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VEUILLOT (LOUIS). POLÉMIQUES DIVERSES


Ils demandaient seulement que cette Église, s’il était possible, ne heurtât pas de front toutes les idées du monde moderne, tînt compte de ses préjugés, de ses erreurs mêmes, pour gagner les âmes de bonne volonté. Ils considéraient aussi que l’âpreté dans la polémique, même quand l’on défend la bonne cause et par de bonnes raisons, n’est pas toujours le meilleur moyen de convertir les cœurs. Ils souffraient littéralement de voir la rédaction de V Univers oublier si souvent, à ce point de vue, les recommandations de l’Évangile. Faut-il ajouter qu’ils s’exaspéraient peu à peu de voir grandir au delà de toute mesure l’influence d’une feuille, qui obstinément se dérobait à tout contrôle des autorités ecclésiastiques ? Que, dans ces conditions, ils aient saisi avec empressement les occasions de faire pièce à l’Univers, de lui susciter — sans grandes chances d’ailleurs — des rivaux, qui pourrait s’en étonner ? De la sorte, furent assez vite classés parmi les « catholiques libéraux », de quelque point de l’horizon politique qu’ils vinssent, tous ceux qui n’approuvaient pas tous les procédés de Y Univers. Un dernier trait achevait aux yeux de l’Univers de caractériser ces « sectaires », c’est qu’ils étaient « gallicans ». Peut-être eût-on été bien embarrassé à l’Univers, où l’on ne se piquait pas d’une théologie très exacte, de définir le gallicanisme ; on y confondait aisément gallicanisme politique et gallicanisme ecclésiastique. De ce dernier même, on n’avait guère scruté la contexture ni essayé de faire le départ entre les éléments de bon aloi qu’il contenait et les scories que le temps y avait ajoutées. Pour l’Univers, on était gallican dès là que l’on n’acceptait pas avec enthousiasme toutes les directives, que dis-je, toutes les indications de Rome, dès là que l’on ne considérait pas comme faisant loi les désirs, même secrets, du pape et les intentions de ceux qui l’approchaient de plus ou moins près et en qui se reflétait, fût-ce dans les teintes les plus dégradées, son autorité même. Qui n’était pas ultramontain en ce sens, était nécessairement gallican. À joindre tous ces traits que l’on attribuait aux catholiques libéraux, on finissait par agrandir assez considérablement leur petite Église. À force de faire du bruit autour d’elle, on se persuada soimême et l’on finit par persuader les autres qu’elle constituait pour la grande Église un péril redoutable. Avec une entière bonne foi, on égala presque ce péril à celui qui faisait courir la libre-pensée la plus agressive ou l’anticléricalisme le plus radical. Dieu sait pourtant si ce dernier péril était grave 1 Les catholiques libéraux furent souvent traités par l’Univers, par les brochures "lié Veuillot, par ses lettres avec une sévérité que l’on ne trouve pas toujours déployée contre les adversaires de l’Église. Reconnaissons d’ailleurs que les « libéraux » ne demeuraient pas en reste et que des propos fort pénibles furent lancés et colportés par ces milieux, qui n’étaient pas de nature à améliorer les rapports entre les frères ennemis.

Les moindres incidents, aussi bien, étaient suffisants pour faire monter les querelles à un diapason dont, à distance, nous nous faisons difficilement l’idée. L’affaire des « classiques chrétiens » est symptomatique. En 1851, l’abbé Gaume, voir ici son article, t. vi, col. 1168 sq., publiait Le ver rongeur des sociétés modernes ou le paganisme dans l’éducation. Quelques idées justes y étaient compromises par de graves exagérations. L’abbé accusait la culture classique d’être responsable de l’affaiblissement de la foi et de la ruine des mœurs dans les générations modernes. Sans trop réfléchir que cette culture classique avait formé les plus remarquables des Pères de l’Église, les meilleurs représentants de la Renaissance carolingienne, les grands chrétiens du xviie siècle, il lui

jetait l’anathème. Toutes affaires cessantes, il fallait que l’enseignement chrétien renonçât à former les nouvelles générations au latin dans Ovide ou Virgile, au grec dans Homère ou Hésiode. C’était dans les Pères de l’une et de l’autre Église qu’il fallait, au moins pour les débutants, demander des leçons de latinité et de grécité. La liberté de l’enseignement que l’on venait d’obtenir serait un leurre si les établissements chrétiens continuaient à empoisonner la jeunesse par les méthodes de l’Université incroyante. Le publiciste oubliait que, sur ce point, comme sur tant d’autres, l’Université n’avait fait que continuer les vieux errements des jésuites. Quoi qu’il en soit de cette formidable ignoratio elenchi, l’abbé trouva quelques évêques pour patronner partiellement sa thèse, il trouva surtout l’Univers pour en prendre la défense avec son ardeur coutumière. « Bien que Veuillot y mît une certaine retenue, dit son biographe, la polémique s’échauffa très vite. » Eug. Veuillot, op. cit., t. ii, p. 494. Mgr Dupanloup, qui se piquait d’avoir en matière d’éducation une certaine compétence, intervint non sans raideur et interdit la lecture de l’Univers dans les établissements d’enseignement de son diocèse. Les uns prirent parti pour l’évêque et, chose curieuse, les jésuites français faillirent bien, au moins à l’estimation de l’Univers, compter de ce chef au nombre des libéraux, les autres, la majorité des catholiques militants, dit Eugène Veuillot, et la masse du clergé se rangèrent derrière l’Univers. Peut-être était-ce surtout pour faire pièce à Mgr Dupanloup, lequel, en quatre articles brefs et calmes, venait de mettre en lumière l’autorité des évêques et leur indépendance par rapport aux journalistes. Autour de lui, le titulaire d’Orléans essaya de grouper un nombre imposant d’évêques ; il en fut pour ses démarches. Déjà l’Univers se sentait à demi soutenu par Rome, il le disait, ou tout au moins le faisait pressentir. Quelques-uns de ses plus chauds partisans parmi les évêques, tout en reconnaissant ses torts, ses fautes mêmes, l’appuyaient en haut lieu. Et puis Rome voulait éviter une déclaration collective de l’épiscopat français ; elle redoutait un acte qui pût donner l’idée d’une entente préalable de l’épiscopat. C’est la raison pour laquelle le cardinal Gousset, qui avait pris l’initiative de saisir la cour de Rome, se vit rappelé à la nécessité de « conformer aux règles et coutumes établies par l’Église la nature et la forme des actes émanant du corps épiscopal ». La « déclaration » collective que l’on méditait en France était, de ce chef, enterrée. Cela n’empêcha pas la « question des classiques » de rebondir longtemps encore ; jusqu’après 1870, elle éveillait encore des échos dans l’Univers.

Elle était à peine assoupie qu’une nouvelle polémique surgissait autour d’une publication de l’abbé Gaduel, vicaire général d’Orléans, lequel avait fait une critique théologique sévère d’un livre de Donoso Cortès, Essai sur le catholicisme, le socialisme et le libéralisme, chaudement patronné par Veuillot. Incontinent, celui-ci se lança dans la lutte, entendit mettre les rieurs de son côté et railla l’abbé qui, avec toute sa théologie, pouvait bien n’être qu’un sot. Le 10 février 1853, l’abbé Gaduel déféra l’Univers à l’autorité de l’archevêque de Paris. Contre l’Univers, Mgr Sibour avait conservé toute son animosité de 1850, ci-dessus, col. 2804 ; peu après la plainte de l’abbé Gaduel, il publiait, le 17 février, une ordonnance prohibant la lecture de l’Univers dans les communautés religieuses, défendant à tout prêtre du diocèse de le lire, d’y écrire et de concourir en aucune manière à sa rédaction. En outre, il interdisait à l’Univers et aux autres feuilles religieuses de reproduire en manière de qualificatifs injurieux les termes d’ultramon-