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VERTU. LES VERTUS MORALES


mais parce qu’elle les empêche « d'être comme il ne faut pas et quand il ne faut pas » ; cf. a. 2. D’autre part, dans les vertus morales ayant poui » matière non seulement les passions, mais encore les opérations, leur exercice parfait aura toujours un certain retentissement dans la partie sensible, les facultés inférieures suivant le mouvement des facultés supérieures. Grâce à cette redondance, plus la vertu est parfaite et plus elle cause de « passion », c’est-à-dire de sentiment de joie et de satisfaction, même sensiblement ressenti. « En Dieu et dans les anges, il n’y a pas, comme chez l’homme, un appétit sensible ; aussi leur bonne action à eux se passe tout à fait sans passion comme sans corps, tandis que la nôtre s’accompagne de passion et a lieu avec l’aide du corps. » Ibid., ad 3um. L’homme n’est pas un pur esprit : « Il n’est ni ange, ni bête, mais homme. » Pascal, Pensées, édit. Brunschwicg, n. 140.

2. Nécessité de la vertu morale et caractère de sa direction.

Ordonner selon la raison les mouvements de nos appétits, tel est donc l’objet de la vertu morale. A la suite d’Aristote, saint Thomas estime que les vertus intellectuelles sont insuffisantes à imprimer cette direction raisonnable. D’un trait, il souligne l’opinion de Socrate, accueillie par Platon, que la science suffit pour éviter le péché, en sorte que quiconque pèche le fait par ignorance. Voir l’exposé de la théorie socratique dans Janet et Séailles, Hisl. de la philosophie, Paris, 1942, p. 931. Cette théorie part d’un faux présupposé. La partie affective de l'âme n’obéit pas au moindre signe de la raison ; elle oppose une certaine résistance. Aristote en conclut Polit., t. I, c. ii, 1252, que, si l'âme régit le corps avec un pouvoir despotique, la raison ne commande à l’appétit que par un pouvoir politique, celui qu’on possède sur des êtres libres qui gardent le droit de contredire. Ainsi, pour la bonne direction de la vie humaine, il faut que non seulement la raison soit bien disposée par la vertu intellectuelle, mais encore que l’appétit le soit par la vertu morale.

On ne nie pas pour autant que la dignité humaine consiste avant tout, comme l’estimait Socrate, dans la pensée et que la pensée demeure le principe premier dont dépendent les œuvres de l’homme ; mais il faut toujours se souvenir que l’homme n’est pas une pure pensée et que les meilleures pensées ne trouvent pas toujours en lui toute facilité de passer en acte. Pour bien vivre, il ne suffit pas d’avoir l’esprit tourné vers le vrai, il faut encore avoir la volonté et le cœur orientés vers le bien. Cf. q. i.vm, a. 2. La direction de la vertu morale ne s’identifie donc pas nvec la droite raison, comme le voulait Socrale, cependant « elle n’est pas seulement < selon la droite raison », tu tant qu’elle incline à ce qui est conforme à cette règle, mais il faut en outre qu’elle soit « en compagnie « de la droite raison ». A. 4, ad 3'"". I. a droite raison, en effet, doit être avec « Ile pour présider à un choix bien réglé de ce qui est en harmonie avec la fin qu’on doit poursuivre ». Ibid. lu) réalité, celle raison pratique qui accompagne nécessairement la vertu inorale est la vertu de prudence, vertu intellect uelle, mais dont la matière est d’ordre moral. Ce qui oblige saint Thomas a conclure que, si les autres vertus intellectuelles peuvent exister sans les vertus morales, la prudence leur est nécessairement jointe. A. 5.

Distinction des vertus murales entre elles.

Il est

trop éident que, quelle que soit l’unité de fin dernière qui commande l’unité foncière de notre vie morale

et l’unité de direction qui est réalisée par l’unique vertu dirigeante, la prudence, de multiples vertus morales sont nécessaires pour ordonner et modérer

nos multiples tendances dans le sens exigé par la poursuite de la fin dernil

1. Dans l’ordre naturel, pas de vertu morale relative au bien suprême. — Cette première assertion peut étonner dès l’abord. Et cependant il est facile de se rendre compte que, dans l’ordre naturel, la volonté n’a pas besoin de vertu surajoutée pour tendre vers le bien. Cette tendance, en effet, lui est innée et par rapport au bien, en raison de sa tendance naturelle, la volonté est sa propre vertu. S’il se produit, en fait, quelque aberration, ce n’est pas en raison d’une insuffisance de disposition dans la volonté à l’endroit du souverain bien, mais c’est ou défaut d’appréciation dans l’intelligence ou insuffisance de rectitude de la volonté à l'égard des moyens. Si ces défauts n’existaient pas, l’appétit naturel de la volonté tendrait infailliblement vers le bien souverain. Aussi saint Thomas n’hésite pas à écrire que, d’un amour naturel, l’ange et l’homme aiment Dieu et mieux qu’euxmêmes. I a, q. lx, a. 5 ; cf. q. lxiv, a. 2, ad 4um ; Comp. Iheologiw, t. I, c. clxxiv. Voir Ia-IIæ, q. lvi, a. (i. Aussi, aucune vertu morale n’a Dieu pour objet immédiat. La vertu de religion, partie de la justice concernant nos devoirs envers Dieu, a pour objet le culte que nous devons rendre à Dieu comme à notre Créateur et à notre souverain maître. Voir Religion, t. xiii, col. 2309.

2. Distinction entre les vertus relatives aux opérations et les vertus relatives aux passions. — Les deux objets formels sont irréductibles l’un à l’autre. De plus, les dispositions du sujet sont tellement différentes dans l’un et dans l’autre 'cas, qu’elles nécessitent, pour les régler, des vertus différentes. D’ailleurs l’affectivité humaine est multiple et se traduit par l’exercice de puissances diverses : diverses donc doivent être les vertus perfectionnant ces puissances. Q. lx, a. 2.

3. Les diverses opérations exigent diverses vertus. — Toutes les opérations concernent nos relations avec les autres. Ces relations se groupent autour de la vertu de justice qui en est comme la directrice générale. Mais, à côté de cette notion générale de justice, que de raisons spéciales justifient la direction spéciale de vertus relevant toutes plus ou moins strictement de la justice ! Cf. IP-ID', q. lxxx. L’article consacré ici par saint Thomas à ce sujet justifie déjà pleinement la diversité des vertus annexes de la justice :

Toutes les vertus morales appliquées aux opérations se rencontrent dans une certaine notion générale de justice, notion comportant nue délie a l'égard d’autrni. IClles se distinguent toutefois d’après des raisons spéciales à Chacune. Le motif en est que, dans les opérations extérieures, l’ordre de la raison s'établit non en proportion des affections du sujet, niais d’après les exigences de la réalité considérée en elle-même. C’est sur ces exigences cpi’csl fondre la notion de dette, d’où dérive celle de justice… De là vient que les vertus occupées d’opérations extérieures offrent toutes un certain aspect relevant de la justice. Mais la dette n’a pas la même signification en toutes. L ne chose est due autrement à un égal, autrement à un supérieur, autrement à un inférieur. Elle est due autrement par suite d’un pacte, d’une promesse, d’un bienfait revu. El ces différents titres de dette donnent lieu a différentes VertUS. Ainsi la religion est la vertu qui nous fait rendre a Dieu le culte que nous lui devons ; la pieté filiale est celle par laquelle nous rendons les devoirs dus aux parents, a la patrie ; la gratitude est la vertu par

laquelle nous rendons ce qui est dit aux bienfaiteurs, et

ainsi de suite ((, ). i.x, a. : i).

On se reportera à la II » - II », loc, cil., pour v trouver l'énumération des principales vertus se rattachant à la justice. D’abord, la justice elle même, avec ses

trois aspects : commutative, distributive, générale ou légale ; puis, à mesure quc décroît l'élément égalité entre le débiteur et le créancier, ou l'élément dette Stricte, nous trouvons : religion, piété, respect, vérité, reconnaissance, libéralité, affabilité, amitié.