment les Œuvres diverses ; la Correspondance remplit les t. xv-xxvi ; enfin les quatorze volumes de Mélanges, t. jcxviixi. , reproduisent surtout les articles de journaux. qu’il avait paru intéressanl à Veuillot d’abord, puis a ses héritiers, « le conserver et de grouper (la nouvelle édition de ces Mélanges dans les Œuvres complètes, diffère d’ailleurs notablement pour la répartition des matières de éditions originales revues p ; ir l’auteur ; c’est aux anciennes éditions que se rapportent les mes faites au cours de l’article). I" Le journaliste ; les Mélanges. Dans tout cet ble, sont évidemment les Mélanges et la Correspondance <pn devraient d’abord attirer l’attention des historiens et des critiques. Les Mélanges tout revivre, au jour le jour, les événement ! de la

vie publique, et les réactions souvent fort vives qu’ils ont amenées chez le publiciste. Il faudrait se garder d’y voir toujours la pensée définitive de celui-ci. Très spontanées, ses réactions étaient bien souvent sujettes à repentance ; par ailleurs, l’obligation de fournir quotidiennement de la copie à un journal ne permet pas de creuser suffisamment les divers sujets, d’en saisir tous les tenants et aboutissants, de se mettre en garde contre les premiers emballements. Tout cela explique comment il y aurait injustice à juger Veuillot sur telle ou telle phrase des Mélanges, à plus forte raison sur telles ou telles expressions des articles originaux. On s’exposerait à commettre les mêmes impairs qu’a laissé échapper l’abbé Cognât. Ci-dessus, col. 2809 sq. Il est juste pourtant de remarquer avec Montalembert que les Mélanges ne représentent pas toujours le premier jet de l’auteur, que les articles du journal ont été parfois retouchés, que surtout ils ont été choisis, triés, groupés, parfois brièvement annotés, en vue d’un effet à obtenir et qu’ils engagent, plus complètement que le journal, la responsabilité de l’auteur. Il ne saurait être question de donner ici une idée, même approchée, du contenu des Mélanges. La longue histoire que nous avons racontée du journaliste devrait être continuellement appuyée par des références à ce précieux recueil.

1. Le polémiste.

L^ne première chose est à noter, c’est la place énorme que tient la polémique dans l’œuvre journalistique de Veuillot. Il est des feuilles où l’exposé des idées se fait à l’ordinaire de façon tout à fait irénique. Ce procédé n’empêche certes pas la robustesse des convictions, on peut défendre une idée sans mettre immédiatement en cajuse ceux qui ne la partagent pas ou même qui la combattent. Il est bien rare que ce mode soit celui de Veuillot. Du jour où il a pensé à mettre sa plume au service de l’Église, à défendre celle-ci contre les adversaires, à lui conquérir dans le monde la place à laquelle elle a droit, il a envisagé son rôle comme celui d’un lutteur. Par ailleurs, persuadé que l’offensive est la meilleure forme de la défensive, il a donné dès l’abord à sa polémique l’allure d’une attaque sans trêve, (/était d’abord un ressouvenir des campagnes menées par l’Avenir aux premiers jours de la monarchie de juillet. C’était encore une nécessité de l’époque. Moins encombrées que nos journaux par l’information et la publicité, les feuilles d’alors avaient, [dus que les nôtres, l’obligation de développer des thèmes assez généraux. Suivant son tempérament particulier, chacune le faisait qui par l’exposé serein, qui par la polémique. C’est sous cette dernière forme que, dès le début, Veuillot avait conçu l’action en faveur de l’Église. Les développements que nous axons consacrés à ses disputes avec les catholiques ne doivent pas d’ailleurs donner le change et peut être ses moôfernes biographes finiraient ils par laisser une impression inexacte de l’activité littéraire de Veuillot en le montrant sans cesse en lutte contre les catholiques. C’est avant tout aux mécréants qu’il en avait et aux détracteurs de sa foi ; c’est contre eux qu’il a dirigé ses plus rudes campagnes. On peut dire qu’il n’a laissé passer sans la relever aucune des attaques dirigées a cette époque, par le journal, la brochure, le livre, la conférence, contre les vérités chrétiennes, les personnes et les choses d’Église. Il était a l’affût de toutes ces manifestai ions d’hostilité et leur opposait des l’abord la réponse topique.

Celle-ci, bien souvent. Imposait u premier coup le silence a l’adversaire. Non moins actif, non moins ftpre était il contre les neutres, les Indifférents, les éclectiques, contre ceux qui, dans la grande lutte des idées, ne savaient ou ne voulaient prendre parti.