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VERTU. DUREE DES VERTUS


En matière de justice, où commande le médium rei, le choix d’une matière excédant en plus ou en moins les exigences de ce milieu ne représente pas nécessairement un acte contraire à la justice ; ce choix peut être simplement prseler, en dehors du champ où s’exerce la justice. Donnant à mon créancier 150 francs au lieu de 100 francs, je fais peut-être un acte de pure générosité ou de reconnaissance. La justice, vertu morale, tient un juste milieu dans sa matière ; mais elle n’est pas elle-même un juste milieu entre deux vices.

Application aux vertus intellectuelles (a. 3). —

Cette application, au premier abord, est moins claire, car les vertus intellectuelles semblent bien agir d’après une règle fixe, qui n’est autre que la fixité même de leur objet, le vrai.

1. Les vertus intellectuelles spéculatives ont, il est vrai, un objet fixe, la vérité. Mais, dit saint Thomas, « dans notre intelligence, ce vrai, considéré au sens absolu, est mesuré par les choses ». La vérité est la conformité de l’esprit aux choses, adsequatio rei et intellectus, et cette conformité n’existe que dans le jugement. Voir Vérité. Or, dans les jugements que l’homme doit formuler pour atteindre la vérité, il peut y avoir exagération, soit par excès, si l’on affirme trop, soit par défaut, si l’on n’affirme pas assez. De là des risques d’erreur, que la vertu d’intelligence, cet habitus des premiers principes, complétée par les vertus de sagesse et de science, a mission d’éviter ou de corriger. Son intervention est donc pour nous un critérium régulateur de nos jugements, critérium à la fois objectif et subjectif, participant du milieu réel et du milieu rationnel.

2. Les vertus intellectuelles pratiques, art et prudence, nous font descendre sur le terrain des contingences, des variations, des mobilités : il s’agit donc bien ici d’un médium rationis, seul fixateur de la ligne de conduite à suivre. L’art a un choix à faire entre des extrêmes, excès et défauts, afin de maintenir l’artiste dans un juste milieu, tout comme la prudence, dans la conduite morale, doit faire éviter a l’homme les décisions excessives, soit en trop, soit en trop peu.

Application aux vertus théologales (a. 4). Si nous considérons ces vertus du côté de Dieu, leur objet formel et matériel, elles n’admettent pas de milieu. Si l’on peut pécher par défaut à l’égard de la vérité et de la bonté infinies, on ne voit pas comment on pourrait pécher par excès. Loin de consister dans un juste milieu, la charité demande, au contraire, à se dilater sans mesure. Mais, du côté humain, dans le fait de leur exercice, les vertus théologales elles-mêmes sont susceptibles de comporter un juste milieu. Tout aussi bien que des défauts, il peut y avoir, sous cet aspect, des excès répréhensibles. Ces iii us doivent clic exercées, selon l’expression de s ; iint Thomas à la mesure de notre condition ». Il est des « as où la prudence modère et parfois même interdit momentanément l’exercice de la charité à ird du prochain. La loi du juste milieu intervient ici. non en raison de l’objet, mais per accidens, en raison de l’exercice de la vertu dans le sujet.

C’est ainsi que saint Thomas résout la difficulté que présente le’as de l’espérance, médiane entre la présomption et le désespoir, et celui de la foi, milieu entre des hérésies contraires. C’est à notre point de vue subjectif que le juste milieu peut être appliqué à ces vertus. On ne saurait trop placer sa confiance en Dieu, mais i quelqu’un est taxé de présomption du fait qu’il espère de Dieu un bien qui dépasse sa propre condition, ou de désespoir s’il n’espère pas le bien que dans sa condition il pourrait espérer ». … Semblablement, la foi est un milieu entre des hérésies contraires, non par rapport à l’objet, puisque cet objet est Dieu qu’on ne saurait trop croire, mais en tant que notre manière humaine de penser tient le milieu entre des pensées contraires. » Ad 3um.

Conclusion.

Cette doctrine du juste milieu, exacte dans son principe, ne s’applique en fait rigoureusement qu’aux vertus morales, d’une manière plus stricte en ce qui concerne la justice, en raison du médium rei, d’une façon plus large, en raison du médium rationis, dans les autres vertus où il y a place pour une certaine interprétation ou mesure humaine. Cf. Cajétan, In Z 1111 -//*, q. lxvi, a. 1, ad 2um. C’est dans ces autres vertus qu’à l’égard du jeu des mouvements et agitations variables de la vie sensible, la prudence intervient pour fixer humano modo, le milieu que doivent se proposer comme objet les vertus chargées spécialement de régler les passions.

Quant aux vertus intellectuelles spéculatives et, à plus forte raison, aux vertus théologales, c’est très analogiquement que la loi du juste milieu doit leur être appliquée. En maintenant à toutes les vertus cette loi, la théologie catholique n’a fait que consacrer doctrinalement la pensée populaire si heureusement exprimée dans l’axiome connu :

Est modus in rébus, sunt certi denique fines Quos ultra citraque nequit consistere rectum.


X. Durée des vertus.

On étudiera cette durée :
1° dans cette vie ;
2° dans l’autre vie.

Dans cette vie.

Il ne sera question que des vertus théologales. La durée des vertus acquises est mesurée par les lois psychologiques qui président à leur diminution et à leur disparition. La durée des vertus morales infuses est liée à celle de la grâce et de la charité.

1. Vertu de charité.

La vertu de charité se perd ici-bas par n’importe quel péché mortel. Sur ce point, aucune discussion n’est possible, car la grâce sanctifiante est détruite par tout péché mortel. Cf. Conc. de Trente, sess. vi, c. xv, et can. 27, Denz.-Bannw., n. 808, 837. Or, entre la grâce et la charité, la connexion est si grande que l’une ne peut exister dans l’âme sans l’autre. Voir ci-dessus, col. 2785. Sur l’opposition radicale du péché mortel et de la charité, cf. S. Thomas, IL-ID, q. xxiv, a. 10-12. Voir H.-D. Noble, La charité, t. i, notes 63-64, p. 305 sq. — Dieu pourrait-il par sa toute-puissance séparer la grâce de la charité ? Question scolastique agitée entre auteurs : cf. Beraza, De gratia Christi, Bilbao, 1916, n. 757. Sur les péchés directement contraires à la charité, voir Charité, t. ii, col. 2261.

2. Vertu de foi.

La foi n’est pas détruite ici-bas par n’importe quel péché mortel, voir ci-dessus col. 2788. Avec le concile de Trente, sess. vi, c. xv, et can. 27, on doit dire que le péché d’infidélité seul, directement opposé à la foi, détruit dans l’âme la vertu infuse de la foi. Qu’il s’agisse bien, dans la pensée du concile, de la vertu infuse et non des actes, le contexte l’indique suffisamment. Voir de Lugo, De flde divina, disp. XVII, sect. iv, n. 56. La sainte Écriture d’ailleurs affirme assez clairement que de fidèle on peut devenir infidèle. Cf. I’fini., i, 10 ; iv, 1 ; vi, 10 ; II’fini., iii, 18 ; Sur les (léchés directement opposés à la foi, voir ici Infidélité, t. vii, col. 1930 ; Apostasie, t. I, col. 1602 ; HÉRÉSIE, t. vi, col. 2208.

Mais, en dehors de ces péchés destructeurs de la Vertu de foi, on peut encore gravement oITenscr cette vertu, en s’cxposanl au péril de la perdre. La plupart de ces imprudences coupables ont élé signalées à HÉRÉSIE : communication active et formelle in divinls avec les non catholiques, col. 2231 sq. ; rejet volontaire de vérités non révélées, mais enseignées