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une véritable perfection morale dans la direction de la vie. A. 3.

Parmi les vertus intellectuelles, la sagesse l’emporte en excellence, puisqu’elle nous attache à la considération des plus hautes causes, et nous porte vers Dieu. Son influence peut être prépondérante, par la clarté de ses lumières et la sûreté de ses directives. A. 5. La prudence vient ensuite, qui prescrit aux hommes comment ils doivent parvenir à la sagesse. Ad l um. En raison de son objet qui est au-dessus de tout, la sagesse domine les sciences qui, peut-être, sont plus exactes et plus certaines dans les données qu’elles apportent, mais concernent des réalités inférieures. Ad 3um. La sagesse est également supérieure à la simple intelligence : si l’intelligence donne à l’esprit l’intuition des premiers principes, la sagesse possède une certaine emprise sur ces principes euxmêmes parce qu’elle les juge et les défend contre ceux qui les nient. Ad 4um.

c) Vertus morales.

Vertu intellectuelle par son essence, la prudence est vertu morale par sa matière, puisqu’elle doit diriger et modérer l’exercice de toutes les autres vertus. Parmi les vertus morales, elle occupe donc le rang prééminent. Des vertus morales par leur essence, c’est la justice qui vient en premier lieu, parce qu’elle est plus proche de la raison et par l’intelligence qu’elle est appelée à perfectionner, et par les matières dont elle doit s’occuper en les réglant conformément aux exigences du droit. Vient ensuite la force, qui soumet au contrôle de la raison les mouvements affectifs dans les difficultés de la vie et devant les craintes de la mort. Enfin, en dernier lieu, la tempérance, qui règle les appétits inférieurs en matière de plaisirs sensuels. A. 4.

C’est là l’ordre fondamental, essentiel. Mais il y a d’autres excellences dans les vertus qui peuvent grandement contribuer à améliorer la moralité humaine. On les trouve dans des vertus morales secondaires, « vertus d’appui et vertus d’ornement ». Saint Thomas en donne des exemples dans les réponses aux objections : « Il met une spéciale grandeur dans la libéralité ; elle est l’ornement de la justice et ajoute à la justice. Ad l um. Il convient qu’il y a beaucoup de grandeur dans la patience, naturellement et surnaturellement ; elle est comme un recueil de plusieurs autres vertus, acquises et infuses, et des plus hautes, et leur apporte une espèce de raffinement ; elles sont fonction de la vertu de force. Ad 2um. Il en est de même de la magnanimité. Ad 3um. Ces vertus offrent donc des aspects privilégiés de grandeur. On pourrait ajouter d’autres exemples… ainsi l’obéissance (II a II æ, q. civ, a. 3), la virginité (q. ciii, a. 5), l’humilité (q. clxi, a. 5), la pénitence (III a, q. lxxxv, a. 6) et d’autres encore, de moindre grandeur. » R. Bernard, op. cit., t. ii, p. 351-352.


IX. Juste milieu de la vertu (Ia-IIæ, q. lxiv). —

Une notion précise du juste milieu en matière de vertu permettra d’en considérérer l’application dans les vertus morales, intellectuelles et théologales.

Notion du juste milieu.

La théologie distingue, avec saint Thomas, a. 2, le milieu de réalité ou réel, médium rei, et le milieu de raison, médium rationis.

Le milieu de réalité est la mesure exacte, imposée d’avance par les choses extérieures en matière de justice et qui nous oblige à payer nos dettes sans excéder dans le sens du plus (prodigalité) ou du moins (avarice). Ce sens réel est indépendant de notre estimation personnelle : je dois 100 francs, ce n’est ni 150, ni 50, c’est 100. C’est plutôt notre estimation qui doit se régler d’après ce milieu.

Le milieu de raison ne se tient pas absolument du côté des choses. Il est déterminé par un jugement équitable de la raison et n’est pas imposé d’une manière mathématique par les réalités extérieures, ("est, peut-on dire, i le critérium régulateur que la raison se fixe à elle-même dans les circonstances où la variation et la complexité des circonstances de la vie ne lui imposent aucune détermination objective à l’avance ». Ami du clergé, 1929, p. 753. Il s’agit, par exemple, de déterminer le montant des aumônes que la loi de charité m’oblige en conscience à faire. Aucune règle objective ne s’impose d’une façon rigoureuse pour fixer quoi, à qui, quand et comment je donnerai. C’est donc à ma raison qu’il appartient de chercher et de déterminer, non d’une manière arbitraire, mais d’après des principes intellectuels et moraux, à quelle solution il convient de s’arrêter. Il faudra peser les considérations personnelles, locales, temporaires, familiales, sociales du présent et de l’avenir, intéressées dans le problème. Puis, en toute prudence, je déterminerai la somme à prélever au bout de l’année sur mes revenus pour faire une aumône qui soit exactement, ni trop, ni trop peu, ce que me demande, dans ma condition présente, la vertu de charité.

La fixation de l’action bonne dépend ainsi d’un travail personnel et subjectif de la raison ; d’où le nom de médium rationis. Travail, répétons-le, qui n’a rien d’arbitraire, et qui doit tenir compte de toutes les circonstances dans lesquelles il faut prendre une décision.

Le juste milieu se trouve donc, non dans la raison dont les principes sont immuables, non dans la vertu qui cherche dans toute la mesure du possible à conformer son orientation à ces principes, mais dans la matière à laquelle ces principes sont appliqués, avec toute la prudence désirable, tenant compte de toutes les conjonctures. C’est en ce sens que dans l’ad l um, saint Thomas explique la phrase d’Aristote (Éthique, t. II, c. vi) : « Dans sa substance, la vertu est un milieu », en tant qu’elle applique une règle de vertu à une matière appropriée ; « mais dans ce qu’elle a de mieux et de perfection, elle est un extrême », c’est-à-dire dans la conformité à la raison.

Application aux vertus morales (a. 1). —

Le juste milieu trouve son application principale dans les vertus morales, acquises ou infuses. Il s’agit, en effet, pour ces vertus réglées par la prudence, d'éviter, dans la matière qui leur est propre, des déterminations qui, relativement aux exigences du bien raisonnable, excèdent dans le sens du trop ou du trop peu. C’est donc par une interprétation moins exacte qu’on considère la vertu elle-même, dans son essence, comme le milieu entre deux vices opposés. Une telle conception peut être, en fait, exacte pour les vertus dont l’exercice se règle d’après un médium rationis, précisément parce que le choix qui résultera de cet exercice devra éviter des excès en sens contraires relevant spécifiquement de deux vices opposés, dont les actes sont formellement contre l’essence de ces vertus. Ainsi, la force se trouve être un milieu entre l’audace immodérée et la timidité ; ainsi, la tempérance, un milieu entre la gourmandise ou la luxure et l’insensibilité. Encore ne faut-il pas presser de trop près cette conception : saint Thomas note expressément que certaines vertus morales constituent en elles-mêmes « une chose extrême et un maximum », a. 1, ad 2um, et ne représentent un juste milieu que par rapport aux circonstances qui en entourent la pratique. Telle la magnanimité qui n’a de juste milieu que de se produire quand il faut et comme il faut ; telle aussi la virginité et la pauvreté. Vertus, elles le sont, non qu’elles tiennent un juste milieu, mais parce que leur juste milieu est d'être « pour le motif qu’il faut et comme il faut, c’est-à-dire selon le commandement de Dieu et pour la vie éternelle ». Ad 3um.