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VEUILLOT (LOUIS). LE CONCILE Dl VATICAN

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question débattue par tant de gens d’une façon si confuse. L. Veuillot s’avisa de discuter ces Observations. Mgr Dupanloup répondit aux critiques de Y Univers par un avertissement dont seule la surexcitation des esprits explique la véhémence. Pour justifiés qu’ils étaient, les griefs de l’évêque auraient gagné à s’exprimer d’une manière moins batailleuse : « Vous vous donnez, dans l’Église, écrivait-il au rédacteur de l’Univers, un rôle qui n’est plus tolérable… Vous faites une sorte de pieuse émeute à la porte du concile. Vous lui tracez sa marche. J’accuse vos usurpations sur l’épiscopat et votre intrusion perpétuelle dans ses plus graves et ses plus délicates affaires. J’accuse surtout vos excès de doctrine, votre déplorable goût pour les questions irritantes et pour les solutions violentes et dangereuses. Je vous accuse d’accuser, d’insulter et de calomnier vos frères dans la foi… Je vous reproche de rendre l’Église complice de vos violences en donnant pour sa doctrine, par une rare audace, vos idées les plus personnelles, etc. » Comme on le voit, la condamnation de l’évêque d’Orléans dépassait, et de beaucoup la question particulière du concile et de l’infaillibilité. C’était toute l’attitude de l’Univers, depuis des années, qui était stigmatisée. Veuillot riposta en déclarant, non sans quelque verdeur, que, dans l’espèce, Mgr Dupanloup n’avait aucun droit de lancer dans le public cet avertissement, qu’il était, de ce chef, justiciable des tribunaux de droit commun : « Nous avertir, écrivait-il, c’est une usurpation que nous contesterions même à l’évêque ordinaire (1) et qui ne s’appuie sur rien. » Ce texte, si caractéristique, a été reproduit par Veuillot dans Rome pendant le concile, 1872, t. ii, p. 588.

Cependant le concile allait s’ouvrir. La place de Veuillot était à Rome ; il n’y serait pas seulement comme le journaliste, soucieux de fournir à sa feuille les informations les plus récentes et les plus exactes sur l’assemblée, mais comme une sorte de puissance laïque, qui ne se priverait pas d’intervenir dans la marche des événements. On sait que, rompant avec les vieilles coutumes, le pape Pie IX n’avait pas invité les États catholiques à se faire représenter au concile. Serait-il exagéré de dire que Veuillot fut à Rome, le représentant de cette démocratie ecclésiastique que son journal avait façonnée et qui lui renvoyait si fidèlement les idées, les enthousiasmes et aussi les suspicions, dirons-nous les haines ? qu’il avait su lui inspirer ? Qu’on le regrette ou qu’on s’en félicite, il est incontestable que le rédacteur en chef de l’Univers compta parmi les quelques personnes qui ont le plus influé sur la marche du concile. Son salon, sa table étaient le rendez-vous de l’épiscopat français infaillibiliste et, en dépit de la loi du secret qui pesait sur les délibérations conciliaires, il semble bien que, pour Veuillot, il n’y avait pas beaucoup d’arcanes inexplorés. Au dire d’Eug. Veuillot, le secrétaire des lettres latines avait été autorisé à entretenir le journaliste des travaux du concile. Op. cit., t. iv, p. 158. Et pendant que le rédacteur en chef groupait les évêques, les faisait causer, leur suggérait au besoin le moyen de déjouer les « plans machiavéliques » des adversaires de la définition - à ce point de vue la Correspondance de Veuillot demanderait à être étudiée systématiquement — le journal s’appliquait à entretenir en France cette agitation ecclésiastique dont on pensait bien qu’elle finirait par peser sur les résolutions des Pères du concile. « Non seulement, écrit Eugène Veuillot, les superbes et abondantes correspondances du rédacteur en chef, aussi bien accueillies à Rome qu’en France, jetaient constamment de l’huile sur le feu, mais chaque numéro du journal contenait des articles et

des manifestations de nature à l’attiser. Outre que la polémique sur les choses et les hommes du concile était très ardente, très hardie, l’Univers publiait quantité de souscriptions et de communications où éclatait un ultramontanisme absolu, joyeux et même incandescent. Nous rendions évident que la France catholique — clergé et laïcs pratiquants — était passionnément infaillibiliste, qu’elle réclamait du concile le couronnement de sa croyance et de ses vœux. Cette preuve, nous la faisions avec un soin particulier et une satisfaction trop affirmée peut-être, pour les diocèses dont les évêques repoussaient comme inopportune la proclamation du dogme. » Op. cit., t. iv, p. 88-89. A Saint-Brieuc, par exemple, on provoqua un véritable plébiciste contre Mgr David, qui, dans une lettre privée — mais tout se savait à l’Univers — avait approuvé le P. Gratry. Cf. art. Vatican, col. 2664. « Prêtres et fidèles signèrent avec un zèle passionné des adresses au pape infaillible et nos listes de souscription pour les frais du concile se couvrirent dans tout le diocèse d’offrandes où l’évêque vit à bon droit des protestations. » Ibid., p. 112. D’abord réticent à l’endroit de ces procédés un peu étranges, Pie IX, qui désirait ardemment la définition, finit par les trouver naturels ; plusieurs brefs vinrent récompenser les manifestants les plus échauffés. Celui qui s’adressait à Veuillot voyait dans l’enthousiasme du clergé du second ordre « le fruit du combat que le journaliste soutenait depuis longtemps pour la religion et le Saint-Siège ». Ibid., p. 158-160.

On a dit à l’art. Vatican, les très nombreuses publications que suscita soit dans le monde ecclésiastique, soit parmi les laïques la lutte autour de la définition de l’infaillibilité. À propos de chacune d’entre elles, Veuillot eut à dire son mot, il serait fastidieux de signaler ici ses innombrables interventions. Au fait l’histoire de la théologie n’y gagnerait guère, tant le rabâchage et les stériles répétitions faisaient le fond de ces soi-disant luttes d’idées. Tout au plus conviendrait-il de signaler le rôle que les gens de l’Univers jouèrent lors des démarches entreprises à Rome par le comte Daru, ministre des affaires étrangères de France (février-mars 1870). Considérablement grossi par les « infaillibilistes ». l’incident Daru, cf. Vatican, col. 2558 sq, était loin d’avoir la signification qu’on lui donnait à l’Univers. Catholique très déterminé, mais tout disposé aussi aux idées libérales, le comte Daru s’était ému non point de la définition possible de l’infaillibilité, mais des répercussions que pouvait avoir sur les rapports entre l’Église et l’État l’admission par le concile de divers canons du premier schéma de Ecclesia (où il n’était même pas question de l’infaillibilité). Loin, d’ailleurs, de s’opposer à leur proclamation, il demandait seulement qu’aucun vote définitif ne fût porté avant que le cabinet impérial, soit par lui-même, soit par ses représentants n’eût eu le temps de formuler ses observations. « Ce que nous désirons, disait-il le 10 mars, c’est d’être entendus sur des sujets qui touchent à l’ordre politique et civil et qui peuvent fournir demain la matière d’un enseignement professé et répandu partout. » En quoi voit-on ici cette manœuvre contre l’infaillibilité dont parle Veuillot ? Cf. Rome pendant le concile, t. i, p. 462. En tout état de cause la retraite de Daru (10 avril 1870) et son remplacement provisoire par É. Ollivier coupait court à toute velléité d’intervention du gouvernement français dans les affaires du concile. Le pape, par l’intermédiaire des deux Veuillot, était fort au courant des dispositions d’É. Ollivier ; il sut en faire son profit.

En dépit des oppositions de la dernière heure que