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VERTU. LES VERTUS MORALES I NI l SES

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L'énumération n’est pas exhaustive. Voir Justice, t. viii, col. 2018-2020.

4. Les diverses passions exigent différentes vertus. — Il est impossible qu’il n’y ait qu’une seule vertu morale relative à la modération des passions. La diversité s’impose en raison de la diversité des passions (l’irascible et le concupiscible), de la différence des objets (objets de convoitise, d’espérance, de crainte, d’amour, de plaisir, etc.), de la diversité des matières (honneur, argent). Toutefois, il n’y a pas de nécessité de toujours diversifier les vertus d’après la diversité des passions : en regard des passions opposées, joie et tristesse, il suffit d’une seule vertu qui tienne le juste milieu ; pour dominer diverses passions qui poursuivent le même but et se superposent l’une à l’autre, une seule vertu sera la vertu régulatrice.

La liste des vertus modératrices des passions diverses comprend, dans la q. lx, a. 5, dix noms : la tempérance, la libéralité, la philotimie (amour de son juste honneur), la vérité, l’affabilité ou amitié, l’eutrapélie (le bon ton dans les délassements), ces six vertus rapportées avec beaucoup d’ingéniosité au concupiscible ; puis, dépendant de l’irascible, la force, la magnificence, la magnanimité et la mansuétude. Liste non exhaustive, puisque nous trouvons, dans la IP-II* le nom d’autres vertus, comme la modestie, q. clxvi, l’humilité, q. clxi, etc.

On ne s'étonnera pas de trouver dans cette nomenclature des vertus modératrices des passions quelques noms qui figurent également parmi les parties potentielles de la justice. Saint Thomas envisage ici la libéralité, l’amitié, la vérité sous un aspect autre que celui de dette morale à l'égard d’autrui, l’aspect du concupiscible en raison du plaisir qu’on éprouve à se donner soi-même de quelque façon aux autres. Cf. dans la même édition de la Somme, J.-D. Folghera et R. Bernard, Les vertus sociales, Ila-II », q. cxci sq., Paris, 1933, avec les notes doctrinales i et iii, p. 431, 441.

Toutes ces vertus se rattachent d’ailleurs aux quatre vertus principales, nommées pour ce motif les vertus cardinales, et que saint Thomas étudie à la q. lxi. Voir Cardinales ( Vertus), t. ii, col. 1714.

Vertus morales infuses.

Les vertus morales

étudiées jusqu’ici sont des vertus naturelles, partant, acquises. Par elles-mêmes, elles manquent de proportion à l'égard de la fin dernière surnaturelle. Pour acquérir cette proportion, suffit-il aux actes de ces vertus d'être informés par la grâce sanctifiante dans l'âme juste ? Ou bien doit-on penser qu’ils émanent de vertus spécifiquement surnaturelles, parallèles aux vertus acquises, mais infuses comme la foi, l’espérance et la charité? Tel est le problème, auquel saint Thomas et Duns Scot ont donné des solutions divergentes.

1. La thèse thomiste.

a) Existence des vertus morales infuses. — Elle est exposée brièvement dans la Ia-IIæ 1, q. lxiii, a. 3 ; cf. In ///""> Sent., dist. XXXIII, q. i, a. 2, qu. 3 ; De virt., q. i, a. 10. Tous les thomistes suivent ici la doctrine du Maître. Il faut leur adjoindre S. Bonaventure, In III » ™ Sent., dist. XXXIII, a. 1, q. i, et Richard de Mediavilla, ibid., a. 1, q. il. Toute l'école de Suarez, De gratia, t. VI, c. îx, n. 7, a contribué à rendre cette opinion communissima parmi les théologiens. S’appuyant sur Sap., viii, 7, saint Thomas déclare qu’aux vertus théologales qui nous ordonnent à notre destinée surnaturelle doivent « correspondre de façon proportionnée d’autres habitas divinement causés en nous qui soient, par rapport aux vertus théologales, comme sont les vertus morales et intellectuelles par rapport aux principes naturels des vertus. » Q. lxiii, a. 3. Cf. II 1 - II », q. xlvii, a. 13.

(.elle phrase contient en abrégé les deux raisons de haute convenance apportées par les théologiens en faveur de l’opinion thomiste : 1° Les vertus morales infuses sont le digne complément de l'œuvre surnaturelle accomplie par Dieu dans l'âme humaine par l’infusion des vertus théologales. 2° Puisque les vertus morales dirigent notre conduite à l'égard des moyens qui nous conduisent à la fin surnaturelle présentée par la foi, l’espérance et la charité, il est convenable que les vertus se rapportant aux moyens correspondent aux vertus se rapportant à la fin et comme elles, soient surnaturelles et infuses. Cf. Billot, De virt. inf., p. 121-122 ; Mazzella, De virt. inf., n. 56 ; Suarez, De gratia, t. VI, c. ix, n. 8-1(5.

Ces raisons de convenance sont appuyées par des arguments proprement théologiques.

Le texte de saint Pierre, II Pet., i, 4, parle des dons magnifiques réalisant les promesses divines et nous rendant participants de la nature divine. Dans cette participation doit être compris tout ce qui intéresse la vie spirituelle et la piété, donc les vertus morales en tant qu’elles s’accordent avec la nouvelle nature à nous conférée. Cette affirmation est d’autant plus à retenir que, dans l'énumération des actes vertueux qui suit, l’apôtre fait mention avec la foi et la charité de la prudence, de la tempérance, de la patience et de la piété.

A cette preuve scripturaire, il faut joindre la lettre d’Innocent III à Ymbert et la décision du concile de Vienne. Voir col. 2762 sq. Il est impossible de restreindre l’expression alias virtutes d’Innocent, après l'énumération de la foi et de la charité, à la seule espérance. La décision de Vienne, terminant une controverse dont Innocent avait laissé la solution en suspens, fait certainement allusion à ces « autres vertus ». On peut même se demander jusqu'à quel point le concile de Vienne n’a pas voulu infirmer indirectement l’opinion de Scot.

Le catéchisme du concile de Trente, part. II, n. 38, enseigne que, dans le baptême, le très noble cortège des vertus est divinement infusé dans l'âme avec la grâce. Emploierait-il l’expression « très noble cortège des vertus », s’il s’agissait uniquement des trois vertus théologales ?

Le concile de Vienne impose sa doctrine, « plus conforme, dit-il aux dires des saints Pères ». On a vu plus haut, en effet, et à plusieurs reprises, que les Pères affirment le caractère surnaturel des vertus cardinales. Dans le tract. VIII, in Episl. / im Joannis ad Parthos, n. 1, saint Augustin montre que « les vertus de piété, de chasteté, de modestie, de sobriété sont comme l’armée du général qui commande en notre esprit. Et, comme le général fait ce qu’il lui plaît avec son armée, ainsi fait Jésus habitant en l’homme intérieur ». P. L., t. xxxv, col. 2035.

b) Nature spécifique des vertus morales infuses. — Tout en s’appliquant au même objet matériel que les vertus acquises, les vertus morales infuses s’en distinguent par un objet formel différent. Les vertus acquises ont pour objet formel un bien d’ordre naturel ; les vertus infuses, le bien suprême d’ordre surnaturel ; les premières ont pour règle la raison humaine ; les secondes, se réfèrent à la règle divine. Ce sont les deux points relevés par saint Thomas dans la q. lxiii, a. 4. On notera les exemples sur lesquels saint Thomas fait l’application de sa doctrine : la tempérance dans le manger, q. lxiii, a. 4, la virginité, la pauvreté, q. lxiv, a. 1, ad 3um.

On ne peut négliger ici le commentaire de Cajétan, sur l’a. 3 de la q. lxiii. Le résumé qu’en fait le P. Bernard marque bien les différences spécifiques qui distinguent vertus acquises et vertus morales infuses :