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VERTU. FACILITÉ DONNEE l’Ali LES VERTUS INFUSES

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persévérant dans sa volonté de retour à Dieu et soutenu par la grâce actuelle, peut acquérir cette facilité. — « Acquérir », disons-nous. Ce petit mot seul pose un problème sur lequel les théologiens n’ont pu encore faire, la lumière.

3. Comment expliquer la facilité acquise par l’exercice des vertus surnaturelles ? — Avant tout, rappelons que toute vertu surnaturelle est nécessairement infuse, c’est-à-dire que ni sa production dans l'àme, ni son accroissement ne dépendent de nos actes, même surnaturels. Voir plus loin. Il ne saurait donc être question de résoudre le problème en imaginant une vertu surnaturelle acquise, comme l’ont enseigné G. Hurtado et quelques théologiens du xviie siècle. Voir Ripalda, De ente supernaturali, disp. LU, au début.

a) Par une habitude acquise naturelle ? - - C’est l’opinion de Molina, Concordia, disp. XXXVIII :

Les habitus surnaturels de foi, d’espérance et de charité sont infusés à l'âme par Dieu seul ; ils ne sauraient être atteints effectivement, même quant à leur simple croissance, par les actes surnaturels de foi, d’espérance et de charité. Mais cependant de tels actes contiennent éminemment les actes naturels de foi, d’espérance et de charité ; à leur production, en effet, concourent toutes les causes qui produiraient ces actes naturels, si Dieu, par l’influence de la grâce, n'élevait ces causes et ne leur faisait produire leurs actes dans l’ordre surnaturel. En conséquence, de ces actes surnaturels résultent des habitudes naturelles de foi, d’espérance et de charité, qui demeurent encore en celui qui, par le péché mortel, a perdu la charité surnaturelle ou même en celui qui, par l’infidélité, a perdu la foi.

Thèse reprise par Billot. De virt. inf., proleg. ii, § 3, p. 50 sq. — Le point faible de cette opinion est la confusion qu’elle fait régner entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel. Le principe thomiste de la spécification des actes et des habitus par l’objet formel est ici manifestement contredit. Billot luimême, dans le prolégomène iii, § 1, n. 2-6, a posé des principes qui déconcertent les fidèles disciples de saint Thomas : possibilité d’habitus entitativement naturels, mais qui, accidentellement, en raison de l’exercice des vertus infuses, ou même simplement en fonction d’une révélation extérieure présupposée, aboutiraient à produire des actes atteignant les mêmes objets formels que les vertus surnaturelles, quoique d’une façon inopérante pour la fin dernière surnaturelle.

b) Par un perfectionnement intrinsèque de la vertu infuse ? — La répétition des actes vertueux donnerait aux vertus infuses une intensité plus considérable, d’où résulterait pour le chrétien une force plus grande. C’est la thèse d’anciens thomistes, cf. Salas, In 7 am -// æ, tract. X, disp. IV, sect. 5, dont on pense trouver le fondement dans saint Thomas lui-même : « Les actes produits par habitus infus ne causent pas un habitus, mais confirment celui qui existe déjà, de même que des remèdes appliqués à celui qui a déjà la santé ne donnent pas une autre santé, mais renforcent celle qu’il possédait déjà. » Ia-II*, q. li, a. 4, ad 3um. Cf. De. virt., a. 10, ad 19um. Voir aussi Valencia, Disp. theol., t. ii, disp. IV, q. iii, punct. 4.

Cette formule générale aurait besoin d'être précisée, mais, à la prendre prout sonat, — facilité résultant d’un renforcement, d’une intensité plus grande de Vhabilus, — elle se heurte à des difficultés que Chr. Pesch a bien mises en relief. Prælect. dogmat., t. viii, n. 14. C’est un axiome reçu que toutes les vertus infuses croissent proportionnellement et parallèlement à l’accroissement de la grâce sanctifiante. Or la facilité est plus grande uniquement dans la vertu où l’on s’est exercé spécialement. Il est donc impossible que l’accroissement de facilité provienne

d’un accroissement d’intensité dans la vertu même ; autrement on éprouverait la même facilité pour toutes les autres vertus infuses.

cj Par le secours de la qrâce actuelle et l'éloignement des obstacles ? - C’est la précision apportée par Suarez, De cjratia, I. VI, c. xiv, n. 7 : « La grâce confère au chrétien une suavité plus grande, une claire vue plus parfaite, une affection plus vive à l'égard du bien. Accidentellement (la facilité des actes) peut être causée par l’accoutumance qui supprime certaines difficultés auxquelles se heurtaient les puissances naturelles de l’homme ou leurs organes. »

A cette conception, Billot oppose une double critique : 1° La facilité résultant de la répétition des actes est quelque chose d’inhérent à l’exercice de la vertu et ne saurait recevoir une explication satisfaisante dans l’intervention d’un élément extérieur comme la grâce. 2° Dire que l’exercice répété des actes vertueux détruit les obstacles et les difficultés, c’est équivalemment dire qu’il crée dans l'âme une habitude positive vers les mêmes actes de vertus. De virt. inf., proleg. ii, § 3.

d) Par des habitudes naturelles simplement dispositives ? — C’est la correction apportée par certains thomistes à l’explication de Molina et qui transpose la solution de Billot sur un terrain moins discuté. L’habitude (ici le mot est exact) engendrée par la répétition des actes surnaturels est naturelle, et par rapport à ceux-ci, simplement dispositive, en tant que la répétition des actes surnaturels engendre une facilité plus grande de s’exercer sur la même matière, mais en raison d’un motif purement naturel. La psychologie moderne parlerait ici d’adaptation. Cf. Gonet, Clypeus theol. thom., tr. IV, De virt. et donis, disp. IV, n. 25. Deux mots sont importants. Par le mot « matière » désignant l’objet commun sur lequel s’exerce à la fois la vertu surnaturelle et l’habitude acquise, Gonet évite de contredire le principe thomiste de la spécification des actes et des habitus par l’objet formel. Par le mot « dispositive », il marque le point précis par où l’habitude acquise facilite l’exercice de la vertu infuse : disposition toute matérielle, quand la vertu infuse est absente de l'âme, mais disposition réelle quand même. L’objet de la vertu infuse et de l’habitude acquise n’est le même que matériellement. On peut appuyer cette interprétation sur saint Thomas lui-même, De veritale, q. xviii, a. 1, ad 4um.

L’application de cette doctrine est facile en ce qui concerne les vertus morales, infuses et acquises. La « matière » de ces vertus est vraiment la même, soit dans l’ordre naturel, soit dans l’ordre surnaturel ; seuls, leur objet formel et la fin qu’elles poursuivent sont différents. — L’application est plus délicate en ce qui concerne les vertus théologales. Et cependant de grands commentateurs de saint Thomas n’ont pas hésité à étendre à la foi, à l’espérance et à la charité le parallélisme d’habitudes naturelles acquises portant sur la même matière, mais, si l’on peut dire, plus matériellement encore envisagée, de manière à respecter la diversité des objets formels. Cf. Cajétan, In ll^-ll*, q. xvii, a. 5. In I* m -II*, q. lxiii, a. 3 ; ibid., q. cix, a. 4, où il dit expressément : Etiam credere, sperare, diligere Deum potest homo per sua naturalia quantum ad subsiantiam operum adimplerc, et non in quantum implentur ex spe et fide et charitate. Ces dispositions demeurent, même après la perte des vertus théologales et elles aideront le pécheur pénitent à les retrouver plus facilement. Tant il est vrai qu’il ne faut pas établir de divorce entre le surnaturel et le naturel, les deux ordres étant appelés à se compénétrer mutuellement et à se soutenir. Cf. Billot, op. cit., p, 59.