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VEUILLOT (LOUIS). LA LIBERTÉ D’ENSEIGNEMENT


comme il l’entendait. Pourtant cette feuille, fondée en 1833 par l’abbé Migne, traversait en ce moment une crise assez grave ; des sacrifices pécuniaires assez considérables furent faits alors par Montalembert pour la renflouer, des voyages de propagande entrepris, où Veuillot joua quelque rôle ; enfin, la fusion de l’Univers avec l’Union (légitimiste), fusion qui fut bientôt une absorption de la seconde feuille par la première, assura, de manière définitive, la survie de l’Univers. Au même moment le véritable animateur de ce journal, Melehior du Lac, essayait d’entrer à Solesmes — où d’ailleurs il ne resterait pas. Cette retraite laissait le champ libre à Veuillot qui ne tarderait pas à devenir le rédacteur principal. Toutefois le premier rôle fut encore tenu, pendant quelque temps par de Coux, qui, en août 1845, eut le titre de rédacteur en chef avec Veuillot comme adjoint. Cette sorte de condominium, qui n’alla pas sans heurts, dura jusqu’en 1848, date à laquelle de Coux quitta définitivement le journal. Il n’empêche que, dès 1843, Veuillot et l’Univers commencent à s’identifier ; bientôt le publiciste y prendra une place prépondérante. Les diverses tentatives qui furent faites par Montalembert et ses amis pour imposer au journal une direction supérieure échouèrent devant l’obstination de Veuillot qui entendait bien jouir à l’Univers d’un pouvoir dictatorial et réussit à évincer tout contrôle. C’est vers ce même temps, 31 juillet 1845, que Louis Veuillot se mariait. De ce mariage, il aura six filles dont plusieurs moururent en bas âge. Sa femme elle-même mourut prématurément en couches en novembre 1852. Ce fut Élisa, sœur de Veuillot, qui tint ensuite son intérieur et se chargea de l’éducation des enfants survivants.

2° Le parti catholique et la liberté d’enseignement (1845-1850). — Les froissements passagers du début n’empêchèrent pas les deux animateurs du parti catholique, sous Louis-Philippe, de marcher la main dans la main. On a dit à l’art. Libéralisme catho-LIQUE, col. 570 sq., comment c’est autour de la « liberté d’enseignement » que se forma le parti et comment, aux origines, tous acceptèrent de placer la question sur le terrain exclusif du droit commun et de la liberté générale. Montalembert ne songeait point à revendiquer le droit d’enseigner pour l’Église seule, en vertu de sa mission divine ; c’est en faisant appel au principe de liberté dont tous se réclamaient qu’il réclamait pour l’Église, la faculté d’avoir ses établissements d’instruction, sous la réserve du droit de regard de l’État. Tel est le point de vue auquel se ralliait Veuillot lui-même, encore que ses convictions profondes les polémiques de l’heure ne feront que les accentuer — l’orientassent dès lors en une direction différente. Sa Lettre à M. Yillemain sur la liberté d’enseignemenl, parue en 1843, se tenait sur le terrain délimité par Montalembert. Dès ce moment néanmoins une certaine intransigeance se manifestait du’.h’de [’Univers. On s’y montrait assez mécontent de l’attitude prise par l’abbé Dupanloup, le futur [ue d’Orléans, dans son livre De ta pacification religieuse, où l’auteur se déclarait prêt à consentir diverses concessions à l’Étal en matière d’enseignement. Même réaction après une autre brochure de I lupanloup : De l’état actuel de la question de l’enseigne ment. Néanmoins, la publication par Mgr. l’arisis. île son r.VLs de conscience (1847), rallia le suffrage de Veuillot même, encore que la position adoptée par l’évêque de Lan grès fût celle de l’acceptation du régime moderne et des libertés générales qu’il garantit.

Il reste que, dés ce moment, apparaissent les premiers symptômes d’une division entre catholiques. les uns travaillent a former un parti de combat, voulant conquérii de haute lutte les libertés néces saires ; dans leur ardeur ils oublient parfois les exigences de la charité chrétienne, peut-être même de la simple décence et de la bonne tenue. Les autres, plus pacifiques, oserions-nous dire plus chrétiens, s’efforcent de garder dans le ton de la polémique la courtoisie avec l’adversaire, qui est une des formes de la charité, et, pour ce qui est du fond, sont prêts à consentir au pouvoir un certain nombre de concessions dans l’espoir d’obtenir un modus vivendi. Toutes les divisions qui éclateront plus tard sont en germe dès ce moment. Le fougueux abbé Combalot dans son Mémoire sur la guerre faite à l’Église et à la société par le monopole, janvier 1844, est si violent qu’il s’attire une condamnation à quinze jours de prison et à 4000 francs d’amende. Pour son compte-rendu du procès, Veuillot, qui pourtant avait conseillé la modération à Combalot, récolte à son tour un mois de prison et une amende de 3000 francs. Aussi bien la mauvaise foi des adversaires libres-penseurs qui, pour faire diversion à la lutte d’idées, exploitent cyniquement l’impopularité des jésuites, justifie jusqu’à un certain point la violence des coups que porte l’Univers. Nous n’avons pas à dire ici comment les jésuites français furent les victimes de toute cette campagne et comment le gouvernement de Louis-Philippe finit par obtenir de Rome même un ordre de dispersion quillet 1845).

Rien de tout cela d’ailleurs ne résolvait la question de la liberté d’enseignement. Pour ce qui concerne le secondaire, la monarchie de juillet disparaîtrait sans l’avoir liquidée. Du moins la lutte a-t-elle permis aux catholiques de se compter et de se sentir les coudes. En ces années 1845-1840, Veuillot apparaît déjà comme un porte-drapeau, presque comme un chef, au grand déplaisir de quelques grands catholiques qui pensaient avoir eux aussi leur mot à dire. On a prétendu que, dès ce moment, Montalembert et Dupanloup avaient essayé d’agir auprès du nouveau pape, Pie IX (élu le 6 juin 1840), pour que fût conseillée à l’Univers une tenue plus conforme à la charité chrétienne. Ce qu’il y a de trop certain c’est que, dès cette heure, au lendemain des élections de 1846, qui avaient été pour les catholiques un incontestable succès, des fissures se remarquaient dans le bloc qu’avaient formé les gens soucieux des intérêts religieux de la France.

Sur un autre point, l’Univers avait en ces temps-là engagé la lutte contre ce qu’il appelait les restes du gallicanisme. La question liturgique avait été passionnément soulevée ; il s’agissait de faire cesser en France, par l’adoption uniforme de la liturgie romaine, les différences qui se remarquaient d’un diocèse à l’autre ; il s’agissait surtout » de prouver que cinquante Églises de France étaient hors de la régularité et du droit ». Cf. l’art. GuÉRANGER, t. VI, col. 1805. Ici du moins la cause fut assez vite — d’aucuns disent un peu trop vite — gagnée. Tout ne fut pas également heureux dans un retour beaucoup trop strict et pas assez intelligent à l’unité des pratiques cultuelles. Même assistée de dom Cuérangcr. la science liturgique des rédacteurs de l’Univers était un peu courte et aurait gagné à se guider par des vues moins unilatérales. Sur ce point aussi des avertissements pacifiques vinrent à l’Univers, dont on ne tint pas le compte qu’ils auraient mérité. Quoi qu’il en soit, le rétablissement de l’unité liturgique dans notre pays fut un des résultats dont se glorifiait le

plus Veuillot.

La Révolution de 1848 allait le mettre, tout comme les autres cat holiques, en présence de problèmes autrement redoutables. l’Univers, le départ de de Coux

laissait Veuillot mettre absolu. Tout comme Montalembert. mais sans les tergiversai ions de celui ci.