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2819 VEUILLOT (LOUIS(. LES DÉBUTS DE LA IIIe RÉPUBLIQUE 2820

les intrigues de ses adversaires au fiasco définitif. Il nous est impossible et d’ailleurs il serait inutile de suivre Louis Veuillot dans les fluctuations de ces années 1871-1874, où se jouèrent les destinées de la France. On aimerait dire que la clairvoyance du publiciste catholique y fut toujours à la hauteur de la robustesse de ses convictions, de la pureté de ses désirs. Hélas 1 hypnotisé par la hantise du libéralisme à combattre, il n’a su ni comprendre les vrais intérêts de la religion et de la patrie, ni reconnaître en ses coreligionnaires des alliés naturels, ni faire le sacrifice de vieilles rancunes et de vieilles idées, ni reconnaître, dans un esprit réaliste, ce qui était possible, ce qui était infaisable. Si les démarches malheureuses du prétendant, si ses inopportunes manifestations ont rendu impossible une restauration qui semblait d’abord aller de soi, n’est-il pas juste d’en faire retomber l’origine sur ceux qui n’ont pas su renseigner l’exilé de Frohsdorf et lui représenter l’état réel de l’opinion en notre pays ? On ne s’en est guère avisé à l’Univers.

La « question romaine », dans les aimées qui suivirent la guerre de 1870, y fut traitée dans le même esprit outrancier, avec le même mépris des contingences et des réalités. Certes la nouvelle situation qui était faite à Pie IX dans Rome, capitale italienne, préoccupait très justement les catholiques français ; le gouvernement de Thiers, puis celui de Mac-Mahon faisaient le possible pour en atténuer les inconvénients. Pie IX lui-même reconnut un jour la correction de leurs démarches. Mais la France vaincue pouvait-elle prendre une attitude qui risquerait d’attirer avec l’Italie, avec l’Allemagne, déjà alliée à celle-ci, des complications diplomatiques, peut-être une lutte à main armée ? Nul esprit sensé ne pouvait le vouloir, et la rédaction de l’Univers aurait été la première à répudier toute action belliqueuse. Il n’empêche que le ton même des articles du journal sur la question romaine n’avait rien d’irénique, que les pétitions organisées pour obtenir du gouvernement une « démonstration diplomatique persévérante contre les usurpations sacrilèges de l’Italie » ressemblaient à une imprudence, que les polémiques contre tous ceux qui n’emboîtaient pas, sur l’heure, le pas de l’Univers y étaient souvent d’une violence qui confinait à l’injustice.

Tant et si bien que finalement Rome dut intervenir et d’une manière qui coupait court à toute ambiguïté. C’était au printemps de 1872. Le cardinal Antonelli avait fait passer dans la Correspondance de Genève, alors organe officieux du Saint-Siège, un article qui déclarait avoir pleine confiance en M. Thiers. L’Univers reproduisit le document, tout en continuant sur le même ton irrité sa critique du gouvernement. Or, le 13 avril, Pie IX, s’adressant à un groupe de pèlerins français, leur parlait des divisions qui, dans leur pays, séparaient les catholiques. Après avoir reproché aux « libéraux » de manquer d’humilité, il faisait ensuite le procès de leurs adversaires : « Il y a, disait-il, un autre parti opposé, lequel oublie totalement les lois de la charité ; or, sans la charité, on ne peut être vraiment catholique. » À l’Univers, on se sentit visé et Veuillot se déclara prêt à disparaître. Mais, chez lui, le vieil homme ne se hâtait pas de mourir. Le 26 avril, après un vibrant appel à la soumission au pape, il sommait les libéraux (dans l’espèce les gens du Correspondant, du Français, de la Gazette de France) de témoigner aussi de leur repentir. Cf. Mélanges, IIP sér., t. vi, p. 262-264. Puis il se décidait à écrire au pape. Aussi bien ses flatteurs, — ils étaient nombreux à Rome — lui avaient représenté très inexactement l’état des choses ; en fin de compte, ils lui avaient fait espérer de la part

du pape une haute récompense romaine. Celle-ci lui vint sous une forme bien inattendue. Le 16 mai 1872, un bref pontifical lui était transmis : « Nous n’avons jamais voulu, écrivait Pie IX., improuver les principes pour lesquels vous combattez… mais seulement la manière de combattre et les censures personnelles qui, bien que parfois inévitables, se rencontrent dans vos écrits plus fréquemment qu’il ne convient et imprégnées de ce sel qui exhale un zèle amer étranger à la charité d’un catholique. Nous nous rappelons vous en avoir averti quelquefois… » Voir le texte dans F. Veuillot, op. cit., t. iv, p. 347. Le rédacteur de l’Univers ne put prendre sur lui de rendre public le bref pontifical ; le pape n’insista pas.

Ce paternel avertissement de Rome, Veuillot ne s’en souviendrait pas toujours dans les années suivantes. L’imprudence des remarques qu’il hasarda sur le Kulturkampl allemand attira à l’Univers une suspension de deux mois (19 janvier 1874) ; cette sanction avait été expressément demandée par Bismarck, très irrité des remarques violentes du journal à propos de l’encyclique pontificale Et si multa lucluosa. L’Univers s’efforça bien de présenter la mesure comme une vengeance personnelle du duc Albert de Broglie, à la suite de la campagne menée autour de l’inscription de la Roche-en-Breny, ci-dessus col. 2806, comme une revanche des gallicans et des libéraux contre « le défenseur du pape infaillible ». C’était se donner à bon compte la palme du martyre ! Il n’empêche que, dès la réapparition du journal, les polémiques à ce sujet reprirent. Mais il ne faudrait pas en laisser la seule responsabilité à Veuillot. Il était poussé à ces éclats par ses fanatiques adulateurs : « Il faut briser la secte (évidemment des catholiques libéraux), lui écrivait dom Guéranger, et jamais, pour ce qui est du catholicisme libéral, elle ne fournira une meilleure occasion. » Et sur cette invitation paraît dans l’Univers un article de cinq colonnes. Cf. Derniers mélanges, t. ii, p. 70-71. La secte qu’il fallait exterminer c’était le « ministère de l’Ordre moral » 1 N’y avait-il donc pas en France d’autres dangers à combattre ?

Même zèle imprudent à s’occuper des affaires d’Espagne, sous prétexte d’y combattre la Révolution. Sans doute Veuillot était dans son droit quand il prenait le parti de don Carlos, il l’était encore quand il réclamait pour les carlistes, l’appui moral des catholiques français. L’était-il encore quand, le gouvernement français ayant reconnu le maréchal Serrano, Veuillot se livrait contre celui-ci à une diatribe qui se terminait en une grossière injure ? Cf. Derniers mélanges, t. it, p. 180-181. Avait-il vraiment le droit de crier à la persécution quand le gouvernement lui infligeait, en septembre 1874, une nouvelle suspension de quinze jours avec ce motif : « L’Univers, dans son numéro du 6 septembre, dépasse toute mesure, provoque au mépris du gouvernement établi par d’inqualifiables outrages qui sont de nature à compromettre nos relations extérieures, trouble la paix publique et porte une grave atteinte à la dignité de la presse française » ? Non, vraiment, quoi qu’on ait dit, ce n’était pas là « une vengeance de la secte libérale et semi-révolutionnaire contre le champion de la vérité catholique ». F. Veuillot, op. cit., t. iv, p. 551. Cette fois encore. Pie IX eût été d’accord avec le duc de Broglie pour regretter les incartades de son journaliste préféré. Sera-t-il permis de faire observer en terminant cette revue des audaces de Veuillot en politique étrangère la façon dont elles ont été exploitées par les « républicains », soit aux élections de 1876, soit à celles qui suivirent le Seize-Mai. C’était une vraie calomnie que de représenter les catholiques ultramontains rompant en visière