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2805 VEUILLOT (LOUIS). LA SCISSION ENTRE CATOHLIQUES 2806

gner au vainqueur du 2 décembre, la confiance qu’ils avaient en sa protection, la gratitude que leur inspiraient les menus services rendus par le Prince à l’Église dès les premiers moments. Aussi bien Veuillot lui-même, autoritaire par tempérament, dissimulait à peine son idée de fond : il fallait pénétrer assez avant dans la faveur impériale ; par là obtenir pour l’Église un régime qui ne fût pas seulement la liberté, qui fût le privilège, qui lui donnât toute facilité d’exercer, fût-ce par une contrainte plus ou moins marquée, sa divine mission. La liberté de la presse, en particulier, dont le décret du 17 février 1852 restreignait si étrangement l’exercice, on se la représentait très bien ne jouant qu’en faveur de l’Église. Si l’on veut faire allusion à une époque un peu plus tardive, dans l’unique entretien qu’il eut avec Napoléon III, Veuillot ne demandait-il pas au souverain — c’était peu de temps après l’attentat d’Orsini (14 janvier 1858) — de bâillonner la presse, de la soumettre à des magistrats à poigne, ne reculant point devant les mesures de rigueur" ? Voir Eug. Veuillot, op. cit., t. iii, p. 211. Et, si l’on faisait remarquer au rédacteur en chef de l’Univers les dangers que, en cas d’évolution du pouvoir, pouvait présenter une telle formule, si on lui représentait que, dans l’état présent des choses, il convenait de faire plus ample crédit à la liberté, « L’erreur, disait Veuillot, n’a pas les droits que vous réclamez pour elle et que l’Église ne lui accorde point. » Ibid., p. 60. En somme, aux premiers temps de l’Empire autoritaire, « la politique de Veuillot, d’accord avec sa conscience et se réglant sur la justice, était d’affermir le gouvernement dan » la voie du bien en le louant de bon cœur d’y être entré. » Ibid., p. 65.

Au mois de septembre 1852, paraissait, au contraire, la brochure de Montalembert : Les intérêts catholiques cm XIXe siècle. Elle exposait, à rencontre des idées que V Univers ne cessait de répandre, le programme et les vues politico-religieuses de ceux que l’on appellera désormais les catholiques libéraux. Voir Libéralisme c.atiioliquk, col. 578 sq. Elle devait amener la rupture définitive entre les deux fractions du parti catholique. Montalembert avait rédigé le manifeste de l’école libérale, Veuillot dans deux articles de l’Univers, 6 et 12 novembre 1852, De la liberté sous l’absolutisme, donna celui des catholiques autoritaires. Deux phrases résumaient son programme : le pouvoir absolu s’appuyant sur l’Église et l’Église s’abritant sous le pouvoir absolu. Mélanges, l série, t. r r, p. 180 sq. Cf. t. vi, p. 200 : « De la liberté illimitée. » À l’estimation de son frère même, Louis Veuillot essaya dans ces articles, de rester modéré, mais le fond était dur. Op. cit., t. iii, p. 492. Avec beaucoup de justesse, Eugène remarque d’ailleurs que cette vive altercation marque la fin du parti catholique et la constitution de l’école catholique libérale, dont le Correspondant allait devenir l’expression, on attendant que le Français fournît aux jeunes du parti, groupés autour du sympathique François Bestay, un organe quotidien (août 186 M.

On ; i dit à l’art. LIBÉRALISME CATHOLIQUE ce que fut cette lutte d’idées, comment, sous les exigences inclues de la polémique, les deux partis adverses en arrivèrent à fixer leurs concepts essentiels, les libéraux aboutissant en (in de compte aux idées exprimées dans le fameux * discours de Mallnes. en 1863, les autoritaires saluant, l’année suivante, dans le Syllabu », l’expression de leurs plus chères pensées.

v cette date, il est vrai, l’Univers ne paraissait plus.

bâillonné lui même par ces lois sur la presse dont il lit d’abord promis monts et merveilles. Les idées

de Veuillot s’exprimèrent dans une brochure, presque

un volume, intitulé l’Illusion libérale. L’ex-rédacteur y était sévère, oserait-on dire jusqu’à l’injustice ? pour les catholiques libéraux : « Le catholique libéral, écrivait-il, n’est ni catholique, ni libéral. Je veux dire par là, sans douter encore de sa sincérité, qu’il n’a pas plus la notion vraie de la liberté que la notion vraie de l’Église… Il porte un caractère plus connu et tous ses traits font reconnaître un personnage trop fréquent dans l’histoire de l’Église : sectaire, voilà son vrai nom… Je ne dis point qu’ils sont des hérétiques. Il faudrait premièrement qu’ils voulussent l’être. De beaucoup d’entre eux, j’affirme le contraire ; des autres, je ne sais rien et ce n’est pas à moi de les juger. L’Église prononcera, s’il y a lieu, lorsqu’il sera temps. Mais, quelles que soient leurs vertus et quelques bons désirs qui les animent, je crois qu’ils nous apportent une hérésie et l’une des plus carrées que l’on ait vues. » Cité par E. Veuillot, op. cit., t. iii, p. 501.

De cette « secte », L. Veuillot crut même, quelques années plus tard, avoir découvert l’acte de naissance. Pour rappeler le souvenir d’une réunion intime qui avait groupé, en son château de la Roche-en-Breny, autour de Mgr Dupanloup, quelques-uns de ses meilleurs amis, Montalembert avait fait apposer, dans la chapelle, une plaque. On y lisait que « le 12 octobre 1862, l’évêque d’Orléans avait, en cet endroit, distribué le pain de la parole et le pain de la vie chrétienne à un petit troupeau d’amis, qui, depuis longtemps déjà habitués à combattre ensemble pour l’Église libre dans la patrie libre, entendaient consacrer le reste de leur vie à Dieu et à la liberté ». Ces amis étaient de Falloux, Théophile Foisset, Augustin Cochin, Montalembert ; « était absent de corps, mais présent d’esprit le prince (depuis duc) Albert de Broglie ». Cette inscription, Veuillot, qui en eut connaissance en 1871, la signala dans l’édition de l’Univers de Bordeaux, le 5 mars 1871, la dénonçant dès l’abord comme l’acte de naissance d’une. « secte de catholiques selon Cavour » (la formule : l’Église libre dans la patrie libre pouvait, en effet, prêter au rapprochement). Et quand, trois ans plus tard, en 1874, le duc Albert de Broglie fut devenu président du conseil de Mac-Mahon, il revint lourdement sur cette divulgation. L’Univers du 2 janvier 1874, sommait le duc, maintenant au pouvoir, de renier sa formule. Cette polémique devait avoir un long retentissement. Sur cette affaire, cf. E. Veuillot, t. m. p. 488, t. iv, p. 499 sq. ; et comparer Lecanuet, Montalembert, t. iii, p. 328 sq.

Quoi qu’il en soit et peur revenir aux années mêmes de la rupture au sein du parti catholique, il est bien certain que, dès cette date, Veuillot considéra tous ceux des catholiques qui ne partageaient pas ses idées en matière de politique religieuse comme une sorte de chapelle, plus ou moins en marge de l’Église. Perpétuellement, il dénonça comme les deux chefs de cette petite Église Mgr Dupanloup et le vicomte de Falloux, sur lesquels ont continué à s’acharner, après cinquante ans. ses panégyristes. La vérité était beaucoup moins inquiétante : Il y avait, au début de l’Empire, un groupe de catholiques qui, soit attachement aux familles royales décimes, soit appréhension <le conséquences qu’ils considéraient comme funestes à l’Église et à l’État, se consolaient difficilement du nau trage des < libertés publiques, dé ces libertés nécessaires qu’en 1861 Thiors réclamerait au Corps législatif. Ayant combattu, à l’âge précédent. sous le drapeau de la liberté, ils ne pouvaient se faire à l’idée qu’il fallait renier toutes leurs convictions du passé. Ils n’entendaient certes pas proposer pour l’Église une constitution nouvelle, bien moins encore, comme on l’a dit, une nouvelle organisation des pouvoirs.