Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/623

Cette page n’a pas encore été corrigée
2775
2776
VERTU. LES V KM TU S MORALES


3. Rôle moral indirect des vertus intellectuelles spéculatives.

La perfection intellectuelle est un bien véritable, mais qui peut être étranger à la perfection morale de l’homme. Normalement cependant, il n’en devrait pas être ainsi, et les vertus intellectuelles peuvent et doivent servir à l’enrichissement moral de celui qui les possède. Tout d’abord, « à moins d’avoir reçu de la nature de vrais dons capables de se transformer aisément en véritables facilités, on doit généralement déployer beaucoup de ténacité, de persévérance et d’application pour apprendre une science ou un art et pour s’y perfectionner à fond ». R. Bernard, op. cit., t. i, p. 429. Constatons, à l’occasion de ce perfectionnement, un effort volontaire qui touche de bien près au perfectionnement moral. Mais il y a plus. Grâce à cet appui de la volonté, on peut arriver à utiliser les arts et les sciences pour le bien, en faire « un bon usage ». Et ceci touche de plus près encore au perfectionnement moral de l’homme. Enfin, les vertus morales ou mêmes théologales peuvent s’emparer de l’amour de la science ou de l’art pour l’orienter selon les exigences de la fin dernière surnaturelle ; on est alors en plein dans le domaine de la vertu véritable et ainsi « même dans les actes de ces habitus il peut y avoir du mérite s’ils sont accomplis sous l’influence de la charité ». A. 1. D’un mot final, saint Thomas touche un dernier point où la vertu intellectuelle confine au plus haut perfectionnement moral : quand l’intelligence s’attache à la vérité au point de s’y absorber et de s’y complaire dans toute la mesure possible. C’est alors la contemplation, avant-goût de la béatitude parfaite. A. 1, ad 2um. Pensée qu’on trouve à plusieurs reprises chez Platon.

4. L’intelligence spéculative et la vertu de foi.

Dans les considérations qui précèdent, la volonté n’intervient que de l’extérieur dans les habitus intellectuels. Mais il est un cas où l’intelligence spéculative peut être le sujet d’une vertu au plein sens du mot : c’est en tant qu’elle est mue par la volonté. « C’est ainsi, dit saint Thomas, que l’intellect spéculatif ou raison est le siège de la vertu de foi, car pour donner son assentiment aux choses de la foi, l’intelligence est mue par le commandement de la volonté : on ne croit que si on a la volonté de croire. » Q. lvi, a. 3. Voir Foi, t. vi, col. 397.

Les vertus intellectuelles pratiques.

Elles sont' au nombre de deux, l’art et la prudence ; mais la prudence est une véritable vertu qui, par sa matière, appartient déjà à l’ordre moral.

1. L'art, ou plutôt les arts marquent des aptitudes d’esprit dans le domaine pratique. À côté des aptitudes de l'homo sapiens (les vertus intellectuelles spéculatives), saint Thomas, sous le nom d’arts, désigne les aptitudes de l'homo faber, c’est-à-dire des savoir-faire « par lesquels on est en mesure de comprendre ce qui est, par lesquels on est habile à réaliser ce que l’on conçoit. » R. Bernard, op. cit., p. 436. Champ immense et plus varié que celui des sciences, comprenant les arts dits libéraux et les métiers : « Les artisans aussi bien que les artistes : tout ce qui conçoit un ouvrage ou travaille à le faire. Inventeur, ingénieur, technicien, ouvrier qualifié, même simple manœuvre, quiconque est à même de coopérer, par quelque habileté de la tête ou des mains, à une œuvre de fabrication humaine participe de ce que nos maîtres ont accoutumé d’appeler l’habitude d’art. En fait d’ouvrage, tout ce qui peut être l’objet d’un travail proprement humain et être en quelque sorte manié, façonné et transformé par l’homme, est matière d’art. » Ibid.

Toutefois, l’art n’est vertu qu’au même titre que les habitus spéculatifs, vertu secundum quid, puisque, pas plus que la vertu spéculative, l’art ne peut assurer qu’on s’emploiera à un bon ouvrage ; il donne seulement la faculté de le faire.

2. La prudence. — Saint Thomas marque la nécessité d’une vertu intellectuelle qui dirige la vie humaine : « Bien vivre consiste, en effet, à bien agir. Or, pour bien agir, il faut non seulement faire quelque chose, mais encore y mettre la manière, c’est-à-dire agir d’après un choix bien réglé et pas seulement par impulsion ou passion. Mais, comme le choix porte sur des moyens en vue d’une fin, sa rectitude exige deux choses : une fin conforme au devoir, des moyens en rapport avec cette fin. Pour ce qui est de la fin conforme au devoir, on y est convenablement disposé par la vertu qui perfectionne la partie affective de l'âme, dont l’objet est précisément les biens et les fins. Mais, pour ce qui est des moyens en harmonie avec cette fin, il faut qu’on y soit directement préparé par une habitude de la raison, parce que délibérer et choisir, opérations relatives aux moyens, sont des actes de la raison. Aussi est-il nécessaire qu’il y ait dans la raison une vertu intellectuelle qui lui donne toute perfection pour bien se comporter à l'égard des moyens à prendre. Cette vertu est la prudence. » Q. lvii, a. 5. « La prudence est une vertu intellectuelle par son essence. Mais, par sa matière, elle se rencontre avec les vertus morales, car elle est la règle de raison dans la conduite de la vie, et à ce titre elle est au nombre des vertus morales. » On se reportera à l’art. Prudence, t. xiii, col. 1034-1035.


VI. Vertus morales.

Notions générales. —

1. Nature et objet de la vertu morale.

Le mot « mœurs » peut signifier la coutume, l’usage, l’habitude (grec : s60ç), cf. Act., xv, 1, ou bien une inclination naturelle ou quasi naturelle vers une action, d’où caractère, mœurs (grec : t)00ç), cf. Ps., lxvii, 7. « Or le nom de vertu morale vient de mœurs au sens d’inclination naturelle ou quasi naturelle vers quelque action. De cette signification, l’autre est très proche, celle qui veut dire « coutume de vie », car la coutume tourne en quelque sorte à la nature et produit un penchant qui ressemble à une inclination naturelle. Il est bien évident que l’inclination à l’acte appartient en propre à la faculté d’appétition, puisque c’est à celle-ci de mettre en mouvement toutes nos puissances d’action. Aussi toute vertu n’est pas une vertu morale, mais seulement celle qui réside dans la faculté d’appétition. » Ia-IIæ, q. lviii, a. 1.

La vertu morale perfectionne donc nos tendances en les adaptant au bien de la raison, c’est-à-dire en modérant, en ordonnant, selon la raison, tous les mouvements de nos « appétits ». « Or, la raison ne met pas seulement de l’ordre dans les passions de l’appétit sensible ; elle en met aussi dans les opérations de cet appétit intellectuel qu’est la volonté, laquelle n’est pas le siège des passions. Aussi les vertus morales n’ont pas toutes pour matière les passions ; certaines modèrent les passions, d’autres, les opérations. » Q. lix, a. 4. Par cette distinction, saint Thomas rappelle que notre vie morale exige le bon ordre non seulement dans les mouvements de nos passions personnelles, mais encore dans les opérations constituant nos relations au dehors : d’un côté, par conséquent, l’ordre de nos devoirs envers nous-mêmes, d’un autre côté, l’ordre de nos devoirs envers les autres, nos semblables et Dieu lui-même.

Toutefois, dans l’a. 5, saint Thomas complète sa pensée par deux remarques. Tout d’abord, il est bien clair que les vertus morales ne sauraient se trouver dans les passions désordonnées et, en ce sens, on peut dire avec les stoïciens que la vertu parfaite est en dehors des passions, non qu’elle les supprime,