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VERTU. ENSEIGNEMENT DES SCOLA STIQUES


sition, le vice : habitus animi pessimus. Rappelant le commentaire de Boèce, il ajoute : « L’habitus est donc une qualité naturellement gravée dans l'âme ; c’est une qualité conquise par l’effort et la délibération, et elle est difficilement mobile. Uhabitus excellent de l'âme (la vertu, par conséquent) est donc celui qui nous élève au mérite de la vraie béatitude et telles sont les différentes espèces de vertus, plus ou moins nombreuses suivant les auteurs. » Dial. inter philos., judœum et christianum, P. L., t. clxxviii, col. 1651 sq.

Virtus, habitus animi optimus, cette définition est désormais acceptée par beaucoup d’auteurs. Citons Maître Hermann, disciple immédiat d’Abélard, auteur de VEpitome theologiæ christianse, qui complète la définition abélardienne de la façon suivante : virtus est habitus mentis optimus vel bene conslitulæ mentis. P. L., t. clxxviii, col. 1749. Le complément ajouté par Hermann sera retenu par Simon de Tournai : Virtus est habitus mentis bene conslitulæ, tandis que l’auteur du De spirilu et anima (Alger de Clairvaux) préfère écrire : bene composilse. P. L., t. XL, col. 782. Gandulphe de Bologne adopte une définition équivalente pour la charité qui s’affirme ainsi comme Y habitus mentis bene disposilæ ad diligendum Deum vel proximum. Sent., t. III, § 120, édit. de Walter, p. 363. Sur toutes ces définitions, voir l’article de dom I.ottin, Les premières définitions et classifications des verlus au Moyen Age, dans la Revue des sciences phil. et Ihéol., t. xviii, 1928, p. 369389.

Nous rencontrerons plus loin d’autres définitions empruntées à Aristote et qu’utiliseront saint Bonaventure et saint Thomas.

2° Le courant augustinien : Pierre Lombard. — Pierre Lombard définit ainsi la vertu : bona qualitas mentis, qua recte vivitur et qua nullus mate utitur, qvam Deus solus in homine operatur. Cette définition est, dit-il, empruntée à saint Augustin. Il serait plus exact d’affirmer qu’elle est constituée de plusieurs textes augustiniens rapprochés. Cf. De libero arbitrio, t. II, c. xviii, n. 50 ; c. xix ; Retract., t. I, n. 6, P. L., t. xxxii, col. 1267, 1268, 598. Mais la pensée fondamentale — et bien augustinienne — développée par Pierre Lombard c’est que, sans aucune participation de nous-mêmes, Dieu nous donne la vertu, cette cause intérieure qui guérit et soutient la volonté pour aider le libre arbitre à produire des actes salutaires. Sent., t. II, dist. XVII, e. v-vi ; ef. c. x. La vertu n’est donc pas l’acte, mais la cause qui aide le libre arbitre, guéri et fortifié, à le produire. Cf. e. xi. Par là, Pierre Lombard se sépare d’autres auteurs dont il rapporte l’opinion au c. xii. Ceux-ci identifient la vertu au bon usage des puissances naturelles. Leur usage intérieur, qu’il faut confondre avec les bons mouvements et les affections honnêtes produits en nous, sans nous, par la grâce divine, telle serait, à proprement parler, la vertu. Les actes extérieurs sont les œuvres des vertus. Cette opinion prétend s’appuyer sur quelques assertions augustiniennes : » La foi, c’est croire, In Joannem, tr. XL, n. ! t, /'. /… t. xxxv, col. 1690 ; "i. croire est un simple mouvement de l'âme. Ou encore J’appelle la charité un mouvement de

l'âme ». lie doctrina christiana, I. III. c. x. n. 16, t. xxxiv, col. 72. Quelle que soit l’interprétation <

donner a ces textes d’Augustin, le Maître dis Sentences riposte par cet argument : « La vertu est l'œuvre de Dieu seul, réalisée par lui seul en nous ; elle n’est donc pas l’usage OU l’acte du libre arbitre.

Or, croire est un acte du libre arbitre ; croire n’est

donc pas la vertu. El il renvoie à saint Augustin, Quasi, tvangel., I. II. q. xxxix, n. 1, /'. L., t. xxxv,

col. 1352 ; De Trinitate, t. XIII, c. ii, n. 5, t. xlii, col. 1017. Pierre Lombard étudie les vertus théologales et les vertus cardinales au t. III, dist. XXIII sq.

Fusion des deux courants.

Les deux courants

ne sont pas contradictoires ; ils doivent se compléter. La doctrine qui s’inspire d’Aristote envisage surtout la disposition stable de l'âme et s’applique principalement aux vertus naturelles, sans cependant exclure les vertus surnaturelles : elle n'élimine pas, en effet, la vertu (habitus) qui aurait en nous, d’une manière spéciale, Dieu pour auteur. Mais la définition proposée par Pierre Lombard rapporte expressément la vertu à la grâce divine. Dieu opérant en nous la vertu sans notre participation. Cette manière de concevoir la vertu est plus spécifiquement chrétienne et vise avant tout les vertus surnaturelles ; mais elle n’exclut pas les vertus naturelles ; elle les reconnaît en les spécifiant par leurs obligations et par les fins qu’elles poursuivent.

1. Simon de Tournai.

C’est ainsi que Simon de Tournai déclare qu' « il faut distinguer deux sortes de vertus selon les devoirs qu’elles imposent et les fins qu’elles poursuivent. Si, en effet, la qualité (habitus) dispose l'âme à accomplir un devoir politique pour une fin politique, elle est dite vertu politique. Ainsi, des citoyens, infidèles, juifs ou païens, sont dits vertueux, si leur esprit est fermement établi dans la détermination de remplir tous les devoirs exigés d’eux par les institutions de la patrie… Mais la vertu catholique établit l'âme dans une disposition constante d’accomplir son devoir catholique pour une fin catholique. C’est de cette façon que les fidèles sont dits vertueux, quand leur esprit est appliqué à remplir ses devoirs selon les institutions de la religion catholique, avec Dieu pour fin, en vue de jouir de Lui ». Cité par Lottin, art. cit., p. 390 sq.

2. Guillaume d' Auxerre. — Cet auteur explique la définition augustinienne de Pierre Lombard : « La vertu est une bonne qualité de l’esprit, elle assure la droiture de la vie ; nul n’en fait un mauvais usage et Dieu l’opère en nous sans nous. » Qualité désigne ici le genre ; bonne sert à la différencier des qualités mauvaises, c’est-à-dire des mauvaises habitudes. « Elle assure la droiture de la vie » ; par là, la vertu se différencie de la science. « Nul n’en fait un mauvais usage » marque la différence entre la vertu et les puissances naturelles. Ces éléments conviennent aux vertus politiques. Mais la quatrième assertion n Dieu l’opère en nous sans nous » différencie les vertus théologiques (vertus surnaturelles) des vertus politiques (vertus d’ordre naturel). Les vertus politiques naissent et croissent par la répétition des actes ; les vertus théologiques sont produites par Dieu seul. Summa aurea, Paris, 1500, fol. 128 v°.

Toutefois, à l’infusion des vertus théologiques (surnaturelles) est requis un mouvement du libre arbitre. La dernière partie de la définition ne doit donc pas être comprise comme si Dieu opérai ! e.n nous la vertu contre notre gré : i Dieu justifie l’homme sans s ; i coopération, mais non pas sans l’opération de l’homme. Ainsi le soleil éclaire la maison, sans que l’homme coopère à la diffusion « le sa lumière, bien que l’homme doive ouvrir la fenêtre. De même Dieu. le soleil véritable, ne nous infuse pas les vertus sans notre opération, puisque nous devons nous préparer a les recevoir : mais il agit sans notre coopération. au moment même de l’infusion des vertus. C’est ensuite seulement que nous devenons ses coopéraient et dans notre conduite et dans nos icuvres… » Ihnl., fol. 129 r".

Guillaume termine en comparant les définitions